Vidéoconférence et principes fondamentaux du procès : publicité et inmediación – Décryptage du cas espagnol

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« Vidéoconférence et principes fondamentaux du procès : publicité et inmediación en Espagne »

Par Imma Baral, Professeur à l’Université de Barcelone et Emilie Reissier, Juriste.

En septembre 2014


 

 

Notre siècle est celui des nouvelles technologies, les images et caméras sont omniprésentes dans notre quotidien. De leur utilisation première dans les loisirs, elles sont aujourd’hui devenues un outil de communication indispensable. Au-delà de la sphère privée, l’Etat s’en est également saisi afin de faciliter et améliorer la communication entre les citoyens et l’administration, et en ce qui nous concerne, l’administration judiciaire.

En l’Espagne, l’introduction des caméras dans les salles d’audience a été proposée dans le cadre d’une grande réforme de l’administration judicaire. Le gouvernement constatant le retard pris par les tribunaux et la perte de confiance de la population en son système judiciaire a lancé un grand programme de modernisation de la Justice. L’objectif était de réconcilier les justiciables espagnols avec l’administration de la Justice, et surtout d’accélérer les procédures afin de gagner en temps et en efficacité. Dès 2003, le législateur introduit une nouvelle disposition par une loi organique (LO 13/2003 du 24 octobre 2003) qui permettra aux juges d’utiliser la vidéoconférence. Cet article 229, qui consacre en son alinéa premier le principe de l’oralité, en son second les principes d’inmediación et de publicité, ouvre la possibilité d’exercer certaines actions par le biais de la vidéoconférence, « ou tout autre moyen de communication bidirectionnelle et simultanée du son et de l’image» lorsque des personnes sont géographiquement éloignées[1]. La dernière phrase de la disposition précise que cette procédure doit s’exercer dans le respect du principe de la contradiction et la préservation des droits de la défense. Sous cette dernière précision se tiennent de nombreux principes fondamentaux abrités par le droit fondamental de l’accès au juge consacré par l’article 6 de la Convention Européenne des droits de l’Homme.

Ce faisant, le législateur vient introduire l’utilisation des nouvelles technologies mais appelle immédiatement au respect des droits fondamentaux du procès consacrés par tous les systèmes européens sous l’égide de la CEDH. Est-il réellement possible de concilier les nouvelles technologies, et principalement l’utilisation des caméras lors de l’audience, avec le droit fondamental des citoyens d’accès au juge ? Comment les juridictions espagnoles ont-elles su adapter leurs principes procéduraux afin d’intégrer les nouvelles technologies au sein des palais de Justice ?

Avant de prévoir l’utilisation de la vidéoconférence, l’article susmentionné rappelle le principe d’oralité auquel est particulièrement attachée la procédure judiciaire espagnole. Ce principe est par ailleurs consacré dans la Constitution espagnole dans le titre disposant du pouvoir judiciaire[2]. Avant même l’introduction des nouvelles technologies, le procès espagnol avait pour principe de se dérouler principalement à l’oral. Or dans la pratique, au fil des années s’est développé une sorte d’abus de procédure consistant à remplacer le témoignage oral par une déclaration écrite quand la personne ne pouvait se déplacer ou par simple opportunité pratique. L’introduction des caméras dans la salle d’audience a mis un frein cette pratique de bureaucratisation : substitution partielle de l’oralité par des écritures dans la procédure (acceptée par les juges). Les interrogatoires, témoignages et rapports d’expert ne peuvent plus désormais faire l’objet d’actes « ad-hoc » écrits simulant la présence des parties à l’instance. Toutes les interventions se font désormais à l’oral, au cours d’une même procédure, en une unité de lieu et de temps. La vidéoconférence est donc appréhendée comme ayant renforcé ce principe de valeur constitutionnelle.

D’autre part, le principe de publicité lui aussi rappelé par la disposition 229 de la loi organique, est consacré dans la Constitution[3]. Il est conçu à la fois comme une garantie processuelle et comme un instrument de contrôle social de l’activité judiciaire. Il offre une perspective particulière de légitimation du juge, plus de visibilité pour la société. De ce fait, l’insertion de caméras dans les salles d’audience a permis de rapprocher le système judiciaire des citoyens espagnols. La consistance du procès dans tous ses détails apparait désormais sur l’enregistrement, le principe de publicité retrouve toute sa substance. On pourrait presque parler de diffusion (de la vidéo du procès) plutôt que de publicité. L’enregistrement vidéographique des audiences est désormais obligatoire du fait de la loi. Il remplace l’ancien acte écrit, qui est désormais rédigé sous la simple forme d’un « acte succinct ». Le déroulement exact de l’audience est conservé sur l’enregistrement audiovisuel, on ne retranscrit plus littéralement ce qui s’y passe.

En outre, la procédure judiciaire espagnole connait un principe que l’on ne retrouve pas en droit français. Le principe inmediación impose la présence du juge lors de la démonstration de tous les actes de procédure et plus particulièrement pour la pratique de la preuve, de manière à ce qu’il soit garanti que le juge qui les a connu directement soit le même qui dicte la sentence[4]. Ici le système de vidéoconférence a permis de rassembler tous les actes de procédure, en particulier les témoignages, devant un seul et même juge, malgré la distance.

Nous reviendrons en premier lieu sur le principe de publicité (I) et les conséquences de l’enregistrement automatiques des audiences de première instance dans les tribunaux espagnols, avant d’étudier l’influence concrète de l’utilisation de la vidéoconférence sur les principes de présence et d’inmediación (II).

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(I) Le filmage des audiences au service du principe de publicité

Le principe de publicité est inscrit aux articles 120.1 et 120.3 de la Constitution espagnole. Ces articles imposent que les actions judiciaires et les sentences soient prononcées en audience publique. Désormais, le filmage des audiences permet d’avoir accès au jugement de façon encore plus précise ou plus directe. Il a également facilité le travail des juges à postériori pour connaitre du bon déroulement de l’audience.

 

  1. Influence de l’enregistrement du son et de l’image lors de l’audience sur le processus décisionnel

 

Le filmage des audiences a permis d’avoir accès au jugement sous forme de vidéographie. Il est désormais possible de visionner le procès de manière beaucoup plus précise que ce dont on pouvait en apprécier avec le rapport écrit. Pour autant, il sera nécessaire de ne pas assimiler enregistrement du procès et le jugement lui-même. La vidéo ne peut en rendre compte en totalité de tout ce qui s’est passé lors du jugement ; même si l’enregistrement est une représentation très fidèle de ce qui s’est passé, il reste différent du jugement en lui-même. Certains comportements ou actes peuvent échapper au filmage ou ne pas apparaitre sur la vidéo. Ainsi si les deux sont très proches, il conviendra de ne pas les confondre totalement.

