Du procès Bemba au procès…Bemba (Musamba et al.)

Le 11 novembre 2014, les juges de la CPI ont confirmé les charges de subornation de témoin portées à l’encontre de Jean-Pierre Bemba et de quatre de ses associés sur la base de l’article 70 du Statut de Rome, puis les ont inculpés. Il s’agit de la première affaire à être traitée par la Cour, au titre de cet article, concernant une subornation de témoin (télécharger la fiche d’information sur l’affaire) Le lendemain, les déclarations orales en clôture du premier procès de Bemba devant la CPI ont pu se tenir, les 12 et 13 novembre, soit presque quatre ans après son ouverture.

Les faits reprochés à Bemba l’engagent dans un procès au long cours… 

Jean-Pierre Bemba Gombo est jugé par la Cour pénale internationale (CPI) depuis le 22 novembre 2010 pour les charges de manquement à discipliner ses combattants du Mouvement de Libération du Congo (MLC) qui auraient commis des viols, des meurtres et des pillages en République centrafricaine en 2002 et 2003.

L’ex-chef rebelle congolais avait été arrêté le 24 mai 2008 par la police belge alors qu’il s’apprêtait à devenir le porte-parole de l’opposition en RDC obtenant par la même une immunité de ministre d’État (il bénéficiait déjà de l’immunité de juridiction dans son pays en tant que Sénateur).

En mars 2009, en phase préliminaire, une requalification des faits reprochés à M. Bemba a été opérée. Initialement poursuivi pour sa « responsabilité individuelle » (article 25 du Statut) dans les exactions qu’auraient commises ses combattants en Centrafrique, Jean-Pierre Bemba est aujourd’hui poursuivi, non en tant qu’auteur ou co-auteur mais en tant que « chef militaire », en vertu du principe de la « responsabilité du commandant ». Le statut prévoit qu’un supérieur hiérarchique peut être incriminé pour la responsabilité qu’il exerce sur ses hommes (article 28 du Statut) et condamné si trois conditions sont réunies et démontrées par le procureur : il exerçait un contrôle effectif sur ses troupes ; il savait ou était en mesure de savoir que des crimes étaient commis par ses troupes ; il n’a pris aucune mesure pour prévenir ou punir les auteurs de ces crimes.

Au début des années 2000, les troupes de Bemba ont fait font plusieurs incursions en Centrafrique. Une première fois en 2001 pour soutenir Ange-Félix Patassé, alors Président Centrafricain contre une tentative de coup d’Etat menée par François Bozizé donnant lieu aux premières exactions et premiers viols, une seconde fois d’octobre 2002 à janvier 2003. Début mars 2003, sous la pression internationale M. Bemba retire ses hommes  tout en commettant une dernière vague de crimes: des viols suivis d’exécutions sommaires.

Dès la mi-2003, alors qu’il s’apprête à rejoindre Kinshasa pour y siéger en tant que vice-président de la République il est confronté à ces accusations pour lesquelles il nie sa responsabilité en invoquant notamment son absence du terrain où les exactions ont été commises. Pour lui, les autorités centrafricaines et en particulier M. Bozizé, étaient les véritables donneurs d’ordre des troupes du MLC. Mais cette argumentation est mise à mal par les témoignages d’ex-hauts responsables de l’époque, comme le général Bombayake qui dirigeait la garde présidentielle de Patassé, selon lesquels M. Bemba exerçait bien un commandement effectif. La défense de Bemba a cependant également contesté les autres éléments constitutifs de la responsabilité de commandement. Selon elle, lorsque Bemba a été informé par les médias de la commission de violences, il aurait fait en sorte que des enquêtes soient conduites pour vérifier les allégations et que des soldats mis en cause soient arrêtés (télécharger la transcription des conclusions orales).

Le statut de l’accusé avait, à l’époque, permis à la Cour de gagner en crédibilité en apportant un démenti à ceux qui l’accusaient de ne s’en prendre qu’aux donneurs d’ordre intermédiaires. C’était en effet la première fois qu’une personnalité de si haut rang était visée. Cette affaire était également la première dans laquelle la grande majorité des crimes reprochés sont de nature sexuelle.

