CPI : Les ambiguïtés de l’obligation de motivation des charges

CPI : Les ambiguïtés de l’obligation de motivation des charges
L’illustration par l’affaire Ongwen

Jérémy HALL (1)

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01-ongwen260115

L’accusé Dominic Ongwen devant la Cour, janvier 2015 (source : CPI)

1. Le 6 décembre 2016 commencera le procès contre Dominic Ongwen devant la Chambre de première instance IX de la Cour pénale internationale(2). L’ouverture du procès intervient sur la base de la décision de confirmation des charges (3) (ci-après « la décision de confirmation ») rendue par la Chambre préliminaire II (ci-après « la Chambre ») le 23 mars 20164. Cette décision confirme les 70 charges présentées par le Procureur à l’encontre de l’accusé. Ces charges portent sur la poursuite de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre concernant la commission d’attaques de quatre camps civils (notamment meurtres, esclavage et persécutions), de crimes sexuels et de genre (mariages forcés, viols et esclavage sexuels), et de conscription d’enfants-soldats.


(1) Jérémy Hall est Doctorant en droit international, spécialisé en Droit international pénal, au CESICE – Centre d’Études de Sécurité internationale et des Coopérations Européennes de l’université Grenoble-Alpes.
(2) CPI, Ongwen Case information sheet
(3) La décision de confirmation des charges est une décision, rendue par la Chambre préliminaire, dans l’objectif de confirmer ou d’infirmer les charges présentées par le Procureur. Cette étape procédurale permet de conclure la phase préliminaire du procès, et donc d’ouvrir le procès à l’encontre du prévenu. D’ailleurs, durant la phase préliminaire, le suspect est appelé « prévenu » alors que durant la phase d’instance, il est nommé « accusé ». Cette différente sémantique montre que la décision de confirmation des charges intervient en amont du procès, et que l’enquête menée par le Bureau du Procureur n’est pas encore terminée.
(4) Chambre préliminaire II, Situation en Ouganga, Affaire le Procureur c. Dominic Ongwen, Decision on the confirmation of charges against Dominic Ongwen, 23 mars 2016, ICC-02/04-01/15-422-Red ; ci-après Décision de confirmation.


2. La procédure de confirmation des charges devant la Cour est une procédure relativement complexe. Elle a lieu après l’adoption d’un mandat d’arrêt ou d’une citation à comparaître et en la présence du prévenu, ce dernier pouvant participer à la procédure. « The ICC’s confirmation proceedings are intended to operate as an effective pre-trial ‘filter’ to ensure that the charges concern criminal acts falling within the Court’s jurisdiction and that only those soundly based on the evidence go to trial » (5). En l’espèce, une des critiques effectuée par la Défense et l’un des juges de la Chambre porte sur le manque de précision des éléments de preuve quant au raisonnement suivi par la Chambre, alors même qu’ils doivent constituer la base de la décision de confirmation.

3. Bien qu’ayant signé la décision de la Chambre, le Juge Perrin de Brichambaut a rédigé une opinion individuelle afin de montrer son désaccord avec un élément de forme de la décision : la motivation (6). Dans son opinion, le Juge considère que la décision de confirmation est insuffisamment motivée du fait de la présence de lacunes et d’approximation dans le raisonnement juridique et l’analyse des éléments de preuve. Par la suite, il reprend certains paragraphes de la décision de confirmation afin d’illustrer la méthode que la Chambre aurait dû appliquer pour motiver sa décision.

4. Le 29 avril 2016, la Chambre rejette la requête de la Défense d’interjeter appel de la décision de confirmation des charges au motif que les cinq arguments développés par la Défense ne remplissent pas les critères prévus par l’article 82 du Statut de Rome (7). Le Juge Perrin de Brichambaut se dissocie à nouveau de la majorité de la Chambre préliminaire en joignant une opinion partiellement dissidente (8). Dans son opinion, le Juge mentionne son approbation avec la majorité pour quatre problématiques soulevées par la Défense. Il s’oppose aux deux autres juges sur la cinquième question : l’insuffisance de motivation de la décision de confirmation des charges.


(5) SLUITER (G.), et al., dir., International Criminal Procedure : Principles and Rules, Oxford, OUP, 2013, p. 399.
(6) Opinion individuelle du Juge Marc Perrin de Brichambaut, 19 mai 2016, ICC-02/04-01/15-422-Anx (« Opinion individuelle »).
(7) Chambre préliminaire II, Situation en Ouganda, Affaire le Procureur c. Dominic Ongwen, Decision on the Defence request for leave to appeal the decision on the confirmation of charges, 29 avril 2016, ICC-02/04-01/15-428.
(8) Opinion partiellement dissidente du Juge Marc Perrin de Brichambaut, 10 mai 2016, ICC-02/04-01/15-428-Anx (« Opinion partiellement dissidente).


