Le JLD, gardien des promesses constitutionnelles ?

La troisième séance du séminaire Thérond, organisée le 14 mai 2012 à l’ENM et consacrée au juge des libertés et de la détention (JLD), s’est appuyée sur les travaux de Pauline de Gouville, enseignante à l’université de Cergy-Pontoise, en présence d’Isabelle Rome, vice présidente au tribunal de grande instance de Pontoise, juge des libertés et de la détention depuis cinq années dans cette juridiction.

Le compromis qui a conduit à sa création est tout entier résumé dans son appellation : le juge des libertés et de la détention (JLD), rappelle Pauline de Gouville, est né pour lutter  contre ce qui a été appelé la « schizophrénie » du juge d’instruction, à la fois Maigret et Salomon, selon la formule de Robert Badinter, mais sans que soit pour autant franchie l’étape de sa suppression.

Ce compromis a-t-il conduit cet électron de la procédure pénale à servir de caution pour repousser les limites de la coercition ? Ou est-il au contraire devenu la nouvelle pierre angulaire du procès et d’une procédure résolument contradictoire ?

De nouvelles compétences lui ont certes été attribuées au fil des lois qui se sont succédé depuis dix ans.  Appelé à statuer sur les perquisitions, les surveillances téléphoniques, les saisies spéciales, il a de fait récolté toutes les nouvelles prérogatives des enquêteurs, jusque là réservées au seul juge d’instruction, ou passant du cadre de la flagrance au cadre de la simple enquête préliminaire.

Encore peu identifié, disposant d’un  regard discontinu sur les enquêtes, son avenir toutefois demeure incertain. Il faudrait, selon Pauline de Gouville, redéfinir son cadre temporel et matériel d’intervention : un cabinet, un greffe spécifique avec une capacité d’auto saisine et de vérification de la détention comme en Allemagne, avec des échéances régulières.

Ses compétences dans ce cas ne devraient-elles pas s’étendre pour assurer pleinement le contrôle de la phase préparatoire du procès pénal et devenir comme en Italie le juge dit de l’audience préliminaire, avec une compétence sur le contrôle de la garde à vue ? Ceci conduirait dans certains cas à un double regard sur l’enquête, voire à deux regards différents : le regard du juge d’instruction sur le fait et le regard du juge des libertés et de la détention, chargé du contrôle de la phase préparatoire de l’enquête, véritable juge de l’habeas corpus.

Un acteur essentiel de la protection des libertés individuelles

Pour Isabelle Rome, le nouvel office de ce juge, à peine esquissé par le législateur, doit être adossé aux principes constitutionnels. Or, cet acteur essentiel de la protection des libertés individuelles telles que définies par la Constitution peut aussi être celui qui leur porte atteinte.

Le JLD doit apprécier chaque fois in concreto s’il y a lieu de prononcer ou prolonger une atteinte aux libertés au regard des critères définis par la loi. Le conseil constitutionnel a dans chacune de ses décisions rappelé que « la liberté individuelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne serait nécessaire » et que « les atteintes portées doivent être adaptées, nécessaires et proportionnées aux objectifs poursuivis ».

Chaque fois que la question se pose, le juge doit se demander si le mandat de dépôt est nécessaire, proportionné aux objectifs poursuivis. Le code de procédure pénale qui se réfère aux seules nécessités de l’instruction, ne prévoit pas que le juge des libertés et de la détention s’interroge sur la possibilité d’un acquittement après deux années de détention provisoire. Isabelle Rome considère toutefois que les exigences constitutionnelles imposent au juge de se poser cette question.

Le JLD doit, depuis la loi du 5 juillet 2011 qui fait suite à une décision du conseil constitutionnel du 26 novembre 2010,  statuer obligatoirement en cas d’hospitalisation d’office au bout d’un délai de quinze jours. Dans ce nouveau et important contentieux, il est conduit à apprécier la situation de la personne concernée au regard du même principe constitutionnel : cette atteinte aux libertés individuelles est-elle adaptée, nécessaire et proportionnée aux objectifs poursuivis ? Ceci requiert que l’avis des psychiatres tendant à la mesure d’hospitalisation soit suffisamment circonstancié, à défaut, cela peut entrainer la mainlevée de la décision d’hospitalisation.