L’un des problèmes soulevés lors de l’introduction des caméras dans le prétoire a été l’éventuelle perte de spontanéité de la part des intervenants au procès. La présence de caméras forcerait alors une forme jeu et de perte d’authenticité. Les intervenants pourraient alors être intimidés, gênés et ainsi agir de manière peu naturelle. De fait, dans un premier moment, dans certains organes judiciaires on a constaté une certaine « répétition » du procès sans enregistrement avant de procéder à l’audience devant les caméras. On pourrait alors se trouver face à une forme de mise en scène du procès[5]. Le juge aurait un peu le rôle d’un metteur en scène donnant des instructions aux différents acteurs du procès : position des intervenants face aux caméras, s’assurer qu’ils s’expriment assez fort pour que cela transparaisse bien sur l’enregistrement… Pourtant le risque de mystification du procès à cause de l’enregistrement audiovisuel reste minime. En premier lieu, parce que le procès en lui-même est une situation de artificielle et ritualisée. Il est une reconstitution indirecte du conflit, la reproduction des instruments de défense permet de faire la lumière sur ce qui s’est passé. Les moyens de preuve doivent être émis selon les règles légales qui combinent efficacité et respect du contradictoire. Ainsi l’éventuelle absence de spontanéité dans le jugement ne dépend pas tant de l’enregistrement que du caractère formel par essence d’un tel acte. Le rituel judiciaire en lui-même est une partie importante du déroulement du procès. Ainsi la perception des parties du jugement n’apparait pas tellement modifiée du fait de l’introduction des caméras. Elle peut au contraire renforcer le caractère formel du procès mais ne le modifie pas substantiellement dans sa forme ou dans le fond. Dans la pratique, sur les enregistrements audiovisuels, on constate que les procès se déroulent de la même façon que les précédents sans enregistrement.

D’autre part, le fait d’enregistrer le procès a permis de faire entrer le langage corporel dans la procédure, il devient accessible sur la vidéo ce qui était impossible sur les documents écrits (ou beaucoup plus difficile). Aussi, il ne relève plus uniquement du for intérieur du juge, ce qui introduit plus d’objectivité. Dès lors, il peut être utilisé par le juge pour l’évaluation de la preuve au moment de rendre sa sentence et ce dernier peut appuyer sa motivation sur de tels éléments qu’il était difficile d’introduire auparavant.

L’un des premiers constats de la doctrine suite à l’introduction des caméras dans le prétoire espagnol fut que le filmage de l’instance a fait reculer une certaine corruption processuelle[6] quant à l’attitude du juge lors de l’audience orale. Monsieur Cabezudo Rodriguez relève que le juge est plus présent au procès, que ce dernier connait mieux le dossier en amont. Le juge espagnol est contraint de rendre sa sentence immédiatement après l’audience. Si les circonstances l’en empêchent, la vidéo est désormais disponible. Elle a le potentiel de lui rafraichir la mémoire, sans doute de manière beaucoup plus détaillée que la retranscription écrite. On touche ici à la problématique de l’accès au juge (première des garanties de l’article 6 de la CEDH). Il semblerait que l’introduction des caméras ait permis aux parties d’avoir accès à un juge plus présent, mieux au fait de toutes les circonstances du litige. Quelles conséquences pour le juge ou les avocats si on s’aperçoit d’une faute processuelle ?

L’un des autres avantages de l’enregistrement des audiences est que le principe d’unicité de l’instance est réalisé de manière plus sûre : on évite les dispersions processuelles. De la même façon, si certains auteurs ont pu noter une meilleure présence du juge lors de l’audience, la doctrine remarque également que la présence des caméras oblige la réunion de toutes les étapes du processus en une unicité de temps et de lieu. Il n’est plus possible pour le juge d’accueillir les parties dans son bureau, lorsque celui-ci possédait un ordinateur, contrairement à la salle d’audience afin de procéder à la démonstration d’une preuve numérique. On gagne ici une vue d’ensemble sur le procès. De plus, pour le juge, il sera plus facile d’apprécier les preuves sur un seul document vidéographique plutôt que lire les témoignages et autres, parfois sur plusieurs documents en même temps.

En outre cette conséquence de la réunion en un même lieu et même temps de toutes les parties au procès à provoque un accroissement des conciliations inter-processuelles entre les parties, selon l’étude de Carlos Gomez Martinez[7]. L’obligatoire coïncidence en un même lieu et même temps des parties, avocats et juge offre l’opportunité de négocier et la possibilité d’un accord résultant de la mission de conciliation du juge établie aux articles 415.1 et 428.2 LEC. Il constate alors un effort de conciliation, tant de la part du juge qui est plus présent à l’audience, que des parties alors réunies et après un possible apaisement des tensions. L’auteur observe aussi que les parties font preuve d’une grande honnêteté et mesure dans leur propos, en raison du respect qu’impose une déclaration devant une caméra. Les parties ont conscience que le document audiovisuel pourra être vu à postériori. La Justice retrouve alors l’une de ses premières fonctions de règlement des conflits par la voie de la conciliation quand cela est possible.

Force est alors de constater que l’introduction des caméras dans les salles d’audiences est vue d’un œil particulièrement positif par la doctrine espagnole. L’enregistrement des audiences est appréhendé comme renforçant les droits fondamentaux des justiciables. Les auteurs constatent dans la pratique, un meilleur l’accès au juge, les acteurs du procès sentant le poids des caméras y participent d’autant plus que leur prestation est définitivement enregistrée, et accessible si besoin. De ce point de vue, le filmage des audiences n’est donc pas appréhendé comme une mise en danger des droits fondamentaux des parties au procès, mais comme facteur d’une meilleure justice, d’un juge plus accessible et plus présent au procès.

Outre les bénéfices de l’introduction des caméras sur l’attitude du juge de l’instance, l’enregistrement du procès a permis d’avoir une vision globale et précise de l’instance pour tous ceux qui auraient à en connaitre par la suite, notamment lors d’un recours contre le jugement de première instance.

 

  1. L’enregistrement, outil d’analyse du procès à postériori

Naturellement, la première destination que l’on prête à l’enregistrement vidéographique est la possibilité de voir ou revoir la scène bien après son déroulement. C’est ainsi que le filmage des audiences a conduit à l’amélioration de la publicité des procès puisque ce dernier est accessible plus facilement pour les parties. Si elles en font la demande, l’administration juridique peut leur envoyer le CD-rom sur lequel est gravé le déroulement de l’audience. En ce qui concerne les tiers intéressés, ils n’ont pas encore accès à la vidéo. A priori, pour Mr Gomez Martinez, aucune raison théorique n’empêcherait un tel envoi. En effet, si comme nous le verrons par la suite, l’enregistrement remplace le dossier écrit, que la procédure est par principe publique, il n’y aurait aucune objection à ce que le tiers ait accès à la vidéographie dans tous les cas où il est prévu que ce dernier ait accès à la sentence écrite. Il est pourtant nécessaire d’envisager la dimension technique et économique d’une telle évolution puisque cela supposerait des coûts supplémentaires (à faire peser sur l’administration ou sur le demandeur ?).

