Les mutations de l’influence : la stratégie juridique au coeur des organisations

À la jonction d’enjeux nationaux et internationaux, publics et privés, le droit mondialisé est un nouveau terrain d’influence. Un terrain à investir – et non à défendre – par la France. Pour cela, il faut renoncer à l’idée d’exporter un supposé « modèle » juridique français pour participer plus franchement au débat mondial sur les nouvelles formes de régulation de la mondialisation. L’enjeu n’est plus celui de l’influence du droit français mais de définir une politique de présence qui porte nos valeurs et nos intérêts dans le nouveau concert mondial.

Hétérogène et protéiforme, ce forum mondial est tout sauf structuré. Il forme un ensemble qui reste aujourd’hui difficile à cartographier. Ce qui est certain, c’est qu’il parle anglais et qu’il subit une forte influence anglo-américaine qui s’explique par le poids économique des États-Unis mais également par des politiques très déterminées de promotion des systèmes et services juridiques des pays de common law, servies par des associations professionnelles redoutablement efficaces, ainsi que par sa souplesse et sa capacité à mêler intérêts et valeurs. Mais ne nous y trompons pas : aujourd’hui l’on assiste davantage à une concurrence des places de droit (des fors) plus qu’à une rivalité des systèmes. La France n’est pas dépourvue d’atouts sur ce point… à condition qu’elle sache les mettre en valeur !

LE SYSTÈME FRANÇAIS SOUFFRE DE SES DIVISIONS

Le droit y est l’affaire exclusive des juristes, eux mêmes répartis selon des distinctions internes savamment entretenues dans des catégories – droit public et droit privé – et des professions – magistrats, avocats, juristes d’entreprises – qui communiquent peu entre elles. La France souffre également d’avoir trop peu développé une vision propre de la mondialisation et de la place qu’elle peut y tenir. Un tel travail d’élucidation lui permettrait d’aborder la compétition avec des objectifs peut-être plus limités mais aussi plus précis et plus réalisables. Car elle ne manque pas de bons arguments pour tenir sa place dans cette nouvelle géographie. D’abord parce qu’il existe à travers le monde une réelle demande d’équilibre. Également parce que la France bénéficie d’une langue et d’une culture juridique communes avec de grandes régions comme l’Afrique francophone ou des pays du monde arabe. La France doit dès lors utiliser ce fonds commun en le tournant vers des questions d’avenir : qu’a-t-on à proposer concrètement sur les politiques d’investissement, l’encadrement du progrès technologique, la promotion du droit social et le droit de la famille, ou la diversité culturelle ?

Il s’agit en somme de changer de regard sur le droit et d’adopter une position offensive sans se cacher derrière une notion aussi vague que celle de « droit continental », qui ne peut à lui seul résumer les objectifs de la France sur le terrain de la régulation de la mondialisation. En proposant un modèle alternatif capable d’infléchir les excès de la culture dominante, la France serait en mesure d’offrir un cadre non seulement juridique, mais surtout politique aux insatisfaits de la situation actuelle. Car le droit n’est pas qu’affaire de technique : il contribue à donner du sens en élaborant un récit commun et une vision collective des enjeux. C’est la contribution de notre pays sur des questions telles que l’évasion fiscale, l’économie offshore, la protection de la vie privée, ou la défense de l’environnement qui est attendue. C’est sa participation à la construction d’un récit positif sur le bien commun, la création, la technologie ou encore la réduction des inégalités et des grands déséquilibres mondiaux qu’il s’agit de promouvoir.

DANS CE TRAVAIL D’ÉLABORATION D’UNE POLITIQUE JURIDIQUE EXTÉRIEURE, IL FAUT TROUVER DE NOUVEAUX RELAIS

Une fois les grands enjeux repérés, il s’agit de construire des alliances avec d’autres puissances avec lesquelles peuvent être trouvés des valeurs ou des intérêts communs. La priorité d’une diplomatie économique serait de travailler avec tous les relais disponibles en misant sur les idées et leur circulation. Beaucoup de Français occupent aujourd’hui des positions stratégiques dans la mondialisation (avocats d’affaires, directeurs juridiques d’entreprise, arbitres internationaux,ONG…). Toutes ces forces, intelligemment et pragmatiquement orientées, aideront notre pays à jouer un rôle d’impulsion, de facilitation et de mobilisation pour construire un droit mondial qui soit conforme à sa vision universaliste du monde.

AUTEURS : ANTOINE GARAPON, secrétaire général et SARAH ALBERTIN, chargée de mission de l’IHEJ

Article tiré de la lettre d’information de l’Intelligence Économique des Ministères économiques et financiers
IE Bercy n°44 Août – Septembre 2015