Où en est la Cour Pénale Internationale?

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À l’approche de la nouvelle Assemblée des Etats partis, du 16 au 24 novembre 2016, alors que la Cour pénale internationale peut se prévaloir cette année d’avoir rendu plusieurs verdicts importants, mais à l’heure aussi où le président sud-africain vient, avec le Burundi, de provoquer pour la première fois un inquiétant précédent, en notifiant aux Nations Unies sa volonté de retirer son pays du Statut de Rome, le juge français Marc-Perrin de Brichambaut dresse un bilan des réalisations de la Cour, à partir de plusieurs jugements rendus par la CPI, et, faisant le constat de ses limites et de ses fragilités, esquisse les perspectives et les besoins pour « dégager des pratiques et tracer des jurisprudences adaptées » aux attentes et au projet originel du Statut de Rome.

 

Où en est la Cour pénale internationale ?

Trois propositions par le juge Marc-Perrin de Brichambaut 1

 1ouenestlacpi_mpdb_forumjpiPhoto : salle d’audience de la CPI

 

1 Ce texte a fait l’objet d’une présentation à l’Université d’Evry le 30 septembre 2016.

 Les tribunaux pénaux internationaux figurent désormais en bonne place parmi les instruments dont s’est dotée la communauté internationale pour mettre en oeuvre les normes en matière de droits de l’homme qui sont de plus en plus largement reconnues au coeur de ce dispositif émergent. La CPI a une valeur particulière car elle représente la tentative la plus avancée de créer un instrument permanent et universel pour lutter contre l’impunité et les grands crimes. Quatorze ans après l’entrée en vigueur du statut de Rome, il est légitime de tracer un premier bilan de ce projet exceptionnel. 2

Qu’a accompli une CPI à laquelle les signataires du statut ont déjà consacré plus d’un milliard d’euros ? Que sont devenus l’adhésion et l’espoir qu’avaient suscités ce projet ? La pratique de la CPI correspond-t-elle aux intentions des rédacteurs du statut ? Je vais m’efforcer de répondre à ces questions à travers trois propositions.

1/ La CPI s’est construite autour des choix faits par le premier procureur qui a privilégié une méthode ciblée et expérimentale

Soucieux de lancer l’activité de la CPI sans tarder, le premier procureur de la Cour, Luis Moreno Ocampo, fait dès le début de son mandat un choix audacieux : les situations et les affaires qu’il poursuivra sont celles que lui soumettront les États sur le territoire duquel les crimes poursuivis se sont déroulés. Ceci ne s’est pas arrêté avec le départ d’Ocampo comme le montrent les enquêtes ouvertes au Mali et en RCA (deuxième enquête) par la procureure Fatou Bensouda.

D’emblée, il introduit dans la pratique de la CPI une méthode, celle de l’auto-saisine, qui n’était pas réellement prévue par les négociateurs à Rome, même si le texte des articles 13 et 14 du statut ne l’exclut pas. Un État demande à la CPI d’exercer sa compétence sur une situation qui s’est produite sur son territoire et lui accorde une pleine coopération pour ce faire. Elle est donc à l’origine de la grande majorité des affaires dont les juges de la CPI ont à connaitre : il s’agit d’affaires que les autorités de certains pays, tous africains, préfèrent, voir traiter par la CPI plutôt que de les voir examinées par leurs propres tribunaux. Successivement l’Ouganda, la RDC, la RCA (à deux reprises), et le Mali défèreront a la CPI des situations qu’ils souhaitent lui confier. On peut ajouter à cette liste la Cote d’ivoire qui, si elle n’a pas saisi la CPI en application des articles 13 et 14 du statut puisqu’elle n’était pas à l’époque État parti au Statut, en a cependant reconnu la compétence en application de l’article 12-3 du statut. Les affaires qui découlent de ces situations remplissent aujourd’hui le rôle de la Cour avec les affaires Gbagbo et Blé Goudé, Ntaganda, Ongwen qui font l’objet d’audiences.

