Veille d’actualité du Forum de la Justice pénale internationale I Juin 2016

Les dernières actualités de la justice pénale internationale – Juin 2016


  • France : compétence universelle, procès Ngenzi et Barahira

 Le second procès tenu en France au titre de la compétence universelle, à l’encontre de suspects rwandais, Tito Barahira et Octavien Ngenzi, s’est poursuivi au TGI de Paris durant le mois de juin. Les plaidoiries, commencées jeudi 30 juin, avec celles des parties civiles, se termineront mardi 5 juillet.

L’acte d’accusation se concentre sur les massacres commis dans la commune entre le 7 avril et le 17/18 avril, dont le massacre des réfugiés de l’église de Karabondo et celui du centre de santé voisin. Durant 8 semaines (37 jours d’audiences) une centaine de témoins ont été entendus, dont plusieurs, de Kigali, par visio-conférence.

La ligne de défense de l’accusé Ngenzi, bourgmestre au moment des faits, consiste essentiellement à prétendre qu’il avait alors perdu son autorité et n’était pas en mesure de s’opposer aux milices interahamwe et aux tueurs. La défense de son prédécesseur (bourgmestre de 1976 à 1986) et co-accusé Barahira consiste à dire qu’il n’a pas participé à la réunion préparatoire des massacres de l’église le 13 avril et qu’il n’était pas présent au moment des tueries.

Lors de son réquisitoire, l’avocat général Philippe Courroye, est revenu longuement sur les éléments de contexte du génocide et le rôle déterminant des bourgmestres dans la vie quotidienne des populations et dans le quadrillage très serré des territoires par l’administration et le pouvoir central ; puis sur les personnalités (complémentaires, l’un d’un bloc, l’autre plus filandreux) des deux hommes, notamment leurs liens de proximité et leur accord avec le positionnement extrémiste du colonel Irwagafilita, homme fort de la région qui aurait eu sa place dans le box entre les deux accusés ; enfin sur les faits, les réunions préparatoires, les massacres, les perquisitions, les exécutions, l’attaque de l’église, l’enterrement des corps, les massacres au centre de santé et à l’Iga, en s’attachant à rassembler les preuves de leur participation active au génocide.

A noter que le procès a d’abord été présidé par Me Mathieu qui, pour des raisons familiales dramatique a dû se retirer et laisser, à partir du 21 juin, la présidence être conduite par le premier assesseur M. Duchemin. On soulignera également que plusieurs rescapés venus du Rwanda pour témoigner à Paris se sont portés partie-civile, ce qui permet, à la différence du précédent et premier procès rwandais au TGI (Simbikangwa) de compter parmi les parties civiles pas uniquement des associations comme le CPCR, la FIDH, Survie, la LICRA mais plusieurs rescapés et victimes directes. Parmi ceux-ci, on citera, parce que leur témoignage aura particulièrement marqué le procès, l’abbé Incimatata, curé de la paroisse de Kabarondo, et Marie Mukamunana, rescapée du massacre de l’église, ayant perdu son mari et ses sept enfants.

Le procès était d’un bon niveau, en termes de témoignages et de débats, mais, après le jour d’ouverture, très peu suivi par la presse et les médias généralistes français.

Sources : IHEJ, CPCR

  • France : affaire des « disparus du Beach » et affaires de « biens mal acquis »

–          Dans l’affaire dite des « disparus du Beach » [du nom du débarcadère fluvial de Brazzaville, où 353 personnes qui avaient fui la guerre civile au Congo ont disparu à leur retour d’exil en mai 1999], la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a rejeté le 3 juin la demande par l’accusé, le général Dabira, d’annuler son interrogatoire du 5 décembre 2014, et décidé de poursuivre l’instruction comme le demandait les parties civiles, représentées notamment par l’Association des familles des disparus, la FIDH ainsi que la procureure générale.