Il est évident que la publicité peut toujours être limitée par les droits des parties, des accusés (huit-clos), l’impartialité du tribunal, le droit d’expression des victimes, etc. Mais comme elle pouvait l’être avant, sans l’utilisation des nouvelles technologies. Cependant le droit à l’image n’est pas considéré comme faisant obstacle à la diffusion de la vidéo puisque le procès est considéré comme un acte public[8]. Tel est le raisonnement par analogie du Professeur Ignacio Anitua, depuis la décision du « Tribunal Constitutional » du 19 juillet 1989 sur la diffusion d’une session parlementaire de l’Assemblée régionale de Cantabria. Il considère que, tout comme une assemblée parlementaire, l’audience est un acte public par nature, ainsi les personnes présentes au procès ne peuvent opposer un droit à l’image qui empêcherait la diffusion des enregistrements réalisés. (Le Tribunal avait refusé de juger que le droit à l’image des députés empêchait la diffusion télévisuelle des débats).

Puisque désormais l’enregistrement vidéographique remplace le procès-verbal établit par la juridiction pour toute instance, la pratique a montré que la nouvelle problématique soulevée est celle de savoir ce qu’il advenait dans les cas où il faudrait faire face à un défaut d’enregistrement, que celui-ci soit défectueux ou n’est pu être réalisé.

La décision SAP Sevilla, 5, 20 janvier 2005, RAJ 2005/140298[9] nous expose le raisonnement à adopter dans une telle situation. L’article 147 de la loi de procédure civile charge le greffier de s’assurer du bon fonctionnement du matériel d’enregistrement. S’ils fonctionnent le greffier émet simplement un acte simplifié avec les éléments de dates, lieu, demandes et proposition des parties ainsi que la résolution et la décision du tribunal. Il pourra également retranscrire le cas échéant les circonstances et incidents n’apparaissant pas sur l’enregistrement. Cet acte écrit reste donc très restreint, le document faisant foi étant l’enregistrement vidéo. Dans le cas où la vidéo ne fonctionne pas, le greffier enregistre simplement le son du procès. Si ni la vidéo, ni le son ne fonctionnent, un rapport écrit complet du greffier vient se substituer à l’enregistrement.

L’article 146.2 n’interdit pas la rédaction d’un acte complet par le greffier qui s’ajouterait à l’enregistrement vidéo mais dans la pratique, le greffier considère sa mission remplie avec l’élaboration d’un acte succinct puisqu’il a confiance en l’enregistrement réalisé.

Or il est possible qu’un problème survienne lors de l’audience même si au départ, le matériel fonctionnait bien. Une fois encore, il faut rappeler que l’enregistrement sur le support recueillant la vidéo et le son est différent de l’acte procédural. En effet, il est l’une des formes ou moyens légalement prévus par la loi, mais qui doit être complété par l’acte succinct du greffier pour lui donner force probatoire.

Ainsi, la perte, l’inexistence ou la détérioration de l’enregistrement original n’implique pas nécessairement la nullité de l’instance de manière automatique. Lors de la perte de la « preuve » documentaire, les articles 232 et suivants de la LEC (loi de procédure civile) prévoit qu’elle puisse être substituée par le procédé opportun de reconstitution des pièces du dossier. Si cela s’avère impossible, qu’il n’existe aucune autre forme de documentation, et qu’il est également impossible de connaitre le contenu de l’action, la procédure est déclarée nulle. Ce qui est déterminant est alors l’existence ou non d’un contenu digne de foi (STAP Madrid, numéro 462/2006 du 3 octobre). De la même façon, différentes jurisprudences de juridictions inférieures[10] affirment qu’il faut mettre en lumière l’influence réelle du vice constaté, son incidence sur les droits des parties et vérifier s’il a vraiment causé une violation dans les droits de la défense.

De telles dispositions ont été établies en ayant pour objectif le fait que le tribunal d’appel doit pouvoir voir et observer les actions dans les mêmes conditions que l’a fait le juge précédent en première instance. Il doit pouvoir voir et entendre les mêmes choses.

De plus, toutes les preuves doivent être disponibles. Ainsi si le juge peut avoir en sa possession tous les rôles réalisés, les enregistrements ne sont pas nécessaires[11]. Ainsi il faut que le vice soit suffisamment caractérisé et non pas une simple erreur d’irrégularité formelle ou un vice de procédure excusable ni découler de la faute de la partie qui l’invoque. Il faut une violation dans les droits de la défense et du contradictoire, par exemple lorsqu’une partie a été privée d’alléguer ou d’apporter la preuve de ses droits et intérêts légitimes ou lorsqu’il lui est impossible d’accéder aux « données » légales pour sa défense.[12]

En effet, une violation des droits de la défense peut s’analyser comme l’idée d’avoir accès à une tutelle judiciaire effective, on touche, ici également, au droit fondamental de l’accès au juge.

Il convient alors d’apprécier les circonstances concrètes aux faits d’espèce pour constater s’il a eu une violation, violation qui ne doit pas être imputable à la partie qui en fait la réclamation[13].

Si une violation des droits de la défense est constatée, et que l’action est déclarée nulle, il faut célébrer de nouveau le procès, ce qui engendre un retard supplémentaire dans la résolution du conflit et peut profiter à la partie qui a provoqué la nullité. En tout état de cause, un délai supplémentaire n’est jamais souhaitable. Le juge devra donc mettre en balance les inconvénients d’un nouveau procès avec la violation des droits de la défense. Il pourra prendre en considération la motivation du procès et du recours, le fait que la question soit uniquement processuelle ou juridique, la valeur de la preuve.

En revanche, le juge peut soulever la nullité d’office dans certains cas. La SAP de Madrid dans une décision de 2006 a jugé qu’il appartenait à la Cour de connaitre, même d’office (peu importe l’objet de la demande en nullité), de l’omission des formalités qui doivent avoir eu lieu et qui, à défaut, sont susceptibles de produire une violation des droits de la défense. Il vérifie notamment le respect des règles processuelles d’ordre public qui doivent être respectées tant par les parties que par la juridiction. Il doit contrôler d’office les normes qui posent des garanties processuelles[14]. Ainsi si le défaut d’enregistrement entraine l’impossibilité d’avoir un contenu suffisant relatant l’affaire par l’acte succinct, l‘organe judiciaire peut d’office déclarer nulle la procédure.

Quant à la possibilité de correction/substitution lors du défaut d’enregistrement.