Les avantages de cette approche sont patents pour la procureure : la coopération des États est acquise, le recueil des preuves, la recherche des témoins peuvent se dérouler dans les meilleures conditions. La procureure qui doit sélectionner les affaires qu’elle entend poursuivre en raison des ressources limitées de la CPI, peut ainsi choisir de faire porter son effort en priorité sur tel ou tel crime de façon à créer des références valables pour tous les adhérents au Statut. Elle a ainsi privilégié des accusés de rang moyen et fait porter son effort sur des thèmes comme le recours aux enfants soldats et les crimes sexuels. Le risque est clair : sont poursuivis en priorité ceux dont le pouvoir en place souhaite se débarrasser, notamment les anciens chefs de guerre défaits ou vaincus des urnes. Tel est bien le profil des premiers accusés de la CPI : Lubanga, Katanga ou Bemba.

Deux exemples récents – plutôt positifs pour la CPI – permettent de prendre la mesure des résultats de cette méthode. Le 21 mars dernier, la chambre de première instance III a rendu son jugement sur l’affaire Jean-Pierre Bemba, politicien et chef de milice de la RDC dont les 3

troupes étaient intervenues au cote des forces gouvernementales dans une des multiples guerres civiles centre-africaines en 2003. La RCA avait saisi la CPI des crimes intervenus sur son territoire pendant cette période et la procureure a fait porter son choix sur le cas de Jean-Pierre Bemba, s’abstenant de mettre en cause les autres protagonistes de la guerre civile. La cour a reconnu Jean-Pierre Bemba coupable de cinq chefs de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en tant que chef militaire, responsable du fait de sa situation de commandement au titre de l’article 28(a) du Statut. C’est la première application de ce mode de responsabilité par la CPI. C’est la première fois qu’intervient à la CPI une condamnation pour viol en tant que crime contre l’humanité et en tant que crime de guerre. On retiendra que le viol d’un homme figure parmi les témoignages retenus par le jugement. Le texte du jugement, relativement compact avec ses 364 pages, reprend largement la jurisprudence de la décision Katanga en matière de définition des crimes mais il aura fallu presque deux ans aux juges pour en délibérer à l’issue des audiences. Jean-Pierre Bemba s’est vu infliger une peine de dix-huit ans de prison. Il a fait appel tant du jugement que de la peine. Une affaire complémentaire liée à des accusations de subornation de témoins par l’équipe de défense de Bemba dans l’affaire principale a fait l’objet, le 19 octobre, d’une décision retenant la culpabilité de Bemba et de ses quatre co-accusés. La sentence devrait suivre prochainement.

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Photo : Jean-Pierre Bemba et ses co-accusés devant la chambre VII

Deuxième succès pour la CPI, les audiences qui viennent d’être consacrées à Ahmad al-Mahdi, ressortissant malien qui s’était livré à la destruction de mausolées à Tombouctou en 2012. Il s’agit du premier procès par un tribunal international exclusivement consacré à des 4

atteintes à des biens culturels. L’accuse a plaidé coupable ce qui explique la rapidité de l’instruction et la brièveté des audiences. Cette affaire doit beaucoup au soutien accordé par la France à l’enquête. Elle revêt un aspect exemplaire puisque les atteintes portées aux monuments ayant une forte valeur symbolique pourront désormais faire l’objet de poursuites en tant que crimes de guerre au sens du Statut de Rome. Le 27 septembre la chambre de première instance VIII a déclaré al Mahdi coupable du crime de guerre consistant à attaquer des bâtiments à caractère religieux et historique à Tombouctou et l’a condamné à neuf ans d’emprisonnement. La chambre a retenu que l’accusé avait fourni une contribution essentielle au crime mais qu’il pouvait bénéficier des circonstances atténuantes en raison de son aveu de culpabilité et de la coopération dont il a fait preuve avec la Cour. La procureure pourrait engager des poursuites contre d’autres crimes qui se sont produits au Mali, pays qui en a saisi la CPI.

2/ Les conditions qui permettent à une CPI d’exister et de progresser restent fragiles et mal assurées

Chacun l’a à l’esprit : la CPI ne peut compter sur la participation des États-Unis, de la Chine, de la Russie, du monde moyen-oriental et de la majorité de l’Asie. Les pays d’Europe occidentale, orientale et certains pays d’Asie sont ceux qui assurent son coût de fonctionnement et qui lui fournissent le soutien en matière d’aide judiciaire dont elle a besoin pour nourrir ses affaires, à ce jour toutes africaines. La France est au premier rang des avocats de la CPI au Conseil de sécurité et des fournisseurs de coopération judiciaire.