5. Malgré l’importance d’une décision de confirmation des charges, seule l’obligation de motivation d’une décision de confirmation des charges devant la Cour pénale internationale sera traitée. Le fait qu’un juge se dissocie de la majorité montre l’intérêt procédural que comporte la question de motivation d’une décision de confirmation des charges. En effet, une motivation insuffisante d’une décision judiciaire peut conduire à sa révision, voire à son annulation. Par conséquent, il est nécessaire de comprendre l’obligation de motivation que doit respecter la Chambre préliminaire de la Cour pénale internationale lorsqu’elle adopte une décision de confirmation des charges. Les opinions du Juge Perrin de Brichambaut forment une base significative pour analyser le degré de motivation que doit comporter une décision de confirmation des charges. Ainsi, en tant que juridiction pénale, la Chambre préliminaire est soumise à une obligation de motiver ses décisions judiciaires inhérente à son office (I). Cette obligation est également intrinsèque au rôle préliminaire de la Chambre (II)

I. L’obligation de motiver la décision de confirmation des charges, inhérente à son office

6. Afin d’éviter les décisions arbitraires et illogiques, toute juridiction est soumise à l’obligation de motiver ses décisions dans l’objectif de respecter les droits de la Défense, et plus particulièrement de remplir son rôle juridictionnel (A). Par ailleurs, la confirmation des charges signifie que la Chambre doit effectuer l’opération juridique de qualification des faits qui fait partie intégrante de son obligation de motiver (B).

A. Le rôle judiciaire de la motivation

7. Dans ses deux opinions, le Juge évoque l’obligation pour la Chambre de motiver la confirmation de chacune des 70 charges puisqu’elle permet de garantir les droits de la Défense, c’est-à-dire le droit à un procès équitable, prévu de manière implicite à l’article 21-3 du Statut de Rome (9).

8. Chaïm Perelman considère que « motiver [une décision de justice], c’est [la] justifier […]. C’est persuader un auditoire, qu’il s’agit de connaître, que la décision est conforme à ses exigences »(10). La motivation judiciaire détermine le raisonnement suivi par le juge, c’est-à-dire exprime formellement les motifs de fait ou de droit venant commander l’énoncé du dispositif (11). Cette obligation a été intégrée au droit à un procès équitable par la Cour européenne des droits de l’Homme (12), et a été rappelée par la Chambre d’appel de la CPI concernant les décisions des Chambres préliminaires (13).

9. La motivation a donc pour objectif d’éviter l’arbitraire du juge en favorisant la prééminence du droit. Elle « joue son rôle dans le développement du droit, c’est-à-dire le renforcement de la sécurité juridique, donc de la légitimité de la réponse de l’institution


(9) Opinion individuelle, par. 3-5 ; Opinion partiellement dissidente, par. 11 et 17-30.
(10) PERELMAN (Ch.), FORIERS (P.), La motivation des décisions de justice, Bruxelles, Bruylant, 1978, p. 425.
(11) SOREL (J-M.), « La motivation des actes des juridictions internationales », in CAUDAL (S.), La motivation en droit public, Paris, Dalloz, 2013, p. 256.
(12) Opinion partiellement dissidente, par. 20-23, en particulier la note de bas de page n°26 listant la jurisprudence de la CEDH.
Voir également, CEDH, Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, Droit à un procès équitable, (volet civil), 2014, par. 236-245 ; et CEDH, Guide sur l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, Droit à un procès équitable (volet pénal), 2014, par. 109-112.
(13) Chambre d’Appel, Affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif à l’appel interjeté par Thomas Lubanga Dyilo contre la décision de la Chambre préliminaire I intitulée « Deuxième décision relative aux requêtes et aux requêtes modifiées aux fins d’expurgations introduites par l’Accusation en vertu de la règle 81 du Règlement de procédure et de preuve », 14 décembre 2006, ICC-01/04-01/06-774-tFRA, par. 30.


judiciaire à la demande sociale de justice » (14). En évoquant l’importance de la motivation pour le regard du public (15), le Juge Perrin de Brichambaut témoigne d’un intérêt particulier pour les destinataires de la décision de confirmation.

10. Les acteurs au procès constituent les principaux destinataires de la décision. La Cour est également un acteur important puisque la jurisprudence antérieure permet à une Chambre préliminaire de justifier, c’est-à-dire de motiver, sa décision de confirmation des charges. De plus, la motivation est nécessaire pour la communauté de juristes ayant un certain intérêt pour la Cour, qu’ils soient praticiens ou universitaires. Il convient finalement d’évoquer la Société mondiale dès lors que la Société civile et les États sont directement concernés par les développements jurisprudentiels de la Cour pénale internationale, puisque les décisions de la Cour peuvent avoir un réel impact juridico-politique.

11. L’auditoire auquel s’adresse la Chambre est particulièrement étendu, d’autant plus que les crimes poursuivis sont considérés comme touchant l’ensemble de l’Humanité. Ainsi, il est nécessaire que les juges motivent leur décision au risque de manquer de légitimité. Or, la CPI est actuellement en recherche de cette légitimité face au manque de confiance de nombreux acteurs de la scène internationale, en particulier les États africains. La motivation est donc un moyen d’acceptabilité sociale, c’est-à-dire qu’elle doit « répondre à un souci de transparence démocratique et à un objectif de pédagogie, afin que les décisions soient comprises » (16) par l’ensemble de ses auditeurs.