L’acte succinct ne peut suffire à remplacer l’enregistrement lorsque ce dernier ne peut être restitué. Cependant, on pourrait résoudre la majorité des problèmes en imposant au greffier, en plus de l’enregistrement, la rédaction d’un « acte étendu ». Cet acte rappellerait tout ce qui se passe pendant le procès et pourrait remplacer l’enregistrement en cas de défaut de celui-ci. La lecture et la signature du document par les parties avec la possibilité de faire des remarques sur son contenu permettra que cet acte puise être utilisé comme acte reportant l’audience avec un plein effet en cas de défaut de l’enregistrement. Cette alternative permettrait de bénéficier de l’introduction des nouvelles technologies pleinement sans le préjudice du défaut de leur fonctionnement le cas échéant.

En cas de déclaration de nullité de l’acte, il faut faire une nouvelle audience. Celle-ci doit être la répétition dans la mesure du possible, de la première audience. L’organe judiciaire devant lequel se tient le nouveau procès ne doit donc pas permettre que cette nouvelle célébration soit l’opportunité d’apporter de nouvelles preuves (connues auparavant), de citer d’autres témoins ou de poser de nouvelles questions aux parties ou témoins. Cela peut s’avérer difficile car le juge n’était peut-être pas présent lors de la première audience. De plus, quelle que soit l’hypothèse, il ne dispose que d’un acte succinct comme référence pour diriger cette nouvelle audience. Le rapport étendu pourrait alors être un guide pour procéder, dans la mesure du possible, à une authentique répétition du procès : faire la démonstration des mêmes preuves et mêmes allégations.

En effet, il ne s’agit pas de refaire un acte processuel vicié mais de reconstruire un acte répondant à toutes les garanties qui n’avaient pu être l’objet d’un contrôle adéquat sur le moment. On ne célèbre pas un nouvel acte mais on répète seulement le premier afin de l’enregistrer, ainsi la nullité d’un acte qui doit repasser en première instance n’entraine pas la nullité des actes suivants de la procédure ou des autres parties de l’acte lorsque seule une partie de l’acte est viciée.

L’un des apports principaux de l’enregistrement des audiences est qu’il permet au juge d’appel d’avoir une vue d’ensemble et particulièrement précise de ce qui s’est passé en première instance. La vidéographie ouvre donc un meilleur contrôle en appel. Carlos Gomez Martinez qualifie alors le juge d’appel de juge spectateur (vidéo)[15] plutôt que de juge lecteur (dossier) puisque l’enregistrement vient remplacer une partie importante du dossier écrit. Il est désormais une partie fondamentale de l’étude du dossier. On aborde ici un nouveau volet du principe fondamental de l’accès au juge, le droit à un second degré de juridiction. Ce droit à une nouvelle étude du conflit par un second juge, se veut éviter tout risque d’arbitraire ou de manière plus générale, d’un mauvais jugement. Ici le juge de second degré est à même d’examiner toutes les erreurs qui ont pu être commises en première instance, tant du fait des parties que du juge. L’outil facilite le travail des juridictions d’appel puisqu’il reflète de façon plus fidèle ce qui s’est passé pendant le jugement. La vérité est désormais plus accessible puisqu’elle repose sur un document complet et neutre, offrant à la vue du juge d’appel l’ensemble de la procédure. Pourtant la technologie ne réussit pas non plus à substituer avec plénitude les exigences du principe de présence. L’oralité demeure importante en seconde instance, même à travers les moyens modernes de communication.

Il nous faudra ici différencier entre le procès pénal et le procès civil. Dans le procès civil, le tribunal d’appel peut revoir intégralement la preuve pratiquée en première instance. On évite ainsi parfois la double présentation de la preuve. Dans le procès pénal, en revanche, est exigé quand on prononce une sentence condamnatoire, de répéter la preuve devant le juge d’appel afin que soit réalisé le principe de l’activité probatoire minimum. Par conséquent, il est impossible d’utiliser seulement l’enregistrement de la première audience.

En revanche, l’enregistrement vidéographique soulève des questions quant à la collégialité. En effet, le rapport à la vidéographie de l’audience de la première instance très personnel. Chaque juge a une vision différente, a retenu des éléments distincts de l’enregistrement. De plus, il est difficile techniquement de revoir la vidéo lors du délibéré[16]. Ces juges ne peuvent pas donc revoir la vidéographie et pour appuyer les arguments qu’ils soulèvent, ou se remémorer des passages du procès.

Se pose aujourd’hui la question de savoir comment appréhender une intervention via la vidéoconférence (par écran dans la salle d’audience) lors du visionnage en appel de l’enregistrement de la première instance ? Il semblerait que l’intervention au travers de la vidéoconférence soit disponible directement sur l’enregistrement, et intégrer au DVD, d’après les propos recueillis par le professeur Imma Baral de l’Université de Barcelone.

Plusieurs auteurs ont constaté une diminution du nombre d’appel notamment ceux fondés sur l’absence de « concreción »[17] ou l’absence de précision des actes sur lesquels la confession (le témoignage ou le rapport d’expert) est transcrite. L’image faisant foi et fixant définitivement le résultat de la preuve. Les parties avaient tendance à insister sur cette voie de recours soulevant une mauvaise ou partielle évaluation de la preuve. La technologie évite donc ici de nouveaux conflits et les nouvelles les procédures et tend à rationaliser le comportement des parties au litige.

La littérature espagnole constate donc une influence principalement positive de l’introduction des caméras dans le prétoire. Ce nouveaux moyen technologique permet non seulement aux citoyen un meilleur accès au juge, plus présent, mais rationalise également le comportement des parties qui ont conscience leurs agissements sont enregistrés et donc disponibles en cas de contentieux postérieur. Le déroulement de l’instance est désormais accessible de la manière la plus fidèle tant pour les parties, pour le juge et probablement pour les tiers dans le futur.

Il nous faudra, en outre, remarquer que le filmage des audiences a également amélioré le principe d’inmediación (défini au paragraphe II suivant) et à travers le principe d’inmediación, le principe d’unicité. Le fait que le procès soit filmé empêche les juges de l’éluder. Dès lors que toute l’instance doit être enregistrée sur le même support vidéographique, la présentation d’une preuve supplémentaire sans réunir l’ensemble des participants au procès, ce qui évitait de faire revenir tous les participants pour une matinée supplémentaire le lendemain, n’est plus possible. Un autre exemple est celui, déjà mentionné, de la présentation de la preuve dans le bureau du juge car la salle d’audience ne dispose pas d’ordinateur. Désormais l’ensemble de la procédure doit se réaliser devant les caméras, dans la salle d’audience pendant le temps imparti à l’instance. De plus, le principe d’oralité de la procédure a retrouvé toute son ampleur, on ne peut plus substituer des actes oraux par des actes écrits, tous les actes ont lieu en présence du juge. S’était développée une pratique acceptée par les juges, de pouvoir présenter des conclusions écrites en cas d’impossibilité de se présenter lors de l’instance orale. Un tel document ne peut plus être recueilli puisqu’il n’apparaitra pas sur l’enregistrement faisant foi. Cette loi a mis fin à la nécessité de don d’ubiquité du juge et entend considérer la salle d’audience comme le lieu naturel dans lequel se déroule son activité. Il peut désormais s’appuyer sur la vidéo pour retrouver des détails qui lui auraient échappé.