Mais, l’existence de la CPI ne suffit pas à elle seule à susciter une stratégie pour son bon usage, quatorze ans après l’entrée en vigueur du Statut de Rome. Il faut également un engagement constant de tous les acteurs étatiques et de la société civile qui joue depuis l’origine un grand rôle dans la vie de la CPI. Cet engagement parait inégal parmi les signataires du statut de Rome. Une partie des soutiens de la cour commence à s’interroger sur la progression permanente du coût d’une Cour qui n’a produit que peu de jugements jusqu’à présent. La perspective d’affaires palestiniennes peut susciter des inquiétudes tout comme, pour un petit nombre d’États, l’entrée en vigueur du crime d’agression. La question de la prise en compte des grands crimes du XXIeme siècle comme ceux commis par le régime syrien reste posée, aucune juridiction n’ayant encore été retenue pour en connaitre.

Or la cour est désormais activement contestée par certains États en raison même des choix centrés sur l’Afrique qu’elle a fait pour engager son activité. Un courant hostile à la CPI est apparu en Afrique animé par un groupe de six pays qui visent à la mise en place d’une Chambre pénale africaine de la Cour africaine des droits de l’homme et au retrait des pays d’Afrique du Statut de Rome. Il prend une certaine ampleur. Il se nourrit des suites des affaires Kenyatta et Ruto, mais aussi du mandat d’arrêt délivré contre un chef d’État en exercice, le soudanais Omar el Bashir. 5

Les élections présidentielles au Kenya en 2007 ayant donné lieu à des violences à grande échelle, la CPI s’est trouvée saisie à la suite de l’incapacité de la commission d’enquête africaine à faire engager des poursuites par les tribunaux locaux. Les candidats vaincus à l’élection – Kenyatta et Ruto et quatre autres acteurs – ont été cités à comparaitre devant la CPI comme instigateurs potentiels de ces violences. Les enquêtes n’ont progressé que lentement dans un contexte local difficile. Dès que les deux accusés principaux se sont fait élire aux élections suivantes, respectivement président et vice-président du pays, les procès ont pris une tournure difficile pour l’accusation. Les témoins identifiés se sont rétractés ou ont connu des accidents malheureux. En ce qui concerne le président Kenyatta, la procureure a demandé le renvoi sine die du procès dans l’attente d’une coopération pleine et entière des autorités kenyanes mais ceci a été refusé par les juges.

La procureure a dû retirer toutes les charges contre Kenyatta le 5 décembre 2014. Le 5 avril 2016, la chambre de première instance v(a), a fait droit à la requête déposée par les accuses Ruto et Sang lui demandant de conclure à l’insuffisance de moyens à charge et de prononcer un non-lieu. La chambre a décidé à la majorité des trois juges de mettre fin à l’affaire, car l’accusation n’avait pas présenté d’éléments de preuve suffisants lui permettant de déclarer les accusés coupables. Une décision d’acquittement a été écartée au profit d’une annulation des charges et d’un non-lieu en faveur des accusés. La CPI a donc introduit dans sa pratique le no case to answer (ou requête en vue de constater l’insuffisance des preuves présentées par la procureure), méthode directement empruntée à la Common Law. Elle s’est heurtée au défaut de coopération d’un État qui a été dénoncé en termes vigoureux par la procureure. Les juges ont dû en prendre acte. Le 19 septembre, la chambre V(b) a déféré le gouvernement du Kenya à l’Assemblée des États parties pour défaut de coopération, après que la chambre d’appel ait annulé un premier refus de sa part.