12. En motivant sa décision, une juridiction vient garantir la préservation de son intégrité et de son impartialité. Antonio Cassese affirma que « l’on pourrait considérer les juges comme des experts de la manipulation », puisqu’ils « manient habilement les lois, les critères, les principes d’interprétation dans le but […] de rendre justice dans un cas d’espèce ». Il rajoute qu’ « en particulier dans la justice pénale, on sent intuitivement qu’un homme est coupable, que le sens commun devrait nous conduire à cette conclusion » (17). Dès lors, la motivation judiciaire apparaît nécessaire pour manifester l’impartialité des juges, en particulier devant la CPI. En effet, les crimes poursuivis devant la Cour sont d’une telle


(14) CADIET (L.), « Introduction », », La semaine juridique, édition générale, supplément au n°1-2, « Regards d’universitaire sur la réforme de la Cour de cassation – Actes de la Conférence-Débat du 24 novembre 2015 », 11 janvier 2016, p. 11.
(15) Opinion partiellement dissidente, par. 23-24.
(16) FRICERO (N.), « Pour un meilleur accès à la portée normative des arrêts de la Cour de cassation – nouvelle manière de motiver, nouvelle manière de rédiger et de communiquer ? », La semaine juridique, édition générale, supplément au n°1-2, « Regards d’universitaire sur la réforme de la Cour de cassation – Actes de la Conférence-Débat du 24 novembre 2015 », 11 janvier 2016, p. 32.
(17) BADINTER (R.), BREYER (S.), Les entretiens de Provence – Le juge dans la société contemporaine, Paris, Fayard, 2003, p. 44.


gravité, et les preuves sont d’une telle difficulté à analyser, qu’il est nécessaire pour les juges d’établir la construction de leur raisonnement juridique, même si celui-ci est rédigé a posteriori de leur réflexion personnelle.

13. Le raisonnement juridique permet donc d’exposer les raisons pour lesquelles les juges parviennent à adopter la solution en l’espèce, c’est-à-dire le dispositif. Le Juge relève que la majorité au sein de la Chambre émet une distinction entre les motifs (« the reasoning ») et le dispositif (« the operative part ») (18). En effet, dans sa décision du 29 avril 2016, la Chambre considère que « it is only the charges as reproduced in the operative part of the Confirmation Decision which are binging to the proceedings » et que « no binding effect is instead attached to the reasoning provided in the Confirmation Decision ».

14. Une telle distinction de l’autorité de chose jugée entre le dispositif et les motifs existe pour les décisions de droit civil. Toutefois, l’autorité de la chose jugée au pénal s’étend au dispositif et aux motifs qui constituent le soutien nécessaire de la décision pénale. Par conséquent, puisque la décision de confirmation des charges a un impact important sur la conduite ultérieure du procès, elle acquiert une autorité de force jugée dans son ensemble, c’est-à-dire les motifs et le dispositif. La Chambre a donc adopté un raisonnement erroné lorsqu’elle a rejeté les prétentions de la Défense en distinguant les motifs du dispositif, d’autant plus que « si la décision fait le jugement, ce sont les motifs qui font la jurisprudence » (19). Or, la Cour doit développer une jurisprudence précise, compréhensible et accessible, ce que la majorité de la Chambre préliminaire II n’a pas fait dans les deux décisions étudiées.

15. En l’espèce, motiver la décision de confirmation de charges revient à exposer les raisons pour lesquelles la Chambre considère que les éléments factuels avancés par le Procureur remplissent les critères juridiques du Statut permettant de poursuivre l’affaire en première instance. Dès lors, motiver la décision de confirmation des charges revient à opérer une qualification juridique des faits.

B. Une obligation corrélative de la qualification juridique des faits

16. Dans son opinion individuelle, le Juge met en avant la méthode que la Chambre préliminaire II aurait dû utiliser pour confirmer les charges, c’est-à-dire pour qualifier juridiquement les faits.


(18) Opinion partiellement dissidente, par. 12-14.
(19) CADIET (L.), op. cit., p. 14.


17. La qualification juridique « consiste à revêtir une donnée concrète des qualités qui déterminent son régime et ses conséquences juridiques en la rattachant par nature aux catégories abstraites dont elle possède les critères distinctifs », c’est-à-dire procéder à une opération de subsomption20. Opération intellectuelle complexe, le processus de qualification nécessite d’identifier et d’établir les faits pertinents afin de les rattacher aux concepts juridiques adéquats. En l’espèce, la Chambre doit traduire les faits poursuivis par le Procureur en fonction des crimes prévus par le Statut de Rome, sur la base des éléments de preuves produits par les différentes parties. La qualification juridique est donc le coeur même du raisonnement juridique, et donc de la motivation d’une décision.

18. Le raisonnement juridique a pour objet de confronter une situation de fait à des règles de droit et a pour finalité d’en dégager la solution juridique la plus adéquate21. Il existe de nombreuses façons de raisonner juridiquement en fonction du système juridique étudié. Les systèmes de Common Law et de Civil Law se distinguent sur ce point. Un juge de Common Law vient appuyer son raisonnement sur les faits puisqu’il cherche les ressemblances entre les faits de son espèce et les solutions de ‘précédents’ judiciaires. A l’inverse, le raisonnement d’un juge de Civil Law se base sur les règles et principes légaux préétablis par le Législateur. Il convient de constater que le Statut de Rome ne prévoit pas un système juridique basé sur les précédents mais sur les textes juridiques. Avec seulement une quinzaine d’années d’existence, la Cour n’a pas encore pu établir une jurisprudence constante lui permettant de se référer à des solutions jurisprudentielles se basant sur des faits similaires. Par conséquent, la Cour semble avoir adopté le raisonnement de Civil Law, c’est-à-dire procéder à un syllogisme constitué d’une majeure (la question de droit) et d’une mineure (la question de fait) pour parvenir à une conclusion juridique.

