Construire la sécurité des lieux de justice

La sécurité est un enjeu majeur et diffus des politiques de justice, dont il faut prendre le temps de décrire les multiples paysages afin de mieux cerner les diverses attentes dont il fait l’objet. A partir notamment des quatre acceptions de la notion héritées de notre tradition philosophique, chercheurs et professionnels de différents pays se sont réunis à Paris le 5 juin dernier pour échanger autour de leurs travaux et de leurs pratiques, dans le cadre d’un atelier co-organisé par l’IHEJ et l’université de Western Sydney.

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Qu’il s’agisse du bâtiment de justice exposé à des dégradations diverses ou au vandalisme, de se prémunir de l’intrusion d’objets dangereux, de la survenance d’attaques en tout genre, ou de parer aux risques naturels; qu’il s’agisse des tensions ou des incivilités qui hantent les espaces d’accueil et viennent perturber des interactions déjà difficiles en matière pénale ou familiale, des incidents d’audience et des menaces en tous genre qui pèsent sur le cours des procès dits à risques ; qu’il s’agisse encore de gérer les flux de circulation quotidiens des personnes et des dossiers qui entrent, sortent, évoluent des heures durant dans les couloirs des cours et tribunaux, ou transitent à distance à travers les systèmes d’information de la justice; qu’il s’agisse enfin du ressenti des justiciables, aussi bien que des jurés, des professionnels magistrats, avocats, des personnels de justice et des représentants de l’ordre, lorsque ceux-ci se rendent au palais pour remplir leurs obligations de toute sorte : la sécurité est un enjeu majeur et diffus des politiques de justice. Un enjeu dont il faut prendre le temps de décrire les multiples paysages, car derrière le souci de sécurité se cachent des attentes très différentes qu’illustre à sa manière cet inventaire à la Prévert.

La philosophie nous offre quelques moyens d’y voir plus clair dans cette liste de revendications et de bâtir des politiques de justice adaptées à chacun des enjeux de sécurité que l’on retrouve mobilisés quotidiennement dans nos cours et tribunaux. Dans son dernier ouvrage Le Principe Sécurité (Essais Gallimard, Octobre 2012), Frédéric Gros distingue ainsi quatre acceptions de la notion de sécurité, quatre foyers de sens qui auront été mobilisés successivement à différentes périodes de notre histoire. La sécurité, davantage qu’un sentiment, illustre d’abord un état d’esprit du sujet que l’on rapprocherait aujourd’hui de l’idée de sérénité. Mais la sécurité désignera aussi plus tard l’absence de dangers entendue non plus comme une disposition subjective, mais comme une situation objective dans laquelle l’absence effective de menace permet l’émergence de la confiance. Vient ensuite la sécurité entendue comme une composante d’un ordre public matériel caractérisé par l’absence de périls pour la vie, la liberté ou le droit de propriété, c’est-à-dire un ensemble de garanties apportées et incarnées par l’État. La sécurité c’est enfin et plus récemment, l’idée de maintenir, par un contrôle des flux, le fonctionnement normal d’une activité, le déroulement attendu et ininterrompu d’un processus au service d’une finalité.

Présents dans notre tradition philosophique depuis des siècles pour certains d’entre eux, ces quatre foyers de sens fonctionnent aujourd’hui simultanément dans nos débats sur la sécurité, entremêlant les enjeux au lieu de les éclairer. Les politiques à mettre en œuvre pour la justice n’échappent pas à ce constat d’autant que cette dernière se retrouve en quelque sorte doublement investie d’une mission de sécurité. Dans les lieux où elle s’exerce d’abord : en mobilisant un ensemble de compétences techniques dans la conception, la maintenance et la gestion de ces lieux ; en travaillant son langage ensuite à travers le symbolisme et les rituels ; en mettant au point et en appliquant des procédures et des protocoles pour chacun des actes de la vie judiciaire. Une sécurité dont la justice est aussi investie au titre de la protection ultime de nos droits qui lui échoit de par nos constitutions, pour le maintien d’une société démocratique et notre souci du vivre ensemble. Cet atelier a été divisé en quatre sessions qui se sont succédé dans un ordre différent de l’ordre chronologique hérité de la tradition philosophique. Il a réuni chercheurs et professionnels de différents pays afin de partager, du point de vue de leurs travaux ou de leurs pratiques, comment ces quatre illustrations du « principe sécurité » inspirent les réflexions des uns et les réalisations concrètes des autres en la matière. Un dialogue nourri de théorie et de pratique dont l’unique objectif est d’aider à améliorer nos expériences de justice.

Harold Epineuse
Responsable du programme Politiques de justice à l’IHEJ
David Tait
Professeur à l’université de Western Sydney