La prolongation de la rétention administrative des étrangers, prévue par l’article 552-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile conduit le juge des libertés et de la détention à vérifier la régularité des procédures, point clé du système juridique. A Pontoise, 35% des saisines de la juridiction ont donné lieu à annulation par le juge.

Ce juge est ainsi en passe de devenir le juge des libertés, ce qui mériterait que soit formellement garantie son indépendance par une nomination par décret, et que soit enfin organisé son cadre de travail, conclut Isabelle Rome.

La légitimité de ce nouveau juge

Etre garant des libertés individuelles est pour ce juge un principe constitutif. Adosser son office à la Constitution, c’est faire de lui le « gardien des promesses constitutionnelles ». Cette approche n’est certainement pas partagée par tous les juges chargés de cette fonction qui ne voient encore que l’avenir incertain de cette nouvelle fonction et le caractère très discontinu de son intervention.

Boris Bernabé, historien, souligne la tension entre une volonté de mécanisation de l’office du juge par une multiplication de textes contraignants dont l’objet est de se protéger de l’arbitraire, y compris de l’arbitraire du juge, et la volonté du juge de sortir de cette mécanique au nom des libertés, en s’appuyant sur la Constitution.

Il est aussi rappelé que les médecins ont finalement peu critiqué le contrôle du juge, contrôle qui bouscule pourtant des logiques administratives et médicales, et que cette exigence de respect des libertés individuelles a été intériorisée. D’une certaine manière, ce contrôle externe conforte et rassure.

La question du lieu de l’audience relative aux hospitalisations d’office

Le rapport parlementaire rendu le 22 février 2012 sur la mise en œuvre de cette réforme préconise que les audiences se tiennent dans les hôpitaux en raison du coût et des difficultés d’accompagnement des transferts au palais de justice des personnes concernées, mais aussi par respect de la dignité de ces personnes.

Isabelle Rome raconte que sa juridiction a fait le choix de se déplacer dans les hôpitaux, choix qui permet à toutes les personnes concernées d’être présentes aux audiences et évite des déplacements problématiques pour des personnes hospitalisées, et qui permet aussi d’entendre de manière contradictoire les personnels soignants. L’audience se tient en robe, dans une salle spécialement aménagée à cet effet par les hôpitaux, procédure qui a nécessité des discussions préalables avec les hôpitaux. L’avocat a aussi un bureau réservé à cet effet.

Bruno Cathala, président du tribunal de grande instance d’Evry, défend une autre position. Pour lui, le lieu de justice ne peut être que le tribunal, dans une salle d’audience, avec la solennité que cela implique. De même, il entend les directeurs d’hôpitaux qui représentent l’administration mais exclut d’entendre les soignants qui ne sont pas parties à l’audience.

Nicole Maestracci, première présidente à Rouen, indique que, dans sa cour, deux juridictions se déplacent, suite à l’engagement de juges des libertés et de la détention très mobilisés par leur fonction. Deux juridictions ont refusé, soulignant la charge des nouvelles taches imposées par cette réforme.

La définition des pratiques judiciaires

A Evry, comme à Pontoise, la décision concernant l’organisation de ces nouvelles audiences relatives aux hospitalisations d’office a été prise en assemblée générale. A Pontoise, dès la décision du Conseil Constitutionnel, les juges de la liberté et de la détention ont anticipé la réforme à venir, en rencontrant les directions des hôpitaux. C’est ainsi que leur position s’est élaborée, avec le souci de la protection des personnes concernées. Une discussion importante s’est engagée, d’autant que la conférence des premiers présidents a rendu un avis en juillet 2012 en faveur des audiences dans le tribunal. La position des juges de la liberté et de la détention favorables aux audiences dans les hôpitaux a finalement été approuvée par l’assemblée générale.

Sylvie Perdriolle
Magistrate, chargée de mission à l’IHEJ sur l’office du juge