19. Une décision de justice procède d’une série de syllogismes, permettant de parvenir à la conclusion finale du jugement. En l’espèce, la confirmation de 70 charges nécessiterait plusieurs dizaines de chaînes de syllogisme. Il est évident que le syllogisme judiciaire ne reflète pas une logique purement mathématique mais revêt une part importante et nécessaire de raisonnement dialectique, qui constitue les motifs d’une décision. Par conséquent, motiver la décision de confirmation des charges revient à rédiger les arguments factuels et juridiques sur lesquels se base la Chambre pour confirmer l’ensemble des charges présentées par le Bureau du Procureur. Le nombre de 70 pages pour rédiger les motifs de la Décision de


(20) BERGEL (J-L.), Méthodologie juridique, Paris, PUF, 2ème éd., 2016, p. 101.
(21) Ibid, p. 142.


confirmation semble donc assez faible pour retranscrire le raisonnement juridique de la Chambre.

20. La Chambre aurait pu baser sa méthodologie sur onze décisions de confirmation des charges, afin d’harmoniser le degré de son raisonnement juridique sur la jurisprudence antérieure. Or, l‘analyse de ces décisions de confirmation des charges permettent d’affirmer que, dans l’affaire Ongwen, la Chambre préliminaire II a adopté une rédaction différente de son raisonnement juridique.

21. En premier lieu, il convient de constater, à l’instar du Juge Perrin de Brichambaut, l’absence de définition juridique de plusieurs crimes présents dans les charges confirmées. La Chambre préliminaire n’a donc pas rappelé la définition légale des crimes faisant l’objet des charges, omettant ainsi d’établir la majeure du syllogisme. Par conséquent, la Chambre préliminaire n’a pas suffisamment motivé, en droit, sa décision dès lors qu’elle ne fait aucune référence légale aux crimes présents dans les charges. Cette remarque concerne également les modes de responsabilité, à l’exception de la co-perpétration indirecte. En effet, la Chambre a rejeté le moyen soulevé par la Défense quant à l’inexistence légale de ce mode de responsabilité. Ainsi, la Chambre a décidé de motiver juridiquement sa décision uniquement lorsque la Défense a contesté les charges ou lorsqu’un problème particulier s’est posé, tel que pour les charges concernant les crimes sexuels.

22. La Chambre préliminaire a donc intentionnellement limité sa motivation. L’objectif de la majorité de la Chambre était peut-être d’éviter de surcharger la décision d’éléments additionnels, compte tenu de la portée de la décision de confirmation des charges. En effet, les autres décisions de confirmation des charges compte plus d’une centaine de pages pour une ou quelques charges. Or, en l’espèce, le Procureur a présenté 70 charges. La confirmation d’un tel nombre de charges présente un travail considérable et une motivation particulièrement dense. Dès lors, il est compréhensible que la Chambre ait souhaité réduire sa décision en n’expliquant pas les points pour lesquels aucun problème juridique ou factuel ne s’est posé. Toutefois, cette réduction intentionnelle s’avère contraire au droit à un procès équitable et empêche les juges de première instance de comprendre clairement les raisons ayant conduit la Chambre préliminaire à confirmer les charges.

23. En second lieu, le Juge relève que les éléments de preuves sont rarement spécifiés par la Chambre, qui a préféré utiliser des références très générales. Or, la règle 64-2 du Règlement de procédure et de preuve fait obligation aux chambres de motiver leur décision en matière d’administration de la preuve.

24. Pour l’ensemble des blocs de charges criminelles, la Chambre, dans sa décision de confirmation, rappelle en premier lieu aux différentes preuves pertinentes produites par le Procureur concernant les charges étudiées (22). Un tel référencement des preuves pertinentes est présent dans les autres décisions de confirmation des charges. Toutefois, la Chambre ne le fait pas lors de l’établissement et la qualification juridiques des faits pertinents. Alors que les autres décisions de confirmation recensent plusieurs centaines de notes de bas de pages reprenant de manière minutieuse les éléments de preuves à chaque fois que cela s’avère nécessaire, la décision de confirmation étudiée n’en recense qu’une quarantaine. La Chambre préliminaire a préféré utiliser des expressions génériques telles que « on the basis of this evidence » ou « in light of the available evidence ». Or, cette généralisation est contraire à l’obligation inhérente de la Chambre préliminaire de motiver sa décision de manière suffisamment précise.

25. La Chambre d’Appel a estimé que « sa décision doit préciser sur quels faits et moyens de droit pertinents, parmi ceux qui lui ont été soumis, elle s’est appuyée pour tirer sa conclusion » (23). Dès lors, la Chambre préliminaire ne doit pas se limiter à lister les éléments de preuves, mais doit préciser ceux sur lesquels elle s’appuie à chaque fois qu’elle avance un élément factuel. A titre d’exemple, lorsque la Chambre écrit « Witness P-249 explains that Dominic Ongwen ordered LRA fighters under his command to pillage items from shops and homes […] », la Chambre aurait du mentionner la référence précise, la page et le paragraphe du document contenant le témoignage cité. En l’absence de tels éléments, une référence générale peut faire croire que l’ensemble du témoignage concerne ce point unique, alors qu’en l’espèce, il peut concerner l’ensemble de l’attaque, et non juste les ordres précis de pillage. Une référence générale aux éléments probatoires empêche la Défense d’appréhender, de manière précise, le raisonnement de la Chambre, faisant obstacle à une connaissance des éléments preuves sur lesquels reposent les charges, et donc au droit de recours de la Défense.

