Séminaire JILC : La (les) méthodologie(s) pour analyser l’image cinématographique de la justice

Nathalie Goedert (MCF Paris-Sud) et Ninon Maillard (MCF Limoges) proposeront une réflexion sur la (les) méthodologie(s) pour analyser l’image cinématographique de la justice.


Compte-rendu 

L’image comme élément perturbateur de l’institution judiciaire : le cas Intime Conviction

Le 13 janvier 2017, à l’occasion d’un séminaire organisé par le JILC, Ninon Maillard, Maître de conférences à l’Université de Nantes et Nathalie Goedert, Maître de conférences à la Faculté Jean Monnet,  toutes deux historiennes du droit, ont été invitées à présenter leur réflexion sur le rôle de l’image dans l’exercice de la justice.

Dans quelle mesure la fiction judiciaire peut-elle s’inspirer de faits réels sans porter atteinte aux suspects, surtout lorsqu’ils sont acquittés ? Une oeuvre cinématographique ou télévisuelle, lorsqu’elle fictionnalise une affaire, remet-elle en question une action de justice ? Ces questions, nous pouvons légitimement nous les poser suite à la diffusion d’« Intime conviction », un programme en deux parties proposé par Arte le 14 février 2014.

Une nouvelle expérience de la Justice

Pensé comme une « expérience judiciaire », Intime conviction se compose d’un téléfilm retraçant une enquête policière et d’un webdocumentaire diffusé sur Arte et son site internet. Le procès, contrairement au téléfilm, est diffusé en direct où les acteurs (policiers, plaignants, et accusé) revêtent les habits de leur personnage face à une Cour de professionnels. La fiction se confronte alors à la réalité de la Justice. De l’autre côté de leur écran, les téléspectateurs qui ont suivi l’enquête peuvent désormais prendre part à l’affaire en tant que jurés.

Citoyens, spectateurs, acteurs, avocats et magistrats participent ensemble à la construction d’un procès dont les preuves ont été construites puis présentées dans le téléfilm diffusé sur Arte. Une habile scénographie filmique permet aux jurés-webspectateurs d’appréhender le déroulé du procès de plusieurs façons. Des caméras ont été disposées à plusieurs endroits clés dans la salle d’audience. Il est ainsi possible de naviguer dans le temps et l’espace durant le procès, permettant à chacun de construire son intime conviction qui s’exprimera lors du délibéré. Les « jurés » peuvent converser entre eux, par le biais d’un système de messagerie instantanée intégrée directement sur la plateforme du site.

Une fiction du réel qui dénature la vérité judiciaire

Pourtant, cette expérience n’aura jamais lieu. En effet, le 7 novembre 2015, le Tribunal de Grande Instance de Paris connait coupable la Société Maha Productions – qui produit le programme Intime conviction d’avoir refait « devant une fausse Cour d’assises , le procès d’un homme qui vient d’être acquitté ». Mélange de genres et trouble dans le réel, le Dr Jean-Louis Muller pense reconnaître son histoire à travers le récit de Paul Villers (Intime conviction). Soupçonné du meurtre de sa femme, Paul Villers se retrouve sur le banc des accusés. Le Dr Jean-Louis Muller, a quant à lui été acquitté à l’issue de son procès, quelques mois avant la diffusion du programme.

Par delà la similitude entre les noms de famille, le personnage de fiction est soupçonné du même crime. Et si la justice a définitivement innocenté le Dr Muller le 31 octobre 2013, ce-dernier voit dans ce programme une manière de remettre sa vie personnelle sur le devant de la scène médiatique. Le tribunal populaire, constitué des jurés-internautes, serait une façon de remettre en cause l’institution judiciaire et son délibéré.

La Justice à travers le prisme des écrans

A travers l’exposé du cas Intime Conviction, c’est de nombreuses facettes du droit qui ont ici été exposées et questionnées. La première, comme l’a présenté Nathalie Goedert grâce à un minutieux travail d’archivage et d’analyse des jugements relatifs au programme Intime conviction, révèle la complexité du droit d’auteur et de la liberté de création face à des faits réels. Si jusqu’à présent la Justice avait toujours donné raison aux auteurs ayant fondé leur récit sur un cas de justice, comme ce fut le cas pour Le Pull-over rouge[1], la défense du Dr Muller, représentée par Me Éric Dupond-Moretti et Me Jérémie Assous a souhaité interdire cette fiction identifiante.

Ninon Maillard, dont l’analyse de la plateforme interactive du procès, a quant à elle identifié les difficultés de la Justice à accepter un bouleversement profond de sa représentation. Contrairement aux Etats-Unis, la France interdit tout enregistrement sonore et filmique des procès. Un nouveau procès, jugé trop proche de celui du Dr Muller, mettrait ainsi à mal la légitimité de l’institution judiciaire et témoigne d’une difficulté de celle-ci à s’ouvrir à l’image. Si le verdict d’un procès est un fait publiquement dévoilé, la caméra se poserait ici comme un obstacle à une vérité judiciaire. Le dispositif filmique est ainsi considéré comme un frein à l’exercice de la profession des juges et des magistrats de la Cour. De même, tout enregistrement publiquement diffusé pourrait entraîner une dénaturation du procès et une mise en visibilité dont pourraient potentiellement se servir les parties prenantes d’un tel événement.
Réflexions et perspectives

Au sein de l’assemblée présente lors de ce séminaire du JILC, de nombreux parallèles ont été réalisés avec des cas de procès retransmis en direct sur des chaînes de télévision nationale. En Norvège, des mesures particulières ont été prises lors du procès d’Anders Breivik, responsable de l’attentat terroriste ayant décimé 77 personnes. La chaîne de télévision NRK a montré l’ouverture de l’audience sur l’affaire, les déclarations des avocats, des procureurs, et la condamnation. Par mesure de sécurité, la présidente de la Cour pouvait à tout instant interrompre le direct dans le cas où l’accusé aurait utilisé la présence des caméras comme tribune pour s’adresser à la population.

Le séminaire aura également permis de faire écho aux travaux entamés par l’IHEJ concernant les perspectives de transformation de la Justice grâce au numérique.

Valentin Rolando


[1] Le Pull-over rouge est un film de Michel Drach sorti en 1979, d’après le roman éponyme de Gilles Perrault, sur l’affaire criminelle et la peine de mort de Christian Ranucci, exécuté en 1976.


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Date / Heure
Date(s) - 13/01/2017
14:00 - 17:00

Emplacement
Ecole nationale de la magistrature

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