La part des émotions dans la décision de justice selon Martha Nussbaum

Séminaire l’acte de juger : débats contemporains
Troisième séance : “La part des émotions dans la décision de justice” selon Martha Nussbaum

Intervenantes  Solange Chavel, philosophe à l’université de Poitiers, et Nicole Maestracci, membre du Conseil constitutionnel, auparavant Première présidente de la Cour d’appel de Rouen.

Le juge doit-il écarter l’émotion pour rendre sa décision, comme le serment des jurés invite les jurys à le faire ? Martha Nussbaum défend une thèse audacieuse qui est celle de la place nécessaire des émotions dans la décision de justice et invite les juges à être des poètes.

 Solange Chavel est maitre de conférences en philosophie morale et politique contemporaine de langue anglaise à Poitiers. Elle a traduit deux ouvrages de Martha Nussbaum, L’art d’être juste, ed. Climats 2015 et Capabilités, ed. Climats 2012. Elle a, notamment, publié  Se mettre à la place des autres, ed. PU Rennes 2012 et a contribué à un dossier de la raison publique sur « Le paradigme des capabilités face aux catastrophes » Novembre 2015.

Nicole Maestracci est membre du conseil constitutionnel, a été première présidente de la cour d’appel de Rouen et présidente de la FNARS.

Intervention de Solange Chavel

Solange Chavel expose ici le parcours de Martha Nussbaum. Elle présente L’art d’être juste, livre issu d’un cours Droit et Littérature, qui s’adresse à des juristes et des juges. Martha Nussbaum s’inscrit dans une conception de l’être humain comme essentiellement vulnérable, les émotions sont en conséquence des éléments constitutifs de la connaissance de soi et de l’autre. Elle souligne la nécessité de passer les émotions au crible de l’analyse et présente la théorie du spectateur impartial mais sensible comme pouvant guider le juge.

Intervention de Nicole Maestracci

Nicole Maestracci explique ici comment elle s’est intéressée au livre de Martha Nussbaum. Elle expose les différents modèles de juge et comment les raisonnements de Martha Nussbaum permettent d’articuler la nécessité de l’impartialité et celle de la connaissance des situations y compris celles qui paraissent les plus éloignées de soi.

Cas de jurisprudence : Mary J. Carr c Alison Gus Turbine Division, General Motors Corporation, avis du juge Posner

Martha Nussbaum présente trois cas de jurisprudence dans son livre. Un cas est ici retenu celui de Mary J. Carr c Alison Gus Turbine Division, General Motors Corporation, avis du juge Posner, cour d’appel des Etats Unis 1994.

Mary Carr est la première et la seule femme à travailler dans un atelier de ferblantiers du département des turbines à gaz de General Motors. Pendant cinq ans elle fut victime de harcèlement sexuel et finit par démissionner. Elle demanda ensuite des dommages et intérêts à l’entreprise en réparation du tort causé. Le premier juge a donné raison à General Motors considérant qu’il s’agissait d’un badinage sexuel commun sur un lieu de travail.

Posner, juge à la cour d’appel de New York, a cassé ce jugement et donné raison à Mary Carr. Il reprend la description des faits pour aboutir à une erreur manifeste d’appréciation de la part des juges. Il ré-analyse la signification humaine des faits, les faits commis par les ouvriers de la GM sont-ils intimidants, affectent-ils les conditions de travail, l’absence de réaction de l’employeur témoigne-t-elle une négligence ?

Il décrit précisément tout ce qu’il s’est passé, plus longuement que d’habitude, en fait il se place tout près de la scène et se positionne comme quelqu’un qui peut imaginer l’impact des conduites sur une employée. Cette description des faits ouvre la discussion parce qu’elle permet la critique publique. Posner finit par une condamnation forte de GM : «  la Navy a su intégrer des femmes, la GM aurait dû savoir le faire ». Il tient compte dans sa décision de l’asymétrie des positions.

Qu’apporte un jugement littéraire, demande Martha Nussbaum ? Un tel jugement implique une attention et sympathie à l’égard des voix différentes, une capacité à s’intéresser à des personnes dont la vie est éloignée de la nôtre, à se mettre à la place de l’autre. Ce serait une très bonne chose d’avoir des juges sensibles à des voix différentes, dit-elle. Cela permettrait de produire une vision intégratrice. Les juges doivent éduquer non seulement leurs capacités techniques mais aussi leurs capacités à l’humanité. Sinon leur impartialité sera bornée.

Pour plus d’informations 

Fiche de lecture

Téléchargez la fiche de lecture de l’ouvrage « La part des émotions dans la décision de justice » selon Martha Nussbaum, par Sylvie Perdriolle.