 

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(II) La vidéoconférence au service du principe d’inmediación

 

Le principe d’inmediación découle du principe constitutionnel d’oralité du procès. Pour les espagnols, le principe d’oralité ne peut s’entendre sans celui de l’inmediación c’est-à-dire la présence du juge dans toutes les étapes du procès : « La oralidad del procedimiento exige la inmediación judicial »[18]. La définition de Gimeno Sendra nous éclaire particulièrement sur le contenu du principe : « Seul celui qui a été témoin de de la totalité de la procédure, a entendu les allégations des parties et a assisté à la pratique de la preuve, est légitime pour prononcer la sentence.»[19].

Le fondement de ce principe est à rechercher dans la Constitution espagnole, plus précisément dans son article 120.2, qui impose une procédure principalement orale devant les juridictions espagnoles. La loi et la jurisprudence ont fait découler de ce principe celui de l’inmediación. La loi de procédure civile (LEC) de 2000 exige la présence physique du juge dans toutes les démonstrations de preuve, sous peine d’une nullité de plein droit (cf articles 137 et 194 de la loi). L’article 289.2 impose le devoir inexcusable de présence du juge lors de la présentation de tous les éléments de preuve (sauf exception pour l’apport de documents écrits ou copies qui peuvent être présentés directement au greffier). Les articles 302.1 et 368.1 établissent que les interrogatoires des parties et témoins doit s’effectuer à l’oral et non selon des tableaux de questions préalablement établis. Cette exigence existait déjà avant l’introduction de la vidéoconférence. Mais cette dernière a permis de retrouver sa pleine application. Ainsi la loi de 2000 marque une rupture avec la précédente, le minimum d’exigence du principe d’inmediación s’était réduit, dans certains cas la démonstration de la preuve n’avait plus lieu devant le juge mais devant d’autres fonctionnaires du tribunal, dans d’autres cas on remplaçait la démonstration orale par des notes écrites présentées par les parties. Le changement d’attitude sous l’égide de cette nouvelle loi est en partie dû au renforcement des contrôles de son application.

Le principe reste toujours la présence physique au procès des parties et aux personnes amenées à témoigner, l’utilisation de la vidéoconférence relève de la décision du juge et doit être motivée par ce dernier dans l’acte du jugement

 

  1. Le principe de proportionnalité guidant le juge dans son choix de l’utilisation de la vidéoconférence selon la place de l’intervenant dans le procès

La meilleure illustration est celle d’un procès faisant suite à une émeute dans une prison (environ 20 accusés), AP de Alicante, Sección 1ª, de 2-12-2002. Certains accusés témoignaient par le biais de la vidéoconférence quand d’autres étaient présents dans la salle d’audience. La défense a soulevé la nullité de l’action au motif que la vidéoconférence ne permettait pas de satisfaire le droit de tutelle judicaire violant ainsi les principes de contradiction, défense et inmediación.[20] De plus, les avocats soulevaient une rupture d’égalité dans les droits de la défense puisque certains accusés avaient eu accès à la salle d’audience directement et d’autres non. Le Tribunal de première instance avait refusé d’y faire droit mais le Tribunal Suprême dans une décision du 16 mai 2005 a annulé le jugement et considéré que tous les accusés devaient avoir accès au juge depuis la salle d’audience directement. Il différencie alors l’utilisation de la vidéoconférence lorsqu’il s’agit de faire intervenir un témoin ou un expert, de la participation devant le juge des accusés mêmes au procès. La question n’a pas encore été soulevée en pratique devant les autorités espagnoles, mais l’utilisation de la vidéoconférence serait-elle possible dans le cadre de criminalité en bande organisée ? Pourrait-on garantir l’égalité entre les accusés, ceux qui interviennent par le biais de la vidéoconférence et ceux qui sont directement dans la salle d’audience ?

En la matière, le principe de proportionnalité est la clé : le juge a toujours le pouvoir discrétionnaire d’autoriser ou non l’utilisation de la vidéoconférence lors de l’instance (art 230-1 LEC). Dans la décision précédente, le Tribunal Suprême insiste sur ce principe de proportionnalité qui doit dicter au juge l’équilibre à trouver entre les droits fondamentaux de la défense de l’accusé et les raisons qui font tendre et justifie l’utilisation des moyens technologiques.

En matière pénale, les articles 325 et 731 bis de la LECrim – équivalent de la loi pénale française – posent le principe conducteur selon lequel la vidéoconférence ne doit être utilisée que pour des « raisons d’utilité, de sécurité ou d’ordre public, ainsi que dans les situations où la comparution serait grave ou préjudiciable ». Cependant, Amaya Arnaiz Serrano, professeure à l’Université de Castilla-La Mancha, remarque que la vidéoconférence est aujourd’hui utilisée pour la réalisation de démarches lors de l’instruction, pour la pratique anticipée de preuves ou de preuves par voie orale, (avec soutien légal) dans le respect des lois.

Partant, le recours à la vidéoconférence n’a absolument pas la même portée lorsqu’il s’agit de la pratique d’une preuve (témoignage ou expertise) que si l’on demande à l’accusé d’intervenir à son procès par le biais de la vidéoconférence (pour la phase d’investigation (article 325) ou lors de l’instance en elle-même (article731 bis)). L’accusé est le sujet même du procès. De là, sa présence est indispensable dans toutes les étapes de la procédure. Il s’agit donc de transmettre la célébration complète du procès. Sa présence ne peut être limitée à la déclaration, sans qu’il suive le reste du procès[21]. Il relève de ses droits fondamentaux que l’accusé puisse assister à l’ensemble de son procès, dans toutes ses étapes.

 

  1. La vidéoconférence pour l’accusé

Si l’utilisation de la vidéoconférence est de plus en plus acceptée, voire réclamée par les juges en matière civile, ces derniers font preuve d’une grande précaution en matière pénale. Le principe de l’inmediación est alors interprété de manière très stricte. En effet, les rapports au juge et au procès dans ces deux branches du droit sont très différents.