–          En exil depuis les années 80, partageant sa vie entre la Grande-Bretagne, la France et l’Espagne, Rifaat al-Assad, ancien vice-président de Syrie et oncle de Bachar el-Assad, a été mis en examen à Paris dans une enquête sur des soupçons de détournements de fonds pour bâtir sa fortune immobilière en France. Dans un rapport de 2014 dont l’AFP a eu connaissance, les enquêteurs des douanes estimaient à environ 90 millions d’euros la valeur globale du patrimoine immobilier détenu en France par Rifaat al-Assad et sa famille, au travers notamment de sociétés luxembourgeoises.

–          La République de Guinée équatoriale a introduit le 14 juin devant la Cour internationale de Justice (CIJ), une instance contre la République française, au sujet d’un différend ayant trait à «l’immunité de juridiction pénale du second vice-président de la République de Guinée équatoriale chargé de la défense et de la sécurité de l’Etat [M. TeodoroNguemaObiang Mangue], ainsi qu’au statut juridique de l’immeuble qui abrite l’ambassade de Guinée équatoriale en France».  L’affaire tire son origine de procédures pénales engagées contre Obiang Mangue devant la justice française à partir de 2007, à la suite de plusieurs plaintes déposées par des associations contre certains chefs d’Etat africains et membres de leurs familles, pour des faits de «détournements de fonds publics dans leur pays d’origine, dont les produits auraient été investis en France».  Selon la Guinée équatoriale, ces procédures «constituent une atteinte à l’immunité à laquelle [M. TeodoroNguemaObiang Mangue] a droit en vertu du droit international».

Sources : Justiceinfo.net, FIDH, AFP, CIJ

  • Allemagne : ultimes procès de gardiens nazis, reconnaissance du génocide arménien, et plainte en contre le président turc Erdogan

Le tribunal de Detmold (ouest) a rendu le 17 juin son verdict contre un ancien SS, gardien au camp d’Auschwitz, Reinhold Hanning, âge de 94 ans. Il est reconnu coupable de «complicité» dans la mort d’au moins 170 000 personnes entre janvier 1943 et juin 1944 et condamné à 5 ans de prison. Il encourait jusqu’à la prison à perpétuité (15 ans incompressibles), le procureur ayant cependant requis une peine de 6 ans alors que la défense avait plaidé l’acquittement. Deux autres anciens nazis devaient comparaître devant la justice allemande cette année. Mais Ernst Tremmel, ancien gardien SS à Auschwitz, est mort une semaine avant d’être jugé en avril. Le troisième procès contre Hubert Zafke, ancien infirmier SS du camp, a été suspendu en raison de l’état de santé précaire de l’accusé âgé de 95 ans. Selon l’Office central de Ludwigsburg parmi les 106 000 soldats qui ont été accusés de crimes de guerre, seuls13.000 ont été jugés, 6 500 condamnés dont 7% pour «meurtres aggravés» incluant l’extermination des Juifs.

Sur ce sujet, et les leçons à en tirer, on lira avec intérêt le rapport de Sanya Romeika sur la justice transitionnelle en Allemagne après 1945 et 1990 que publie l’Académie des principes internationaux de Nuremberg.

Le 2 juin, les députés du Bundestag ont adopté, à main levée et à la quasi-unanimité (une abstention, une voix contre), une résolution sur « la commémoration du génocide des Arméniens et d’autres minorités chrétiennes dans les années 1915-1916 ». Selon l’Institut national arménien, 26 autres parlements ont reconnu le génocide : Argentine, Autriche, Belgique, Bolivie, Brésil, Bulgarie, Canada, Chili, Chypre, France, Grèce, Italie, Liban, Lituanie, Luxembourg, Pays-Bas, Paraguay, Pologne, Russie, Slovaquie, Suède, Suisse, Etats-Unis, Uruguay, Vatican, Venezuela. Suite au vote du Bundestag, la Turquie a rappelé son ambassadeur et laisse planer la menace sur l’accord passé avec la chancelière sur les migrants venus de Syrie.

Une plainte a été déposée le 27 juin devant le Parquet fédéral allemand contre le président turc Recep Tayyip Erdogan pour crimes de guerre pour des exactions présumées commises par l’armée turque à Cizre, ville turque à majorité kurde, à l’automne 2015. Cette plainte, soutenue par plusieurs députés allemands (Die Linke), ainsi que des organisations de défense des droits de l’Homme, vise d’autres responsables turcs, comme l’ancien Premier ministre Ahmet Dautoglu, et concerne également des crimes contre l’humanité.

