Quand les dessinateurs de Charlie Hebdo « croquaient » la justice…

Il y a quelques années, l’IHEJ avait eu le privilège de travailler avec Cabu, Tignous et Riss, dans le cadre d’une exposition consacrée au dessin d’audience et co-organisée avec la bibliothèque publique d’information du Centre Georges Pompidou. Une rencontre fructueuse et riche d’enseignements, à laquelle l’Institut souhaite rendre hommage aujourd’hui.

Caricaturistes provocateurs et controversés, les dessinateurs de Charlie Hebdo étaient aussi de fins observateurs du monde judiciaire. De talentueux « croqueurs » d’audience comme Cabu et Tignous, aujourd’hui disparus, et Riss, blessé lors de la terrible attaque qui a endeuillé la rédaction du journal satirique. Des grands procès d’assise aux petits procès d’un jour, ils avaient su saisir les instants les plus remarquables et mettre leur plume au service d’une réflexion plus profonde sur ce que la justice donne à voir d’elle-même et ce qu’elle révèle de la société française.

Riss en train de dessiner, Palais de justice de Bordeaux.
Noëlle Herrenschmidt. 1997. Crayon à papier et aquarelle
© Noëlle Herrenschmidt

Il y a quelques années, l’IHEJ avait eu le privilège de les rencontrer, dans le cadre d’une exposition itinérante sur le dessin d’audience co-organisée avec la bibliothèque publique d’information (BPI) du Centre Georges Pompidou. Présentée pour la première fois en 2010 au Parlement de Bretagne à Rennes, son objectif était de montrer le travail d’une dizaine de dessinateurs et chroniqueurs judiciaires contemporains, seuls autorisés à rendre compte par l’image des procès depuis la loi de 1954 qui interdit en France caméras et appareils photos dans les salles d’audience. Pendant plusieurs mois, des membres de l’Institut avaient ainsi pu échanger avec les dessinateurs, écouter et enregistrer leurs commentaires, visiter leurs ateliers, étudier leur technique, les suivre pendant leur travail.

Saisi sur le vif, le croquis d’audience donne à voir les lieux, les acteurs, les procédures et les histoires de la justice. Complémentaire du langage  – qui, lui, est un mode d’expression linéaire –, il offre aussi et surtout ce que l’écrit peine à rendre parfois : la représentation des émotions. Pour certains, cette transmission visuelle est ce qui fait d’ailleurs tout l’intérêt et l’originalité du dessin par rapport à d’autres médias comme la photographie. Une force émotionnelle qui n’est toutefois pas sans limites et qui exige de rester vigilant face à une trop grande place accordée aux impressions personnelles, ce dont les dessinateurs de Charlie Hebdo se montraient conscients.

Écouter Tignous

Témoins directs de procès-fleuves historiques – Ben Barka, Maurice Papon, Yvan Colonna… –, les trois caricaturistes avaient aussi couvert des procès moins médiatisés ou moins symboliques, certains parfois plus révélateurs de ce que la justice montre d’elle-même et de ceux qui arrivent devant elle. Des procès au cours desquels, soulignait Riss, l’observateur n’est pas distrait par l’« excitation médiatique » des grandes audiences qui peut faire perdre de vue « la question de savoir comment on juge un homme ».

Écouter Riss

« Cabu et Tignous, Riss toujours, étaient de formidables dessinateurs, mais également des êtres admirables, se souvient Barbara Villez, responsable du programme Images et représentations de la justice à l’IHEJ. Il y avait chez eux de vrais questionnements, sur la justice, sur la société française, sur ce qu’on peut apprendre en regardant. En créant de l’ambiguïté, ils poussaient les citoyens à réfléchir ».

L’exposition Traits de justice est aussi une exposition virtuelle. Librement accessible sur Internet et offrant un voyage inédit à travers l’histoire du dessin d’audience, elle permet aujourd’hui de découvrir ou redécouvrir d’autres témoignages des dessinateurs de Charlie Hebdo. Issus de leur volonté d’informer et de nourrir une meilleure compréhension de la réalité, ceux-ci faisaient aussi partie de leur liberté d’expression.

Isabelle Tallec
Rédactrice en chef