Cyberjustice : quand le Canada anticipe le procès du futur

L’emploi de solutions technologiques dans l’administration de la justice n’est pas nouveau, mais leur efficacité et l’avenir qui leur est réservé fait désormais l’objet d’une recherche approfondie menée par l’Université de Montréal, dans le cadre d’un projet pluridisciplinaire auquel s’est associé l’IHEJ.

Qui fréquente régulièrement les tribunaux peut avoir une idée des applications informatiques qui ont envahi la sphère judiciaire ces dernières années : gestion des affaires en réseau, communication électronique avec les parties, bornes d’accueil et d’information pour le public…

Des exemples qui ne sont que la partie émergée de l’iceberg dans la révolution technologique qui se prépare, pense-t-on à l’Université de Montréal, où une équipe de recherche pluridisciplinaire se penche sur les voies qui nous conduisent (peut-être) tout droit vers une cyberjustice. Mais qu’est-ce au juste, que la cyberjustice ?

On pourrait résumer le champ à l’ensemble des solutions technologiques, en particulier informatiques, qui contribuent ou peuvent concourir à l’administration de la justice dans l’espoir d’améliorer la qualité du service rendu au justiciable, quand ce n’est pas plus directement la nécessité de voir baisser son coût.

Pour citer d’autres exemples : le dépôt des requêtes et des pièces en ligne, l’usage de la visioconférence pour la tenue de procès en différents lieux simultanément,  de même que les plateformes automatisée de résolution des litiges pour les petites créances, passent aux yeux de certains pour des solutions optimales dans l’offre de justice du XXIème siècle.

En tant que discipline, la cyberjustice appartient donc moins à la science juridique fiction qu’à l’analyse de solutions déjà applicables ou en développement qui feraient passer en quelques décennies une institution dont l’image reste – tout au moins en France – associée aux dessins de Daumier, à celle d’un service public parmi les plus high-tech qu’aucune série télévisée judiciaire américaine n’a encore jamais osé mettre en scène.

De l’expérimentation à l’évaluation

Or, on peut légitimement se demander si la cyberjustice, telle qu’elle existe aujourd’hui, fonctionne de manière satisfaisante et quel avenir elle nous promet. C’est précisément l’orientation du projet de recherche mis au point par le Centre de recherche en Droit Public de l’Université de Montréal auquel l’IHEJ s’est associé pour l’occasion.

Une première subvention a permis le financement d’un laboratoire doté en matériel et en personnel, qui constitue la troisième plateforme de ce type accessible aux chercheurs et professionnels de la justice à travers le monde. Lieu d’expérimentation, il produira des outils informatiques sur commande pour être testés dans une perspective techno-juridique. Peu à peu, sur la base d’un noyau logiciel développé à la demande des autorités canadiennes, des applications verront le jour et seront mises à la disposition des différents professionnels en version « open source » pour servir les besoins des justices partenaires.

La seconde subvention financera un travail d’évaluation socio-juridique des applications de cyberjustice sur sept années. A partir d’un inventaire des solutions disponibles, une évaluation sera conduite qui interrogera le niveau de réponse aux besoins des utilisateurs et les effets induits par les nouvelles technologies sur les pratiques professionnelles et l’accès à la justice pour les citoyens. Enfin, ce sont les bases de nouveaux modèles processuels contraints par la technologie que l’équipe tentera de mettre à jour, si l’utilisation croissante de ces procédés dans l’administration de la justice devait continuer à s’imposer. A noter que le projet canadien n’interroge pour le moment que les évolutions de la justice civile, qui ont été l’objet de moindres attentions ces dernières années au Canada.

L’IHEJ, parmi d’autres organismes français et européens (les universités de Paris Ouest Nanterre, Namur, Bologne et Amsterdam) a été choisi par l’Université de Montréal pour concourir à cette réflexion inédite qui, bien que privilégiant le cas de la justice canadienne, présente une grande ouverture aux expériences ainsi qu’aux analyses étrangères et internationales. La méthode suivie par le programme de recherche privilégie l’interdisciplinarité (elle réunit juristes, sociologues, psychologues, anthropologues et économistes) et constitue une base de départ pour d’autres recherches.

L’IHEJ de son côté étudie ainsi les conditions de réalisation d’un travail prospectif centré sur les réalités et les besoins des pays européens, avec pour horizon de produire une réflexion stratégique sur les enjeux du champ technologique à l’attention des professions et décideurs des politique de justice en Europe.

Harold Epineuse