En matière pénale, bien que la vidéoconférence permette de réaliser une « réunion virtuelle » des acteurs du procès, elle ne peut substituer de manière générale et sans limitation à la présence physique des parties intervenantes. Comme il l’est souligné dans l’ordonnancement juridique anglo-saxon, seule la présence physique permet de « sentir la peur », « oler el miedo » « smell the fear »[22]. Ainsi lors de son utilisation pour les témoignages, si le moyen de preuve est réalisé au travers de la vidéoconférence, il conviendra de prendre en compte les particularités qu’implique la technologie par rapport au moyen de documentation et du caractère probant de l’action. On peut répertorier en matière pénale trois cas de recours à la vidéoconférence selon la justification : pour des raisons d’opportunité, si la comparution apparait difficile ou particulièrement grave, pour des raisons d’utilité lorsqu’il s’agit de protéger des parties faibles ou en danger, et enfin des raisons de sécurité ou d’ordre public. La protection des témoins joue particulièrement dans les affaires de crimes ou délits sexuels, trafic de drogue traite d’êtres humains ou délits en bande organisée (voir paragraphe 2. suivant).

Entre dans la balance avec l’utilisation des nouvelles technologies dans le procès, le principe fondamental du droit de la défense. En premier lieu, le principe de confidentialité entre un accusé et son avocat pourrait être atteint. En effet, si l’accusé se trouve en un lieu distinct de celui de son avocat, il est certain qu’ils ne pourront échanger de manière confidentielle de la même façon que lorsque l’avocat est présent au côté de son client dans la salle d’audience. Or il relève des droits fondamentaux de l’accusé que celui-ci puisse communiquer avec son avocat. Cependant cette difficulté n’est pas insurmontable, les moyens technologiques eux-mêmes pourraient permettre une communication confidentielle entre l’avocat distant de son client (système téléphonique ou tout autre système adapté). Une autre solution proposée serait la désignation d’un second avocat qui se placerait à côté de l’accusé depuis la prison lors de sa déclaration et pourrait alors l’aider. Le droit de la défense est réalisé dès lors que l’accusé à accès à toutes les facultés prévues dans le contenu de la garantie. Ainsi, en mettant à disposition des moyens techniques pour que l’accusé ait effectivement accès à une communication privée avec son avocat, le droit de la défense est respecté. En ce qui concerne les assises (avec la présence d’un jury civil), la loi indique (article 42.2) le lieu où est placé l’accusé dans la salle d’audience. Selon certains auteurs, cette disposition empêcherait, dans ces conditions, l’utilisation de la vidéoconférence. Au contraire pour A. Arnaiz Serrano, cette disposition vient seulement organiser la salle lorsqu’est présent un jury, mais n’empêcherait pas l’utilisation de la vidéoconférence dans les cas où celle-ci est justifiée.

Ainsi, en ce qui concerne la comparution de l’accusé au procès pénal, c’est bien l’organe judiciaire qui décide. La loi a prévu des cas spécifiques dans lesquels l’utilisation de la vidéoconférence est proposée. L’article 63.2 du Code Pénal espagnol prévoit, par exemple, l’utilisation de la vidéoconférence dans les cas où l’accusé perturberait l’ordre de la salle d’audience ou pour protéger les témoins (art. 68.2). D’autre part, lors du cas de figure d’un coaccusé repenti souhaitant collaborer, la Loi organique 19/1994 du 23 décembre, sur la protection des témoins et experts dans les affaires pénales, autorise également que ce dernier intervienne au travers de la vidéoconférence.

Partant, dans chaque cas concret, c’est la juridiction qui doit apprécier, selon des principes de proportionnalité et rationalité, l’emploi de la vidéoconférence, ce au vu de toutes les circonstances qui se doivent d’être réellement exceptionnelles afin de légitimer la substitution de la présence physique de l’accusé par sa comparution virtuelle. Et dans tous les cas, l’utilisation de l’outil doit être motivée afin de pouvoir être contrôlée et remise en cause le cas échéant.

Il ne faudra pas perdre de vue que cette décision juridique convertie l’absence physique en présence juridique : « inmediación virtual ». Le prévenu est physiquement absent, même s’il a accès à la procédure de manière virtuelle. La décision du juge doit donc rester l’exception au principe et s’appuyer sur toutes les considérations d’opportunité, d’utilité, sécurité ou d’ordre public.

Enfin, il est important de ne pas faire l’impasse sur l’importance de l’audience plénière, la Justice est traditionnellement rendue au sein de palais revêtus d’une grande symbolique, où les audiences sont célébrées avec une série de formalité et rituels qui conservent une particulière signification et transcendance. Comme relevé ci-dessus, il est possible que de perdre une forme de solennité par l’utilisation de la vidéoconférence et le fait de ne pas se déplacer au palais de Justice.

En matière civile, en revanche, l’appréciation des juges est plus souple. L’article 169.4 de la loi de procédure civile, autorise le destinataire de l’acte à ne pas comparaître devant le siège judiciaire, s’il ne réside pas dans la même juridiction. Les considérations d’opportunité peuvent donc ici être plus importantes, la loi déclinant une marge de manœuvre plus importante.

 

  1. L’intervention des témoins, victimes, experts par la vidéoconférence

Dans un premier temps les nouvelles technologies ont été utilisées dans le cadre de la procédure d’aide juridictionnelle internationale. Le système de vidéoconférence permettait à des étrangers de témoigner au procès sans se déplacer, le juge étant en mesure d’intervenir et poser des questions directement (Article 10 Convention Européenne sur l’assistance judiciaire internationale en matière pénale du 29 mai 2000). Les gouvernements évitaient ainsi la suspension du procès pour non comparution de la victime ou d’un témoin-clé.

Désormais, dans cette même optique, et pour des raisons d’opportunité, le juge peut faire appel à la vidéoconférence afin de recueillir le témoignage d’un témoin ou expert. Dans le cas où ce dernier résiderait loin du lieu de célébration du procès ou lorsque sa comparution s’avèrerait particulièrement difficile ou grave, les nouvelles technologies lui offrent la possibilité d’intervenir depuis un lieu distinct. En d’autres termes, dans tous les cas où l’aide judiciaire est autorisée, tant nationale qu’internationale, il est aujourd’hui possible d’utiliser la vidéoconférence pour ces témoins ou experts. La vidéoconférence vient alors renforcer le principe d’inmediación puisque la pratique de la preuve a lieu directement devant l’organe qui doit connaitre de l’affaire plutôt que devant le tribunal qui devait pratiquer l’aide judiciaire. Ainsi la technologie permet de réaliser l’inmediación, même virtuelle, malgré la distance. De même cela facilite l’accès au tribunal sans retard supplémentaire. Madame Amaya Arnaiz s’aventure jusqu’à estimer que cela pourrait favoriser la coopération citoyenne avec l’administration de la Justice[23].

Le système de la vidéoconférence a ensuite été particulièrement développé pour les mineurs au procès pénal[24]. Ce, par une Loi organique 14/1999 du 9 juin modifiant le Code Pénal de 1995 articles 448 et 707 LECrim, et indiquant une résolution motivée de la part du juge est nécessaire pour que le mineur témoigne à travers la vidéoconférence. La sentence AP Sevilla, Sección 1ª, de 5-02-2002, a ouvert cette possibilité pour le cas d’abus sexuels sur une mineure. Le juge avait autorisé le témoignage de la victime à travers la vidéoconférence. Le témoignage a eu lieu via le système informatique avec l’intervention d’un psychologue spécialiste, à qui les parties avaient transmis au préalable le questionnaire auquel devait répondre le témoin[25]. Les droits fondamentaux ne sont pas, en l’espèce, particulièrement touchés puisqu’il s’agit avant tout de protéger une partie fragile et éviter des souffrances supplémentaires pour des mineurs.