26. La Chambre préliminaire explique que « the purpose of the pre-trial proceedings is to make sure that only charges which are sufficiently supported by the available evidence and which are clear and properly formulated, in their factual and legal aspects, be submitted to a Trial Chamber for its determination » (24). Ainsi, la Chambre souligne elle-même que les charges confirmées doivent être suffisamment corroborées par des éléments des preuves. Dès lors, il apparaît que la délimitation des faits et circonstances relatives aux charges nécessite


(22) Voir, par exemple, Décision de confirmation des charges, par. 82.
(23) Chambre d’Appel, op. cit., ICC-01/04-01/06-774-tFRA, par. 33.
(24) Décision de confirmation, par. 16.


une référence minutieuse aux éléments de preuves, inhérente à l’obligation juridictionnelle de motiver une décision de justice, ce que ne fait pas la Chambre préliminaire en l’espèce. Toutefois, l’obligation de motiver, du fait de l’essence même de la décision de confirmation des charges, s’avère plus restreinte. Cette restriction ne justifie, en aucune manière, l’amoindrissement de la motivation effectué par la Chambre préliminaire dans l’affaire Ongwen.

II. L’obligation de motiver la décision de confirmation des charges, intrinsèque au rôle préliminaire de la Chambre

27. La Chambre préliminaire est obligée de motiver sa décision du fait de son rôle judiciaire. Mais cette obligation s’explique également par le rôle préliminaire que possède la Chambre au sein de la procédure devant la Cour, et en particulier du fait du standard de preuve applicable à la confirmation des charges (A) et du rôle de préparation du procès attribuée à la Chambre préliminaire (B).

A. Une motivation en fonction d’un standard de preuve modéré

28. « L’audience de confirmation des charges a pour objet de s’assurer qu’aucune affaire n’est renvoyée en jugement à moins que les éléments de preuve ne suffisent à établir qu’il y a des motifs substantiels de croire que la personne a commis les crimes qui lui sont reprochés » (25). Selon l’article 61-7 du Statut, après l’audience de confirmation des charges et après avoir analysé l’ensemble des éléments de preuves produits par les parties, la Chambre préliminaire peut : soit confirmer les charges pour lesquelles elle a conclu qu’il y existe des preuves suffisantes, soit ne pas les confirmer, soit ajourner l’audience et demander au Procureur d’apporter des éléments de preuves supplémentaires ou de modifier une charge.

29. Pour prendre sa décision, la Chambre doit appliquer un standard de preuve spécifique, prévu par l’article 61-7 du Statut de Rome. Les juges doivent déterminer s’il existe des preuves suffisantes donnant des motifs substantiels de croire que la personne a commis chacun des crimes qui lui sont imputés. Ce standard d’appréciation des preuves est plus élevé que celui appliqué pour la délivrance d’un mandat d’arrêt mais inférieur au standard nécessaire pour condamner un accusé au-delà de tout doute raisonnable. « Il convient dès lors


(25) Chambre préliminaire I, Situation en République démocratique du Congo, Affaire le Procureur c. Germain Katanga et Mathieu Ngudjolo Chui, Décision relative à la confirmation des charges, 30 septembre 2008, ICC-01/04-01/07-717-tFRA, par. 63


d’apprécier [cette norme] d’appréciation de la preuve […] en tenant compte du stade de la procédure auquel le critère s’applique » (26).

30. Le Statut et le Règlement de Procédure et de Preuve ne définissent pas ce standard de preuve. La Chambre préliminaire I, dans l’affaire Lubanga, a recherché une définition en s’appuyant sur la jurisprudence internationale relative aux droits de l’homme (27). La Chambre a précisé qu’ « à l’issue d’un examen rigoureux de l’ensemble [des éléments de preuves], la Chambre déterminera si elle est intimement convaincue que les allégations de l’Accusation sont suffisamment solides pour renvoyer Thomas Lubanga Dyilo en jugement ». En interprétant « les motifs substantiels de croire » par « des raisons solides de croire », la Chambre fait référence à trois éléments pour définir le standard d’appréciation applicable : l’examen rigoureux des preuves, l’intime conviction et la solidité des charges. Une telle définition fut reprise par les chambres préliminaires de la Cour dans les affaires Katanga et Ngudjolo, Bemba, Abu Garda, Banda et Jerbo, Mbarushimana, Ruto et al. et Muthaura et al.

31. En l’espèce, la Chambre préliminaire II a adopté une définition similaire du standard de preuve. En effet, la Chambre a confirmé les décisions antérieures de confirmation des charges en rappelant que « the evidentiary standard applicable at this stage of proceedings is lower than the one required at trial, and is met as soon as the Prosecutor offers ‘concrete and tangible proof demonstrating a clear line of reasoning underpinning [her] specific allegation’ » (28).