Sources : Le monde, Le Figaro, justiceinfo.net

  • Cour pénale internationale : crime d’agression, procès Bemba, peine de 18 ans dans la première affaire et conclusions orales dans la seconde ; affaire Seif al-Islam Kadhafi

–          La Palestine est le trentième État partie au Statut de Rome ayant déposé son instrument de ratification des amendements visant le crime d’agression (le 26 juin 2016). Deux conditions sont posées pour l’exercice de la compétence de la compétence en matière de crime d’agression : d’une part, il faut 30 ratifications/adhésions. D’autre part, il faut que l’Assemblée adopte, après le 1er janvier 2017 (ce qui exclut la prochaine assemblée en novembre 2016), une décision en ce sens par au moins deux tiers des États parties.

–          Le 21 juin, Jean-Pierre Bemba a été condamné à 16 ans de prison pour le crime de guerre et le crime contre l’humanité de meurtre, à 18 ans de prison pour le crime de guerre et le crime contre l’humanité de viol et à 16 ans de prison pour le crime de guerre de pillage. Les peines de prison seront purgées de façon simultanée et non consécutive. La durée de sa détention préventive (8 ans) sera décomptée de ces peines. Cette peine de prison est moins élevée que les 25 ans demandés par le Bureau de la Procureure et les avocats des 5 000 victimes mais est la plus longue jamais prononcée par la CPI.La défense a annoncé son intention de faire appel du jugement.

A l’occasion du verdict dans l’affaire Bemba, rendu par la CPI le 21 mars 2016, la FIDH et la LCH publient une note revenant sur ces 15 années de mobilisation sur la situation en RCA (disponible sur https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/republique-centrafricaine/ ).

A lire aussi la note écrite par Raphaëlle Nollez-Goldbac sur le verdict du 21 mars dans la “Chronique de jurisprudence internationale” de la Revue générale de droit international (n°2, 2016, p. 449-457).

  • Devant la Chambre de première instance VII, les conclusions orales dans le procès Bemba, Kilolo et al. (Procès annexe à l’affaire principale ci-dessus, qui porte sur des subordinations de témoins) se sont tenues entre le 31 mai et le 2 juin. L’Accusation a eu quatre heures pour présenter ses conclusions, suivie par les équipes de Défense qui ont disposé chacune de deux heures. Suite à ces conclusions, les juges commenceront leurs délibérations et le jugement sera prononcé en temps voulu.
  • Seif al-Islam Kadhafi, l’un des fils du défunt dictateur libyen, a pour la première fois constitué une équipe de défense devant la CPI (auparavant, ses avocats avaient été commis d’office) pour demander l’abandon des procédures à son encontre devant la Cour au motif que Seif al-IslamKadhafi avait déjà été jugé et condamné à mort en juillet dernier par un tribunal de Tripoli. Al-Islam Kadhafi est détenu par un groupe opposé aux autorités contrôlant la capitale libyenne. L’accusé espère bénéficier d’une loi d’amnistie générale.

–          Le 22 juin, le bureau du Procureur a publié un projet de politique générale relative aux enfants et son 23ème rapport devant le Conseil de sécurité portant sur les enquêtes en cours et de l’absence de coopération de la République du Soudan.

Source CPI, FIDH, justiceinfo.net

 

  • Colombie :

Un accord historique sur un prochain cessez-le-feu définitif et le désarmement de la rébellion a été signé le 23 juin entre le gouvernement colombien et la principale guérilla, les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (FARC) lors d’une cérémonie officielle à La Havane. Il reste encore quelques points – jugé mineurs – à négocier mais après 3 années et demie de négociations, un accord de paix final est désormais possible. Une décision de la Cour constitutionnelle, saisie par le gouvernement d’une proposition de référendum sur un futur accord de paix est attendue en juillet. Cinq jours après l’officialisation de la paix, le processus de désarmement et de démobilisation débutera pour une durée prévue de 180 jours et sous supervision de l’ONU.