Autre avantage posé pour les victimes, la vidéoconférence permet d’éviter des délais supplémentaires (attendre les disponibilités de chacun), des suspensions du procès et évite d’accroitre la peine causée par le délit. En réunissant les acteurs du procès se trouvant dans des lieux distincts, l’administration offre une justice plus rapide, plus efficace. Les délais sont abrégés, et la solution du litige est accélérée.

L’un des atouts de l’instrument technologique découvert dans la pratique est que le principe d’oralité est mieux respecté. Au travers de la vidéoconférence, tout passe par l’oral, les témoignages des parties (ou autre) ne peuvent plus être écrits uniquement. On retrouve l’intérêt offert par l’enregistrement audiovisuel : la disparition des formes de « corruption » processuelle et le retour à une pleine oralité et une pleine unicité. Le juge peut alors participer directement au témoignage du témoin, et lui poser les questions qu’il souhaite, contrairement à un témoignage écrit. La vidéoconférence permet également que tous les débats (témoignages) aient lieu dans le même lieu et en un même temps.

Autre parallèle avec le filmage des audiences, son utilisation serait possible dans tous les procès. En toute hypothèse de manière abstraite, dès lors que le juge en décide l’opportunité, son utilisation serait possible dans tous les procès – notamment civils ou avec un élément d’extranéité – mais se pose alors un problème concret : la disponibilité des moyens techniques et qualification des personnels judiciaires pour le maniement de ces instruments

Désormais l’article 306 LECrim prévoit la possibilité pour le ministère public de pouvoir intervenir au travers de la vidéoconférence dans toute affaire pénale, y compris pour les audiences en rapport avec la détention préventive. Si les procureurs étaient, au départ, les moins favorables à l’introduction de ces nouvelles technologies, on observe dans la pratique une augmentation progressive de leur participation via la vidéoconférence, ce qui leur permet de gagner en temps et en efficacité. Néanmoins, le ministère public a une obligation de veiller au respect des droits fondamentaux et des libertés publiques, notamment le droit à un procès avec toutes les garanties en particulier les droits de la défense. C’est donc lui qui propose de vérifier l’opportunité de l’utilisation de la vidéoconférence même si la demande provient de l’accusé lui-même ou lorsque son avocat n’allègue aucune contradiction à la proposition[26].

 

  1. Utilisation pratique de la vidéoconférence, le greffier en charge du bon fonctionnement des nouvelles technologies

En termes de sécurité, le greffier reste responsable de l’outil procédural. Il lui revient de s’assurer de l’identité de la personne témoignant au travers de la vidéoconférence (généralement à priori), il a été soulevé que le matériel ne pouvait être entre les mains uniquement de celui qui intervient à l’instance. Ce qui apparait sur la vidéo « fait foi »[27].

Il est responsable de l’identification de la personne. L’article 229.3, 3ème paragraphe de la Loi de procédure civile considère que la réception de l’image de la personne suppose son identification directe. Pour procéder à l’identification, les mécanismes d’identification habituels sont admis avant ou durant la visioconférence. Le plus habituel est la présentation de la Carte d’identité nationale, même si tous les moyens légaux sont acceptés. Est distincte la question de l’identification des parties au moyen de la carte d’identité électronique prévu par la loi 59/2003, du 19 décembre sur la signature électronique. En réalité toutes les cartes d’identité possèdent une puce électronique incorporée, de façon à ce qu’elles permettent l’identification devant l’administration et ainsi devant la Justice de plein droit. Malgré tout, en pratique, l’obtention du PIN de Carte se fait dans les commissariats et requiert l’utilisation d’un logiciel qui peut créer des problèmes lors de son utilisation sur les ordinateurs, ainsi son utilisation n’est pas très importante. Cet instrument servira plus pour les courriers électroniques tant des avocats comme des parties avec l’administration judiciaire. (Cf article 230 LEC : remise de documents). Finalement, dans la majorité des cas, les greffiers et usagers semblent préférer l’utilisation traditionnelle de la carte d’identité nationale. Le témoin appelé présente alors simplement sa carte, soit auparavant directement au tribunal, soit devant la caméra, en transmettant une copie au greffe.

En la matière, il faut rappeler que le Code pénal prévoit le délit de faux témoignage, punit par la loi. L’article 458 prévoit qu’un faux témoignage puisse être puni de 6 mois à deux ans de prison, jusqu’à trois en cas de faux témoignage à propos d’un crime. Ainsi la vidéoconférence se veut garantir les formes d’un témoignage dans les mêmes exigences de preuve qu’un témoignage dans la salle d’audience.

Le greffier s’assure de la transmission des questions et réponses, que les questions soient bien comprises par l’intervenant. En France, le juge est lui-même responsable de l’utilisation de la vidéoconférence, il doit gérer l’outil technique en même temps qu’il mène le procès. Cette responsabilité supplémentaire entre dans l’office du juge. Il est possible qu’il soit alors moins disponible puisqu’il doit conduire le bon déroulement du procès, être attentif à toutes les données soulevées ainsi qu’au comportement des justiciables et s’ajoute la gestion de l’outil technologique qui peut poser des difficultés. Du point de vue de l’accès au juge, il nous semble plus adéquat que le greffier soit en charge de ces questions techniques afin de libérer le juge.

Le greffier a ici un rôle clé en tant qu’officier du ministère public. L’intégrité de l’échange requiert la participation de deux greffiers, l’un présent dans la salle d’audience où a lieu le jugement, le second est présent au lieu d’où témoigne l’intervenant. . De cette façon, il serait possible que le greffier qui se trouve avec le témoin ou l’expert puisse garantir de son identité ainsi que de sa compréhension des questions qui lui sont posées. Ces deux greffiers garantiront la confiance que l’on peut avoir dans les informations qui passent par la vidéoconférence. Chacun d’entre eux doit dresser un procès-verbal établissant ce qui s’est passé lors de la pratique de la preuve à travers cet outil technologique, en mettant l’accent sur la réception correcte tant de l’image que du son. Ainsi, les greffiers ne sont ici pas simplement chargés d’assurer « la fe publica » – c’est-à-dire ce qui fait foi dans le procès-verbal de l’audience – mais deviennent également les garants de la sécurité juridique puisqu’ils doivent vérifier l’authenticité et l’intégrité de l’activité probatoire qui a été réalisée à travers la vidéoconférence. La défense des droits fondamentaux à travers cette technique doit être étendue de façon particulière afin de garantir la réalisation de toutes les exigences liées à la « foi publique », pour qu’elle soit extensible à tous les points d’émission (et réception) qui ont été interconnectés pour la réalisation de l’acte. Les avis divergent sur ce point, quant à la présence d’un greffier à la fois dans la salle et au lieu de l’émission du témoignage, mais il apparait qu’en cas d’incident (de son ou d’image) la présence d’un greffier assistant le témoin, soit indispensable.

