Le tragique de l’acte de juger

Séminaire l’acte de juger : débats contemporains
Cinquième séance

Intervenants │ Pierre Judet de la Combe, helléniste, directeur d’études à l’EHESS et Antoine Garapon, Secrétaire général de l’IHEJ.

La décision de justice comporte une dimension dramatique, il s’agit souvent de choisir entre des principes d’égale valeur, le juge peut être conduit non pas à choisir le bien mais le moins pire. La dernière tragédie d’Eschyle, les Euménides, interroge ce qui permet la coexistence de citoyens dans une cité au travers du procès d’Oreste, coupable d’avoir tué sa mère.

Pierre Judet de la Combe est  helléniste et philologue, directeur d’études à l’EHESS. Chercheur et homme de terrain, il collabore régulièrement avec des compagnies de théâtre et des metteurs en scène. Il a notamment été conseiller sur l’écriture du texte des Atrides mis en scène par Ariane Mnouchkine avec le Théâtre du Soleil, a été le traducteur de Prométhée pour Michel Raskine ou de Médée pour Jacques Lassalle. Il a publié les Tragédies grecques sont-elles tragiques ? Théatre et théorie, Bayard, coll essais, 2010.

Magistrat, docteur en droit, Antoine Garapon a été juge des enfants pendant de nombreuses années avant de rejoindre l’IHEJ comme secrétaire général en 1991. Il a publié de nombreux ouvrages dont Bien juger. Essai sur le rituel judiciaire (Odile Jacob, 1997), Des crimes qu’on ne peut ni punir, ni pardonner (Odile Jacob, 2002), Juger en Amérique et en France. Culture juridique française et common law (avec Ioannis Papadopoulos, Odile Jacob, 2003), Les juges dans la mondialisation (avec Julie Allard, Seuil, 2005), Les nouvelles sorcières de Salem. Leçons d’Outreau, (avec Denis Salas, Seuil, 2006), Peut-on réparer l’histoire ? Colonisation, esclavage, Shoah, (Odile Jacob, 2008), La Raison du moindre État. Le néolibéralisme et la justice (Odile Jacob, 2010).

Intervention de Pierre Judet de la Combe

Pierre Judet de la Combe présente des extraits d’Agamemnon et des Euménides (publiés ci-dessous) et son interprétation des textes d’Eschyle. Ce dernier pose la question de savoir comment une cité peut organiser la vie sociale quand les crimes s’enchainent. Pour y parvenir, il expose le règlement d’un cas, le meurtre de sa mère par Oreste. Il conclut à une double fondation du droit : institutionnelle, la constitution du tribunal de l’Aéropage pour juger le crime et la délibération de celui-ci, et politique et religieuse, la création par Athéna d’un temple pour les Erinyes, déesses de la vengeance.

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Extraits de l’intervention de Pierre Judet de la Combe

Télécharger la retranscription partielle  de l’exposé oral de Pierre Judet de la Combe, sur le tragique de l’acte de juger, par Sylvie Perdriolle.

Intervention d’Antoine Garapon 

Antoine Garapon se demande dans quelle mesure la question du tragique peut informer l’acte de juger. Il fait le constat de conflits de légitimité qui se répètent dans les procès : la difficulté tient à ce que plusieurs vérités coexistent, ce qui conduit à une certaine malédiction du jugement. La situation du juge qui veut faire le bien fait le mal quand le conflit est insoluble. Réfléchir au tragique oblige à réintégrer la part scénique du jugement, comprendre que le jugement est inséparable de la scène du jugement. Il explore les modalités permettant au juge de soutenir ces deux états, le langage et la scène à partir du silence et des regards. Le silence est une expérience en soi qui laisse le tragique parler, sorte de donner acte à la part irrésolue du jugement. Le regard permet de regarder les deux parties en même temps.

Article de Véronique Nahoum-Grappe

Véronique Nahoum-Grappe est anthropologue et ethnologue, a travaillé sur les violences, les rapports entre sexe, la dépendance. Le texte présenté ici est un extrait de la préface du livre d’un juré, Probe et libre, un écrivain juré d’assises, Sophie Képès, éd. Buchet/Chastel, 2013. Elle a été juré de cour d’assises à Paris en 2004 et elle fait part, dans ce texte, de sa propre expérience, montre comment le juré ressent dans son corps la gravité de la situation, la force du silence, la dimension cérémonielle et ritualisée d’un procès d’assises.

[Télécharger l’article de Véronique Nahoum-Grappe]

Article de Sandrine Ziantara-Logeay

Sandrine Ziantara-Logeay est directrice de la mission de recherche Droit et Justice, inspectrice générale adjointe des services judiciaires. Elle a publié dans la revue Criminocorpus un texte « Théâtre et Justice : autour de la mise en scène des Criminels de Ferdinand Bruckner par Richard Brunel » qui interroge la pérennité de la théâtralité du procès. Elle montre la remise en cause de cette théâtralité sur deux fronts, celui de l’impératif de proximité et celui de l’exigence managériale d’économie. Pourtant, hypothèse soutenue dans ce texte, la dramaturgie judiciaire est indispensable pour permettre à la justice de résoudre pleinement sa mission de résolution des conflits générés par la violence privée, notamment par l’effet de catharsis qui peut opérer sur l’ensemble des protagonistes de la scène judiciaire. La pérennité de la théâtralité doit toutefois s’envisager dans un cadre modernisé avec notamment l’introduction d’un contradictoire renforcé.

[Télécharger l’article de Sandrine Ziantara Logeay]