Les affaires kényanes font apparaitre combien la coopération des États reste la condition sine qua non du travail de la Cour. Celle-ci est presque désarmée pour protéger les témoins et les victimes quand l’État qui contrôle la situation lui devient hostile. Le principe de complémentarité peut également être invoqué par les États qui souhaitent garder le contrôle de certaines affaires. J’en veux pour exemple le contraste entre la situation de Laurent Gbagbo présent à la Haye à l’initiative des autorités ivoiriennes et celle de Simone Gbagbo poursuivie devant la cour d’assises d’Abidjan en dépit d’un mandat d’arrêt émis par la CPI. On notera que les soutiens de la CPI en dehors de l’Afrique et au sein de celle-ci sont restés très discrets dans l’affaire kenyane.

Ils le sont également quand il s’agit de permettre à la CPI de procéder à des arrestations et de recueillir les preuves dans les deux situations qui lui ont été déférées par le Conseil de sécurité des Nations unies concernant le Darfour et la Libye. En dépit des demandes répétées de la procureure à celui-ci, le Conseil n’a pas donné de suite à ses demandes et les mandats d’arrêt contre le président Bashir ou Saif al Islam Kaddafi n’ont pas pu être honorés. 6

La justice pénale internationale doit donc composer avec les réalités de la politique internationale. Cette limitation a été dénoncée par plusieurs ouvrages récents. Elle n’exclut pas que l’existence de la CPI puisse jouer à elle seule un rôle significatif pour dissuader certains dirigeants de recourir à la violence contre leur propres citoyens en vue de surmonter les problèmes qu’ils rencontrent. Il est frappant de voir à quel point la saisine de la CPI est devenue un argument récurrent chaque fois que des crises graves éclatent aussi bien en Afrique qu’ailleurs. À défaut d’être assez dissuasive, la CPI occupe une vraie place dans le domaine de l’imaginaire collectif. La contrepartie de cette présence dans les esprits est que les attentes suscitées ne sont pas toujours suivies d’effet.

3/ Le projet d’une Cour exemplaire contribuant à faire émerger une pratique et une jurisprudence de référence en est encore à ses débuts

Les affaires présentées aux juges par la procureure leur offrent des possibilités très variées de dégager des pratiques et de tracer des jurisprudences adaptées aux grands crimes en interprétant le statut de Rome qui a été adopté dans l’urgence. Mais les chambres de la CPI regroupent des juges issus d’horizons et de cultures différentes qui restent attachés à leurs méthodes d’origine. Ils s’appuient sur des assistants juridiques le plus souvent issus des tribunaux ad hoc et imprégnés des pratiques qui y avaient cours. Chaque chambre tend donc à développer ses méthodes propres pour chaque affaire, avec une dominante de Common Law. Ceci a été affirmé avec force par la chambre de première instance V, en charge des affaires kenyanes au mois de janvier 2013 lorsqu’elle a affirmé que l’article 64-2 du statut donnait un large pouvoir discrétionnaire a chaque chambre de première instance pour s’assurer que le procès était équitable. Les choix faits à l’occasion des premières affaires en matière de techniques de rédaction sont en train d’être remis en cause. La francophonie a du mal à préserver sa place car seuls quatre juges sur dix-huit maitrisent le français, en dépit du fait que la majorité des affaires suivies par la Cour concernent des accuses francophones. 7

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Photo : le juge Marc-Perrin de Brichambaut lors de l’audience sur les réparations dans l’affaire Lubanga, octobre 2016, chambre II

La chambre d’appel n’a pas pour souci principal de dégager une jurisprudence commune à toutes les traditions présentes à la CPI, se contentant de répondre aux questions ponctuelles qui lui sont posées. Elle ne tente donc pas d’émuler ce que fait la CEDH dans la durée. Il faut aussi rappeler que le statut, en application de son article 21-2, ne fait pas obligation aux chambres préliminaires ou de première instance de suivre la jurisprudence de la chambre d’appel. Il n’existe encore aucune banque de données permettant de consulter les décisions des différentes chambres de façon systématique, le seul instrument existant ayant été mis de côté. Les conditions propices pour que les juridictions nationales puissent s’inspirer de la pratique et des jugements de la CPI ne sont pas encore remplies. Cela peut paraitre sans conséquence pour le travail des juridictions des pays avancés comme la France mais cela limite l’exemplarité du travail de la Cour dans les pays qui sont en train de se créer une pratique de la lutte contre l’impunité. Ajoutons à cela que, comme toutes les organisations internationales, la CPI souffre de rivalités et des luttes d’influence en son sein.

