Art, droit et « contrats incertains »

Se servant de divers médias tels que la vidéo, la photographie ou encore la sculpture, l’artiste anglo-américaine Carey Young interroge le droit en tant qu’institution, ses limites et sa part de subjectivité. Elle a présenté son travail lors d’une séance du séminaire du JILC intitulée « Uncertain Contracts ».

Installée à Londres, l’artiste anglo-américaine Carey Young travaille à partir de documents juridiques pour analyser le droit en tant qu’institution mais aussi en tant que que « médium artistique, thématisé comme une forme séparée de la réalité, avec ses propres subjectivités et points de rupture, un espace conceptuel et abstrait qui, au-delà des documents juridiques existants, s’étend à de vastes thèmes tels que la discipline, le pouvoir et les jugements ou encore à la question du droit à l’autonomie de l’individu ou à celle du pouvoir d’action » [1].

Le 22 novembre dernier, elle est venue présenter ses travaux au séminaire du groupe JILC, dans le cadre d’une séance intitulée « Uncertain Contracts ». L’artiste a principalement montré des œuvres réalisées à partir de 2003 dans lesquelles elle aborde des sujets comme le droit d’auteur ou la propriété intellectuelle. Travaillant avec une équipe de juristes, de façon à donner à ses œuvres « une crédibilité  juridique », elle varie les formes : photographies, vidéos, installations et performances, des supports qui par ailleurs ont chacun un statut juridique propre.

Carey Young invite le public de ses expositions à entrer dans une relation contractuelle avec elle. En effet, la plupart des œuvres interroge l’idée et le langage d’un contrat qui a été conclu soit entre l’artiste et le visiteur, soit entre ce dernier et l’œuvre elle-même. Artistic License en est un bon exemple. Pour pouvoir entrer dans la galerie, les visiteurs se sont vus demander leurs empreintes digitales. En signant ce contrat, ils acceptaient que leurs empreintes puissent être utilisées plus tard par l’artiste comme objets artistiques ou à des fins commerciales. Ce projet a été inspiré par le débat autour de la propriété intellectuelle : les visiteurs devaient décider s’ils voulaient conclure un contrat qui leur permettrait de voir l’exposition mais leur interdirait d’empêcher l’utilisation de leur empreintes par la suite.

La question de la propriété intellectuelle est fortement liée au droit d’auteur, que Carey Young aborde par exemple dans une photo montrant un gros plan d’une météorite. Cette photo est intitulée C-type print from the Redshift series […] Copyright protection in this work shall be abandoned on a country to country basis […]. Le titre était la proposition d’une possible loi qui entrerait en vigueur en 2100 et abandonnerait progressivement le droit d’auteur, en commençant par l’Angleterre pour s’étendre peu à peu vers l’Ouest.

L’artiste s’intéresse à la zone floue entre légalité et illégalité. De son point de vue, la loi gêne souvent les artistes dans leur travail. Elle estime avoir moins de liberté artistique en raison de contraintes juridiques mais en même temps elle pense que les artistes ne sont pas suffisamment protégés.

Afin de mettre au défi la loi actuelle sur le droit d’auteur, elle a reproduit une photographie de l’artiste Hilla Becher, qui a donné son approbation. L’œuvre By and Between montre un réservoir d’essence vide et un autre plein, et a été exposée juste à côté de la photo originale. Entre les photos, Carey Young a inséré des « doublets » ou redondances linguistiques, sous forme de termes juridiques associés par paires qui peuvent soit exprimer la même chose et donc ajouter seulement une accentuation, soit ajouter une nuance. Ainsi qu’elle l’explique, ces mots sont utilisés pour refléter l’idée de répétition et de redoublement et pour permettre une interprétation de l’acte de duplication. Ce dernier pourrait être vu comme un hommage à Becher ou soulever la question de savoir si son œuvre est une simple reproduction ou si elle ajoute quelque chose à l’original.

Les œuvres plus récentes de Carey Young signalent parfois l’absurdité de la loi. Ainsi, la lithographie Report of the Legal Subcommittee montre une carte des étoiles sur laquelle se trouve un texte de l’ONU, la seule instance qui peut établir des lois concernant l’espace mais n’a jamais réussi à trouver un accord sur ces questions. De quel droit, l’artiste demande-t-elle en conclusion, l’homme peut-il gérer l’espace ?

Carey Young a aussi présenté d’autres travaux : We the People, Declared Void, Obsidian Contract ou Unintentional Silence que l’on peut retrouver sur son site www.careyyoung.com.

Yasmin Dietrich
Etudiante en master 2 Médias internationaux à l’université Paris 8

Crédit photo : Cornerhouse Manchester/Flickr


[1] Présentation de l’ouvrage de Carey Young, Subject to contract, sur le site Internet des éditions Les Presses du Réel, septembre 2013 http://www.lespressesdureel.com/ouvrage.php?id=2963