  • Sénégal : procès Hissène Habré et affaire Karim Wade

– Le jugement écrit de la condamnation à perpétuité de Hissène Habré est toujours attendu. Il devrait être rendu avant la fin du mois de juillet, de même que la décision sur les réparations des victimes dont un des enjeux importants porte sur l’octroi ou non de réparations financières individuelles. La mise en œuvre des réparations sera toutefois suspendue encore plusieurs mois à l’appel que les avocats commis d’office de Hissène Habré ont interjeté le 10 juin. Le nouveau procès ne statuera pas sur les faits mais vérifiera si le droit a été correctement dit. La chambre d’appel doit être mise en place dans les sept mois.

En marge de la procédure, les autres avocats de Habré, ceux qui avaient été choisis par l’accusé (non commis d’office) mais avaient ensuite refusé, avec l’accord de leur client, de participer au procès, ont contesté, dans le cadre d’une conférence de presse et non devant le tribunal, la validité d’un des juges de la Cour, qui ne remplirait pas, selon eux, les conditions de légalité pour siéger.

Dans le sillage du procès, Human right watch a publié le 28 juin un rapport « Allié de la France, condamné par l’Afrique » et une tribune dans le Monde sur l’implication et le soutien français au régime Habré.

–       Karim Wade, le fils de l’ancien président sénégalais Abdoulaye Wade, a été gracié et remis en liberté le 24 juin. Il avait été condamné en mars 2015 à six ans d’emprisonnement et 210 millions d’euros d’amende pour « enrichissement illicite ». Les sanctions financières et les procédures de recouvrement sont cependant maintenues. A ce titre, une audience s’est tenue ce lundi 27 juin au Tribunal de grande instance de Paris pour déterminer si la justice française peut ordonner ou non la confiscation des biens de Karim Wade, à la demande d’un arrêt de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (CREI). Le tribunal se prononcera le 26 septembre prochain.

  • Tribunal spécial pour le Liban

Dans une décision orale rendue le 1er juin, la Chambre de première instance du TSL a décidé la poursuite du procès en l’affaire Ayyash et autres, dans l’attente de plus amples informations de la part des autorités libanaises concernant la mort de l’accusé Mustafa Amine Badreddine. Les juges estiment les éléments dont ils disposent insuffisants pour conclure que M. Badreddine est bel et bien décédé.

Une conférence de mise en état convoquée par la Chambre de première instance le 22 juin 2016 a été annulée par la Chambre d’appel du TSL qui a fait droit à la requête des conseils de M. Badreddine et a décidé, à la majorité, de suspendre le procès en première instance dans l’attente de sa décision sur le fond de l’appel.

Source : TSL

  • République Centre-Afrique :

Un séminaire de discussion sur « Victimes, impunité, justice et reconstruction » s’est tenu du 1er au 3 juin à l’université de Bangui. Pendant trois jours, une centaine de personnes ont échangé sur ces thèmes. Ce séminaire s’est terminé par la mise en place d’une commission entre à l’observatoire Pharos et certains acteurs centrafricains chargée de faire la synthèse de différentes recommandations et réflexions et les transformer en  propositions qui seront transmises aux acteurs institutionnels.

En partenariat avec la MINUSCA, le Ministère centrafricain des Affaires sociales et de la Réconciliation a organisé le 22 juin un séminaire gouvernemental sur un processus de mise en place d’une Commission vérité- justice -réparations et réconciliation (qui était une des recommandations du Forum national de Bangui, organisé du 4 au 11 mai 2015).

A l’heure du départ de la force militaire française Sangaris, le climat reste cependant très tendu alors que le désarmement des rebelles ne progresse pas. Une trentaine de personnes ont perdu la vie entre le 19 et le 20 juin derniers, des policiers ont été enlevés à Bangui, des villages attaqués en province.

Source : Observatoire Pharos.

  • On nous a également signalé les ressources, rapports et événements suivants :

Le festival de documentaires « La guerre des femmes » organisé par l’Association francophone de justice transitionnelle et l’Institut universitaire Varenne à Baigorri, en parallèle de l’université d’été.