La Cour vient d’entamer un processus de réformes pour accélérer l’examen préliminaire des affaires et le déroulement des audiences. Cela devrait lui permettre de traiter un plus grand nombre d’affaires, sans doute de mener trois procès simultanément. La procureure a obtenu l’autorisation de commencer une enquête concernant le conflit qui s’est déroulé en Géorgie a l’été 2008.

Le projet CPI reste un chantier ou les débats vont se poursuivre dans la durée. Je voudrais en donner pour exemple l’affaire des navires battant pavillon comoriens, grec et cambodgien. En 2013, les Comores ont saisi la procureure des conditions et des conséquences de l’arraisonnement par les forces israéliennes au large de Gaza d’un navire battant pavillon 8

comorien, le Mavi Marmara, qui proclamait avoir pour objectif d’apporter de l’aide humanitaire à la population de la bande de Gaza soumise à un embargo par Israël. Cet incident avait couté la vie à dix personnes, blessé des dizaines de personnes et provoqué l’arrestation de plusieurs centaines d’autres. C’était la première fois qu’un État saisissait la CPI d’une plainte concernant le comportement d’un autre État, en l’occurrence non-signataire du Statut. Après avoir examiné la situation qui lui était déférée pendant près de deux ans, la procureure a estimé le 6 novembre 2014 que les critères d’ouverture d’une enquête n’étaient pas remplis. Elle a annoncé la clôture de l’enquête préliminaire comme elle en a le pouvoir. Pour justifier cette décision, elle invoquait l’irrecevabilité d’une affaire qui ne satisfaisait pas au critère de gravite prévu par l’article 17-1-d du statut.

Mais l’article 53-3 du statut permet à l’État qui a déféré l’affaire de demander à la chambre préliminaire de réviser la décision de la procureure. C’est-ce qu’on fait les Comores. Le 16 juillet 2015, une majorité de la chambre préliminaire compétente a fait droit à la demande des Comores et a demandé à la procureure de reconsidérer sa décision. La décision de la chambre préliminaire évoque le défaut de prise en compte par la procureure des faits tels qu’ils se sont déroulés sur les deux navires et, au-delà, des faits sur lesquels la Cour aurait pu exercer sa compétence. Elle retient certains facteurs d’analyse de la gravite (échelle, nature, mode de commission, impact) qui remettent en cause la méthode retenue par la procureure. La procureure a fait appel de cette décision. La majorité de la chambre d’appel a rejeté l’appel de la procureure comme étant irrecevable. Celle-ci doit maintenant dire à nouveau si elle entend entamer des poursuites dans cette affaire dite du Mavi Marmara. Elle prend son temps.

L’affaire est intéressante car elle porte, entre autres questions, sur le contrôle juridictionnel des choix faits par la procureure pour identifier des affaires au sein des situations qui lui sont soumises. Elle permet de toucher du doigt combien promet d’être difficile, pour la CPI, la prise en compte des multiples demandes présentées par la Palestine, désormais partie au Statut. La CPI se construit donc dans la difficulté, ses procédures sont lentes et dépendantes de la bonne volonté, rarement désintéressée, des États. Elle cherche toujours sa voie sur la plupart des questions de droit qui lui ont posées. Ainsi les procédures en vue d’accorder des réparations aux victimes des condamnes se révèlent lentes et difficiles car elles exigent l’identification de ces victimes, des préjudices qu’elles ont subi et la coopération d’un organe autonome, le Fond pour les victimes pour la définition et programmes de réparations. La CPI se construit donc dans la peine avec le bois tordu de l’humanité, pour reprendre la formule d’Isaiah Berlin.

Il faudra du temps et des circonstances favorables pour que la CPI remplisse progressivement sa dimension exemplaire et pose les jalons d’un droit pénal international cohérent. Il faudra surtout une continuité soutenue dans l’engagement des États signataires du Statut et de la société civile autour de ce projet expérimental, exemplaire mais intrusif pour la souveraineté des États. Souhaitons que ce soutien se manifeste et se renforce dans les années qui viennent. 9

Marc-Perrin de Brichambaut