Richard Ross : le plaidoyer d’un photographe engagé

La dernière séance du séminaire JILC a été l’occasion d’accueillir à Paris le photographe américain Richard Ross, venu présenter son travail sur les lieux d’autorité et surtout sur la justice des mineurs aux Etats-Unis, dont il milite pour la réforme depuis plusieurs années.

Des cellules exigües et insalubres, des locaux vides et aseptisées, des uniformes rayés, rouges, verts ou oranges, des silhouettes anonymes… Pendant cinq ans, le photographe américain Richard Ross a arpenté les Etats-Unis à la rencontre d’un univers méconnu : celui des quelque 90 000 mineurs actuellement incarcérés sur le territoire américain.

Il en a tiré un extraordinaire matériau, une collection de près de 1000 photographies, issues de 300 lieux de détention et centres de redressement disséminés dans une trentaine d’Etats, assorties de centaines d’interviews. Ce reportage au long cours est devenu une exposition itinérante, accueillie le 15 juin dernier par l’université de Paris Ouest Nanterre à l’invitation du groupe JILC, et commentée par Richard Ross lui-même.

Juvenile-in-Justice n’est cependant pas une exposition comme les autres. Elle est d’abord le fruit d’une réflexion menée depuis de nombreuses années par un photographe de renom qui a travaillé pour les magazines les plus prestigieux : New York Times, Time, Vogue, Newsweek, Harper’s, Le Monde, la Repubblica… Auteur d’un premier travail sur l’architecture des « lieux d’autorité », Richard Ross s’intéresse à l’espace comme reflet de la réalité sociale. Il y  saisit dans l’instant des corps, du mobilier, des objets, dont la position ou la disposition ne sont jamais dues au hasard.

De son expérience passée, il conserve un choix savant des cadrages et des lumières, mais applique aussi une technique particulière : celle de se mettre toujours à la hauteur des yeux de son modèle, parfois même assis par terre alors qu’il conduit ses interviews.  Il ne photographie jamais le visage de ces jeunes prisonniers : « les rendre anonymes, dit-il, c’est les rendre universels ».

Cette esthétique soignée ne vise par pour autant à mettre en avant le talent du photographe, mais  à marquer l’esprit du spectateur, à faire en sorte, explique-t-il, que ces photos « ne soient pas oubliées ». Car Juvenile-in-Justice, c’est aussi et surtout une œuvre à but non lucratif, mise à la disposition d’associations caritatives américaines qui militent en faveur d’une réforme du système de justice des mineurs.

Aujourd’hui « plus activiste que photographe », Richard Ross a voulu ainsi mettre son art au service d’une cause, constituer une bibliothèque d’images témoins qui puisse servir à toute activité de plaidoyer ou être utilisées devant des commissions officielles. « Je souhaite, dit-il, que mes idées deviennent des pratiques sociales ».

La politique de justice américaine à l’égard des mineurs, rappelle-t-il, est unique parmi les pays développés. Dans 22 Etats, des enfants à partir de sept ans peuvent être poursuivis et jugés comme des adultes, et condamnés à perpétuité sans remise de peine, alors qu’il y a seulement dix ans, la peine de mort était encore en vigueur. Sur 90 000 jeunes incarcérés, seuls 12% ont commis des crimes violents. Mais la détention des mineurs aux Etats-Unis n’est pas seulement une histoire de chiffres, elle revêt des enjeux politiques, sociaux et économiques.

« Ces enfants sont en prison soi-disant parce qu’ils le méritent, mais ce sont juste des gamins qui ont fait des bêtises !, s’indigne Richard Ross. La prison n’est pas un endroit pour eux. La société criminalise des comportements qui sont habituels, fréquents à cet âge. Les punir est un acte criminel, car ces institutions sont destructrices.  Ce sont des enfants sans voix, issus de familles qui n’ont ni pouvoir ni ressources, 90% d’entre eux appartiennent à des minorités ».

Reflet de la « tolérance zéro » –  un mot d’ordre « auquel nul politicien ne peut s’opposer, sous peine de suicide politique », reconnaît Richard Ross –,  la politique carcérale américaine est aussi une industrie économiquement très florissante, qui sous-traite nombre de ses activités et prospère à l’ombre d’un droit très puissant : celui des victimes. « Selon l’American Correctional  Association, le coût moyen d’incarcération d’un mineur pour une période de 12 mois avoisine les 100 000 euros, explique le photographe. Il n’en faudrait que 3000 pour sa scolarisation. Aujourd’hui, il y a plus d’argent dépensé aux Etats-Unis pour les prisons que pour les écoles ». Alors que selon les associations spécialisées, chiffres à l’appui, dit-il, le taux d’incarcération ne fait pas diminuer le taux de criminalité, bien au contraire.

« Ce que je montre n’est pas une ‘anomalie’, affirme Richard Ross, c’est une pratique véritable, régulière, répétée. Je ne contrôle pas ces images, je ne cherche pas à transmettre une opinion. Je travaille sur les faits, sur la vérité. Je me dois d’être transparent. Ma responsabilité, notre responsabilité est de protéger ces enfants, pas ces institutions ».

Isabelle Tallec
Rédactrice en chef

> Le site Internet de l’exposition Juvenile-In-Justice

> Le site Internet de Richard Ross

Crédit photo : Richard Ross