32. Dès lors, les juges ont pour rôle de s’assurer qu’aucune ambiguïté, incohérence, contradiction ou doute ne vienne entacher l’analyse rigoureuse des éléments probatoires en vue de confirmer les charges. Toutefois, du fait du degré modéré du standard de preuve, la Chambre d’appel, dans l’affaire Mbarushimana, a estimé qu’ « en l’absence d’une contestation spécifique de l’admissibilité d’un élément de preuve par l’une ou l’autre des parties, la Chambre s’abstiendra d’évaluer, comme envisagé à l’article 69-4, l’admissibilité de chacun des éléments de preuves présentés aux fins de l’audience de confirmation des charges » (29). En l’espèce, la Chambre préliminaire semble avoir suivi la décision de la


(26) BOURGUIBA (L.), « Article 61 – Confirmation des Charges avant le procès », in FERNANDEZ (J.), PACREAU (X.), Statut de Rome de la Cour pénale internationale, Commentaire article par article, Paris, Pedone, Tome II, 2012, p. 1403.
(27) Chambre préliminaire I, Situation en République démocratique du Congo, Affaire le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Décision sur la confirmation des charges, 29 janvier 2007, ICC-01/04-01/06-803, par. 38.
(28) Décision de confirmation, par. 17.
(29) Chambre d’appel, Situation en République démocratique du Congo, Affaire le Procureur c. Callixte Mbarushimana, Décision relative à la confirmation des charges, 16 décembre 2011, ICC-01/04-01/10-465-Red-tFRA, par. 43.


Chambre d’appel, puisque les juges ont seulement étudié l’admissibilité des éléments probatoires ayant posé un problème spécifique, tels que les témoignages relatifs aux charges portant sur les crimes sexuels directement commis par le prévenu (30).

33. La Chambre d’appel ajoute que « la Chambre [préliminaire] appréciera la cohérence intrinsèque de chaque élément de preuve au vu de l’ensemble des éléments présentés aux fins de l’audience de confirmation des charges. Si elle relève une incohérence, ambiguïté, ou contradiction dans l’élément considéré, elle utilisera celui-ci avec prudence à l’heure de confirmer ou de rejeter toute allégation de l’Accusation » (31). La Chambre d’appel estime que sa décision s’explique, en partie, par le fait qu’il soit préférable que les questions d’admissibilité des preuves soient posées lors du procès à la Chambre de première instance plutôt que lors de la phase préliminaire.

34. En l’espèce, la Chambre préliminaire a suivi les directives de la Chambre d’appel. Elle estime que, lorsqu’elle a étudié les contestations de la Défense, elle les a prises en considération ainsi que l’ensemble des éléments de preuve produits. De plus, elle demande aux parties de transmettre à la Chambre de première instance, postérieurement constituée, toutes questions spécifiques sur l’admissibilité d’un élément probatoire (32).

35. Puisque le standard d’appréciation des preuves applicable à la confirmation des charges est différent du standard applicable en première instance, le raisonnement juridico-factuel d’une Chambre préliminaire sera plus mesuré que celui exigé pour une Chambre de première instance. D’ailleurs, la Chambre d’appel a jugé que

« Le degré de détail du raisonnement sera fonction des circonstances de l’espèce, mais il est essentiel qu’il indique avec une clarté suffisante le fondement de la décision. Ce raisonnement ne devra pas nécessairement énumérer un à un les éléments d’appréciation soumis à la Chambre préliminaire, mais il doit préciser les faits qu’elle a jugé pertinents pour tirer sa conclusion »(33).

36. En l’espèce, la Chambre préliminaire semble avoir appliqué les directives adoptées par la Chambre d’Appel pour satisfaire le standard de preuve applicable. Toutefois, selon la définition du standard, trois éléments doivent être présents (34). Dans la décision de


(30) Décision de confirmation, par. 102-135.
(31) Chambre d’Appel, op. cit., ICC-01/04-01/10-465-Red-tFRA, par. 47.
(32) Décision de confirmation, par. 18 et 49.
(33) Chambre d’Appel, Situation en République démocratique du Congo, Affaire le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif à l’appel interjeté par Thomas Lubanga Dyilo contre la décision de la Chambre préliminaire I intitulée « Première décision relative aux requêtes et aux requêtes modifiées aux fins d’expurgations introduites par l’Accusation en vertu de l’article 81 du Règlement de procédure et de preuve », 14 décembre 2006, ICC-01/04-01/06-773-tFR (OA 5), par. 20.
(34) Voir supra par. 30.


confirmation, le raisonnement de la Chambre semble montrer la conviction intime des juges que les charges portées à l’encontre de Dominic Ongwen sont suffisamment solides et appuyées par des éléments de preuve. Mais le troisième élément, l’analyse rigoureuse des éléments probatoires, n’est pas perceptible au premier abord. En effet, en utilisant des références générales, la Chambre préliminaire ne montre que très rarement qu’elle a analysé de manière rigoureuse l’ensemble des éléments probatoires. Comme l’affirme le Juge Perrin de Brichambaut, cela « constitue une rupture par rapport aux pratiques antérieures des Chambres préliminaires » et « revient à soutenir que la décision de confirmation des charges n’a plus à expliquer pour quelles raisons il y aurait des preuves suffisantes de renvoyer la personne devant une chambre de première instance »35, alors même que « la décision de confirmation des charges est censée refléter ce double travail [examiner les preuves et relever les ambiguïtés] et mentionner quelles sont les preuves suffisantes qui donnent à la Chambre des motifs de croire que la personne a commis chacun des crimes [faisant l’objet des charges présentées par le Procureur] » (36).