L’appréciation du langage non verbal reste difficile lorsqu’une seule caméra est utilisée. On ne dispose alors que d’un un plan figé et fixe, mais cet inconvénient pourrait facilement être compensé par l’utilisation de systèmes techniques plus performants, plus de caméras, ou disposées autrement, plus perfectionnées… Il nous semble que dans le cadre des affaires les plus simples qui font l’objet d’un témoignage par vidéoconférence, le système aujourd’hui proposé est satisfaisant, en revanche il sera probablement inadéquat pour traiter d’affaires plus complexes.

Dans la même optique, dans un futur plus ou moins proche, imaginons l’intervention du juge lui-même par visioconférence. Cette solution reste difficilement envisageable, il est probablement une limite à poser afin de préserver le rituel judiciaire, la solennité de l’audience. Il est évident que le rapport à un écran n’est pas le même que la démarche de présentation devant un juge au sein d’un tribunal de Justice. Pourtant demain ou aujourd’hui ces questions seront soulevées. Il s’agit d’introduire progressivement les nouvelles technologies tout en préservant les valeurs fondamentales du procès équitable, sans considérer les deux notions comme antinomiques. L’exemple de l’Espagne nous montre que le principe d’ « inmediación virtuelle » est réalisé et consacré.

 


 

[1] el art. 229 LOPJ “Estas actuaciones podrán realizarse a través de videoconferencia u otro sistema similar que permita la comunicación bidireccional y simultánea de la imagen y el sonido y la interacción visual, auditiva y verbal entre dos personas o grupos de personas geográficamente distantes asegurando en todo caso la posibilidad de contradicción de las partes y la salvaguarda del derecho de defensa, cuando así lo acuerde el juez o el tribunal. »

[2] Article 120.2 de la Constitution espagnol dispose : « La procédure (du procès) sera principalement orale, surtout en matière pénale »

[3] Article 120.1 de la Constitution : “Les actions judiciaires seront publiques, avec les exceptions prévues par le code de procédure »

[4] Carlos Gomez Martinez, La grabación del sonido y de la imagen en los juicios civiles. Del juez lector al juez espectador (L’enregistrement du son et de l’image dans les procès civils. Du juge lecteur au juge spectateur)

[5] Carlos Gomez Martinez, “La grabación del sonido y de la imagen en los juicios civiles. Del juez lector al juez espectador”, op. cit.

[6] Nicolas Cabezudo Rodriguez, “Las reformas tecnologías esperadas por la administración de la Justicia española. Estado de la cuestión” (Les réformes technologiques attendues pour l’admnistration de la Justice espagnole. Etat actuel de la question)

[7] Carlos Gomez Martinez, “La grabación del sonido y de la imagen en los juicios civiles. Del juez lector al juez espectador op. cit et Jesús María González García “Oralidad, inmediación y medios técnicos de grabación y reproducción de la imagen y el sonido en el proceso civil: haciendo de la necesidad virtud(Oralité, inmediación et moyens techniques d’enregistrement et de reproduction de l’image et du son dans le procès civil) p.18.

[8] Gabriel IGNACIO ANITUA, Abuelas de plaza de mayo “Cómo garantizar la publicidad de los juicios penales en casos de amplia repercusión(Comment garantir la publicité des procès pénaux en cas de large retentissement) p.45

[9] Paloma GARCÍA-LUBÉN BARTHE “Problemas que plantean los defectos de grabación de la vista en los juicios civiles “ (Les problèmes que posent les défaillances de l’enregistrement de l’audience dans les procès civils)

[10] SAP Ciudad Real n°88/2006 du 4 avril, SAP Burgos n°126/2005 du 22 mars

[11] SAP Las Palmas n°455/2006, du 24 novembre

[12] SAP Malaga n°217/2006, du 10 mars

[13] SAP Bizkaia n°516/2005 du 19 juillet

[14] SAP Burgos n°126/2005 du 22 mars 2005

[15] Carlos Gomez Martinez “La grabación del sonido y de la imagen en los juicios civiles. Del juez lector al juez espectador”, op. cit.

[16] Cf Gabriel IGNACIO ANITUA, Abuelas de plaza de mayo “Cómo garantizar la publicidad de los juicios penales en casos de amplia repercusión”, op. cit.

[17] Carlos Gomez Martinez “La grabación del sonido y de la imagen en los juicios civiles. Del juez lector al juez espectador” op. cit.

[18] Carlos Gomez Martinez « “La grabación del sonido y de la imagen en los juicios civiles. Del juez lector al juez espectador”, op. cit.

[19] Gimeno Sendra, in Derecho procesal civil, ed Codex, Madrid (Droit du procès civil)

[20] Ana Aba Catoira, “La tecnologización de la prueba en el proceso penal. La videoconferencia: objeciones y ventajas” cit. p.27 (“La preuve technologique dans le procès pénal. La vidéoconférence : avantages et inconvénients)

[21] Op. cit. Précédente bis 17

[22] Amaya Arnaiz Serrano “La experiencia española en el uso de videoconferencia en el proceso penal” (L’expérience espagnole de l’usage de la vidéoconférence dans le procès pénal), Publicaciones del Portal Iberoamericano de las Ciencias Penales, Instituto de Derecho Penal Europeo e Internaciona,lUniversidad de Castilla – La Mancha

[23] Amaya Arnaiz Serrano “La experiencia española en el uso de videoconferencia en el proceso penal” op. cit.

[24] Carolina Villacampa Estiarte “Victima menor de edad y proceso penal : especialidades en la declaración testifical de menores víctimas(Victimes mineures et procès pénal : spécificités du témoignage des victimes mineures)

[25] Ana Aba Catoira, “La tecnologización de la prueba en el proceso penal. la videoconferencia: objeciones y ventajas”, op. cit.

[26] M. Pilar Álvarez Menéndez, “Juicio oral, videoconferencia y acusado. Reflexiones de un Fiscal” (Jugement oral, vidéoconférence et accusé. Réflexions d’un procureur)

[27] Adán CARRIZO GONZÁLEZ-CASTELL “El respeto de la oralidad y los principios procesales en la utilización de la videoconferencia para la obtención de pruebas en materia civil en la unión europea(Le respect de l’oralité et les principes processuels dans l’utilisation de la vidéoconférence pour l’obtention de preuve en matière civile dans l’Union européenne)