L’architecture judiciaire en temps de crise : un regard américain

Réaménagement des espaces, attention portée à l’environnement : au-delà de la maîtrise des coûts, la crise stimule l’imagination des architectes américains et renouvelle leurs pratiques. Les dernières tendances d’une architecture judiciaire réinventée.

Réunis en congrès comme chaque année à l’automne sous l’égide de l’American Institute of Architects, les architectes américains qui ont fait de la construction de bâtiments de justice leur spécialité ont cette fois placé  la crise économique au cœur de leurs réflexions.

Une crise qui finit par affecter les commandes publiques aux Etats-Unis, au niveau fédéral comme au niveau des Etats. A n’en pas douter, cette crise est une contrainte majeure sur les projets des architectes à qui l’on demande d’explorer des voies nouvelles pour la construction ou la rénovation des bâtiments de justice dans le respect de budgets toujours plus restreints.

Pour autant, si elle n’a d’autre choix que de s’adapter au contexte morose des années 2010, l’architecture judiciaire ne peut à l’autre bout du spectre ignorer qu’elle demeure un investissement réel et symbolique pour les générations futures, un repère pour la démocratie, et brader cet héritage séculaire sous prétexte de crise ne saurait passer pour une bonne politique.

Car le palais de justice n’est pas un lieu comme les autres. Il est le témoin pour longtemps d’un état de la justice à un moment donné : de l’attention portée aux personnes qui y travaillent à la façon dont on y accueille le public, et jusque dans l’image qu’il impose à ses visiteurs et dans la cité. Le dilemme de l’architecture en temps de crise peut donc se résumer ainsi : comment continuer à faire pareil – voire mieux – avec  moins ?

La mutualisation des espaces ou la fin de l’exception judiciaire américaine

La première piste évoquée lors du congrès de novembre dernier concerne l’aménagement des espaces de travail pour réduire la surface à construire et donc son coût. Les juges américains avaient fini par s’habituer à l’idée que chacun puisse régner sur un espace particulier du palais : une salle d’audience, une chambre et des parties administratives qui leur étaient propre.

L’heure est désormais à la mutualisation des espaces, ce qui rapproche évidemment le design judiciaire américain de ce qu’il est depuis longtemps en Europe : un exercice d’aménagement subtil et  ordonné, dans lequel cohabitent des professionnels regroupés selon leur rang. Salles d’audiences partagées et même parfois bureaux communs à plusieurs juges, greffes regroupés en plateaux, accueil du public dans des zones réservées : une petite révolution qui tranche avec l’image que donnent encore aujourd’hui les fictions judiciaires américaines du juge et de sa cour, un espace où s’exprime d’abord la parole propre du juge (comme l’emploi de la première personne dans le texte des décisions qu’il rend) avant celle de l’institution. Pour le juge américain, ce changement n’est rien de moins que l’entrée d’un imaginaire administratif dans un lieu plutôt tourné vers le politique.

A vrai dire, cette évolution de l’espace judiciaire n’est pas entièrement nouvelle aux Etats-Unis, qui depuis les années soixante a toujours cultivé le souci d’améliorer la fonctionnalité des lieux et le service au public. Mais la tendance décrite précédemment semble se généraliser et devenir la règle de l’Est à l’Ouest du pays, et prendre même un nouveau virage avec la crise : celui de devoir reconsidérer dans leur ensemble les usages du bâtiment traditionnellement construit autour de la salle d’audience.

Car la mutualisation, c’est aussi la polyvalence. Le palais de justice apparaît de moins en moins comme la propriété des juges au profit d’un lieu de rencontre citoyen toujours plus ouvert sur la ville. Les larges espaces qui, aux Etats-Unis, servent à réunir les cohortes de jurés en conférence, doivent pouvoir servir d’autres institutions ou services publics et répondre à leurs besoins immobiliers ponctuels ou réguliers. La mutualisation à l’œuvre aux Etats-Unis enfin, c’est une façon  de revoir en profondeur la façon de travailler des professionnels : regroupement des services sur un même lieu, salles d’audiences modulaires qui peuvent répondre à de multiples besoins procéduraux, levier des nouvelles technologies pour plus de mobilité, remise à plat des horaires pour optimiser l’occupation des locaux par fonction. Plus que jamais, la construction de l’espace judiciaire semble intimement liée au modèle de management des services, et ce très en amont du projet comme en témoigne le développement des nouveaux modes de financement et de réalisation des infrastructures publiques pour la justice