37. Alors que dans les affaires précédentes les juges ont analysé l’ensemble des éléments de preuve comme un tout, en l’espèce, la Chambre ne fait état de cette analyse qu’en ce qui concerne les crimes sexuels directement commis par le prévenu (37). Concernant son analyse globale des preuves, la Chambre préliminaire mentionne uniquement qu’elle a évalué « the probative value of the relevant evidence » (38). Elle a donc opéré un choix quant aux éléments de preuves les plus pertinents pour confirmer les charges.

38. Il est à noter que la Chambre préliminaire I a considéré antérieurement qu’elle n’avait pas à renvoyer, dans ses conclusions, à l’ensemble des pièces présentées et prises en compte dans sa détermination39. Dès lors, en l’espèce, la Chambre n’avait pas besoin de recenser l’ensemble des éléments de preuves qu’elle a considéré comme pertinents. De plus, la Chambre ne précise pas si elle s’est limitée uniquement aux éléments de preuves présentés à l’audience, ou au contraire si elle a tenu compte de l’ensemble des pièces probatoires incluses dans l’inventaire du Procureur. La Chambre reste donc très vague sur les éléments de preuve qu’elle considère pertinents, et omet de recenser les motifs pour lesquels elle ne mentionne que certains éléments de preuve.


(35) Opinion partiellement dissidente, par. 15.
(36) Opinion individuelle, par. 11.
(37) Décision de confirmation, par. 113, 120 et 130.
(38) Décision de confirmation, par. 18.
(39) Chambre préliminaire I, op. cit., ICC-01/04-01/06-803, par. 39 ; Chambre préliminaire I, op. cit., ICC-01/04-01/07-717-tFRA, par. 69.


39. Ce manque de précision dans les motifs pourrait amener à penser que la Chambre n’a pas appliqué correctement le standard de preuve. Pourtant il semble que le manque de rigueur de la Chambre ne concerne que la motivation, et non l’analyse probatoire. cela signifie non seulement que la Chambre préliminaire a rendu une décision insuffisamment motivée, mais également que l’objectif de préparer le procès pourrait rencontrer des difficultés inattendues.

B. Une motivation en vue de préparer la première instance

40. Le standard d’appréciation de la preuve étant plus faible que celui de première instance, il en découle que la manifestation de la vérité ne constitue pas l’un des rôles de la Chambre préliminaire. L’objectif de la procédure de confirmation des charges est « de renvoyer en jugement uniquement les personnes à l’encontre desquelles les charges suffisamment sérieuses ont été présentées et sans se limiter à de simples supputation ou soupçons » (40). En l’espèce, la Chambre a confirmé les 70 charges présentées par le Procureur (41).

41. La Chambre d’Appel a jugé que « la matière du procès […] est définie par les crimes retenus dans les charges », puisque ces dernières « définissent les questions à trancher lors du procès et limitent l’autorité de la Chambre de première instance à l’examen de ces questions » (42). En l’espèce, la Chambre préliminaire rappelle que la procédure de confirmation des charges « are settling the parameters of the case for trial in making sure that the charges are clear and not deficient in form »(43). Cette décision est donc d’une importance primordiale pour la bonne conduite du procès, et doit respecter l’ensemble des éléments formels que doit contenir une décision judiciaire, y compris une motivation suffisante en droit et en fait. Or, en l’espèce, la Chambre ne motive pas suffisamment sa décision.

42. La Défense, dans sa demande d’interjeter appel de la décision de confirmation, considère que « an overly vague document with almost no evidentiary citations will cause confusion and problems throughout the rest of the proceedings »44. Dans l’affaire Lubanga, la Chambre d’appel avait d’ores et déjà affirmé que « toute violation des règles d’équité du procès ou écart par rapport à ces règles durant la phase préliminaire peut avoir des


(40) Chambre préliminaire I, op. cit., ICC-01/04-01/06-803, par. 37.
(41) Décision de confirmation, p. 71-104.
(42) Chambre d’appel, Situation en République démocratique du Congo, Affaire Le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif aux appels interjetés par le Procureur et la Défense contre la Décision relative à la participation des victimes rendues le 18 janvier 2008 par la Chambre de première instance I, 11 juillet 2008, ICC-01/01-01/06-1432-tFRA (OA 9 OA 10), par. 62-63.
(43) Décision de confirmation, par. 15.
(44) Défense pour Dominic Ongwen, Situation en Ouganda, Affaire le Procureur c. Dominic Ongwen, Defence Request for Leave to Appeal Issues in Confirmation of Charges Decision, 29 mars 2016, ICC-01/04-01/15-423, par. 35.


répercussions sur la procédure et affecter l’issue du procès » (45). La phase préliminaire est sensée servir d’outil pouvant aider les parties à préparer l’affaire et à la faire progresser (46).

43. Il convient de constater qu’une décision insuffisamment motivée engendre des conséquences lourdes pour la Défense, puisqu’elle n’est pas en mesure de prendre connaissance des éléments de droit et de fait sur lesquels se fonde la décision des juges préliminaires. Du fait de l’absence de référence précise à des pièces probatoires, la Défense est dans l’incapacité de connaître les éléments de preuve ayant permis à la Chambre de délimiter les faits et circonstances de l’affaire. Dès lors, la Défense devra opérer un travail supplémentaire lors du procès si elle souhaite interpeller la crédibilité de témoins ou l’authenticité de preuves documentaires. Ainsi, le principe de l’égalité des armes ne serait pas respecté (47).