Ce dossier se distingue aujourd’hui par sa durée. En effet, quatre ans après son ouverture, le procès Bemba n’est toujours pas clôt. Entre novembre 2010 et mars 2012, 40 témoins de l’accusation ont été auditionnés suivis des représentants des victimes (5229 victimes participent au procès). Entre 2012 et 2013, 34 témoins de la défense ont comparu. La durée du procès a aussi été allongée par le décès fin avril 2009 de la juge japonaise Fumiko Saiga qui officiait au sein de la chambre préliminaire II de la CPI, les suspensions d’audience, la requalification des faits, et le nouveau procès ouvert pour la subordination de témoins.

Le cours de l’affaire a néanmoins gagné en vitesse grâce à la coopération avec les Etats parties, cruciale et particulièrement efficace cette fois-ci. La France, la Belgique et la RDC (notamment pour des raisons politiques) ont joué le jeu permettant dans l’ouverture en 2013 « d’un procès dans le procès » l’exécution des mandats d’arrêts contre les co-accusés de M. Bemba en quelques jours.

… qui ouvre sur un procès dans le procès. 

En novembre 2013, Jean-Jacques Mangenda Kabongo, un membre de l’équipe de défense de M. Bemba, Fidèle Babala Wandu, un membre du parlement congolais et secrétaire général adjoint du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) dirigé par M. Bemba et Narcisse Arido, un témoin de la défense du procès Bemba sont arrêtés par la CPI. Le juge Tarfusser de la chambre préliminaire II les soupçonnait d’atteintes à l’administration de la justice par subornation de témoins avant leur comparution devant la CPI et production de preuves falsifiées. Cette deuxième charge a finalement été retirée. Il s’agissait des premières arrestations faites sur la base de l’article 70 du Statut de Rome.

Le 7 avril 2014, la CPI a officiellement mis un terme à la phase de présentation des preuves. Le 2 octobre 2014, une nouvelle phase de présentation de preuves est ouverte afin d’étudier le problème de la crédibilité des témoins.

Le 11 novembre 2014, les juges ont confirmé les charges de subornation de témoin portées à l’encontre de M. Bemba et de quatre de ses associés puis les ont inculpés (télécharger la décision).

Si ni la défense ni l’accusation ne font appel de la décision de confirmation, la présidence de la Cour constituera une chambre pour juger les cinq personnes. M. Bemba reste en détention à La Haye pour son procès qui se déroule actuellement alors que ses quatre co-accusés ont été libérés en octobre 2014.

Enfin, l’avancée jurisprudentielle que permettra cette incursion de la CPI dans le domaine de l’intimidation de témoins sera intéressante à observer et aura sûrement un impact sur le comportement de la défense et de l’accusation à l’égard des témoins. Néanmoins, si l’accusation portée contre ces personnes ne s’avère pas fondée, les projecteurs pourraient se braquer sur l’atteinte au droit de M. Bemba défini dans l’article 55 du Statut de Rome : celui d’être assisté par le défenseur de son choix. Cela pose aussi la question de l’identité des nouveaux membres de l’équipe de défense de M. Bemba (Peter Haynes  conseil principal, Kate Gibson co-conseil.  Guenael Mettraux, Melinda Taylor, Natacha Lebaindre, Cecile Lecolle et Cindy Josseran) et donc de l’allongement supplémentaire des délais dans le procès principal.

La Justice pénale internationale a déjà connu des précédents dans l’intimidation de témoin. Le TPIY a par exemple condamné par deux fois Vojislav Seselj (en 2009 et 2010) à 15 et 18 mois de prison pour avoir révélé le nom de plusieurs témoins protégés. Le TPIR avait également ouvert une procédure à l’encontre d’un avocat et d’un témoin. La CPI elle-même a déjà émis en août 2013 un mandat d’arrêt à l’encontre de Walter Osapiri Barasa en tant qu’auteur direct (article 25‑3‑a) ou à titre subsidiaire (article 25‑3‑f) de  trois chefs d’atteinte à l’administration de la justice consistant en la subornation ou en la tentative de subornation de trois témoins de la CPI.

Hélène Calame
Chargée de mission Justice pénale internationale