44. Par ailleurs, l’imprécision de la décision de confirmation peut engendrer un contentieux entre les parties, comme cela a pu être le cas dans l’Affaire Ntaganda48. Or, avec 70 charges, le contentieux entre le Procureur et la Défense de Dominic Ongwen pourrait être particulièrement dense, rallongeant le délai du procès. Le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable ne serait dès lors pas respecté. De plus, après la confirmation des charges, il est encore possible au Procureur, avec l’accord de la Chambre préliminaire et avant que le procès ne s’ouvre, de modifier les charges49. L’imprécision de la décision donne au Procureur une certaine latitude s’il souhaite modifier officiellement les charges, au détriment de la Défense.

45. L’enquête peut se poursuivre après l’adoption de la décision de confirmation des charges. Or, le Procureur peut constater l’existence de contradictions entre des témoignages soumis à la Chambre préliminaires et des éléments probatoires recueillis après le rendu de la décision de confirmation. Conséquemment, la Chambre préliminaire se serait basée sur des


(45) Chambre d’appel, Situation en République démocratique du Congo, Affaire le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Arrêt relatif à la Requête du Procureur aux fins d’obtenir l’examen extraordinaire de la décision rendue le 31 mars 2006 par laquelle la Chambre préliminaire I rejetait une demande d’autorisation d’interjeter appel, 13 jullet 2006, ICC-01/04-168, par. 11.
(46) Chambre de première instance I, Situation en République démocratique du Congo, Affaire le Procureur c. Thomas Lubanga Dyilo, Décision relative au statut, devant la Chambre de première instance, des témoignages entendus par la Chambre préliminaire et des décisions de la Chambre préliminaire dans le cadre des procédures de première instance, et aux modalités de présentation des éléments de preuve, 13 décembre 2007, ICC-01/04-01/06- par. 8.
(47) Opinion partiellement dissidente, par. 29.
(48) Chambre de première instance VI, Situation en République démocratique du Congo, Affaire le Procureur c. Bosco Ntaganda, Decision on the updated document containing the charges, 6 février 2015, ICC-01/04-02/06-450,
(49) Article 61-9 du Statut.


éléments probatoires controversés, ce qui pourrait être mis en avant par la Défense lors du procès. Mais l’absence de référence spécifique aux éléments probatoires empêche la Défense de démontrer ce genre d’incohérences devant la Chambre de première instance lors du procès. Les droits de la Défense ne seraient donc pas respectés.

46. Finalement, le manque de précision de la décision laisse une certaine marge de manoeuvre à la Chambre de première instance pour modifier la qualification juridique des faits. En effet, la norme 55 du Règlement de la Cour autorise la Chambre de première instance à modifier la qualification juridique des faits, sans dépasser le cadre des faits et circonstances décrits dans les charges. La motivation est une obligation corrélative de la qualification juridique des faits. Une motivation insuffisante empêche donc une qualification juridique des faits claire et précise par la Chambre préliminaire, ce qui peut obliger la Chambre de première instance à revenir sur cette qualification. A nouveau, cela pourrait engendrer le non-respect des droits de la Défense, et rallonger les délais du procès.

47. En conclusion, la Chambre préliminaire doit obligatoirement motiver de manière suffisamment précise sa décision sur la confirmation des charges. Le caractère précis ne renvoie pas nécessairement au caractère exhaustif du référencement des éléments de preuve. Toutefois, il est nécessaire que la Chambre préliminaire spécifie les éléments de preuves sur lesquels elle appuie sa décision, c’est-à-dire qu’elle effectue des références précises en notes de bas de page aux pièces probatoires. Il apparaît donc clairement qu’en l’espèce, la Chambre préliminaire II n’a pas respecté son obligation de motivation. La Chambre préliminaire I, dans l’Affaire Al Mahdi semble également ne pas avoir respectée son obligation de motiver sa décision de confirmation des charges50, adoptée le lendemain de la décision de confirmation dans l’Affaire Ongwen. Dans une opinion séparée51, le Juge Kovacs montre l’imprécision des motifs énoncés dans la décision de la Chambre préliminaire I. Il convient de constater que, sur les 5 juges constituant ces deux chambres préliminaires, deux juges remettent en cause la motivation des décisions de confirmation de charges, les Juges Marc Perrin de Brichambaut et Peter Kovacs ; et qu’un juge est présent au sein des deux chambres, le Juge Cuno Tarfusser. Ces deux décisions peuvent montrer un changement de direction de la section préliminaire de la Cour dans la motivation des décisions de confirmation des charges. Toutefois, un tel


(50) Chambre préliminaire I, Situation en République du Mali, Affaire le Procureur c. Ahmad Al Faqi Al Mahdi, Decision on the confirmation of charges against Ahmad Al Faqi Al Mahdi, 24 mars 2016, ICC-01/12-01/15-84-Red.
(51) Separate Opinion of Judge Peter Kovacs, ICC-01/12-01/15-84-Anx.


changement s’avère contraire au droit à un procès équitable. Il conviendrait que les Chambres préliminaires ne réitèrent pas cette expérience et reviennent à la méthode de motivation affirmée dans les décisions précédentes, tel que dans les affaires Katanga ou Ntaganda. Si les Chambres préliminaires conservent cette motivation réduite perçue dans la décision Ongwen, leurs décisions futures de confirmation des charges risquent d’être censurer par la Chambre d’Appel ou d’engendrer des conséquences importantes lors des procès et donc de susciter une opinion défavorable envers la Cour.