Projet de révision du Greffe de la CPI : une réforme controversée

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Un projet de réforme a été publié à l’automne dernier par le greffe de la CPI, intitulé « Basic Outline of Proposals to Establish Defence and Victims’ Offices ». Il résulte d’une recommandation du Comité du budget et des finances (CBF), faite à l’Assemblée des États Parties (AEP) pour améliorer la performance de la Cour.

Cette recommandation fut retenue par l’AEP qui, lors de sa 12ème  session en décembre 2013, donna mandat au Greffier de « réorganiser et rationaliser la structure organisationnelle » du Greffe. L’équipe du Greffe, formée début janvier 2014 à cet effet, avança quelques mois plus tard les propositions suivantes :

  •  Création d’un bureau unique pour les victimes qui regrouperait les fonctions actuellement assurées par le Bureau du conseil public pour les victimes (BCPV) et la Section chargée de la participation des victimes et des réparations, redéfinissant ainsi les fonctions de la Section d’appui aux conseils (SAC).
  • Création d’un bureau unique pour la défense dans lequel seraient regroupées la plupart des fonctions actuellement exercées par le Bureau du conseil public pour la défense (BCPD) et la Section d‘appui aux conseils, à l’exception de la fonction de représentation du BCPD. La représentation des suspects et des accusés, y compris dans le cadre des permanences assurées ou de mandats ad hoc, serait effectuée uniquement par des avocats externes indépendants.
  • Confier le rôle de représentation indépendante des intérêts collectifs de tous les conseils admis à exercer devant la Cour à une association de conseils indépendante et autonome.

« Une occasion précieuse de renforcer la possibilité pour les victimes d’accéder à la Cour », voilà ce qu’une telle réforme devrait, selon la FIDH, représenter. De même, la défense qui, selon l’avocat François Roux, est « depuis le début des juridictions pénales internationales (…) le parent pauvre de cette justice » aurait beaucoup à gagner dans une révision du système actuel. Pourtant, si « la volonté louable et nécessaire de réformer » n’est contestée par personne, force est de constater que, dans son état actuel, le projet a suscité une levée de boucliers quasi-unanime : la FIDH, l’International Bar Association (IBA), le BCPV, ainsi qu’un certain nombre de conseils impliqués dans des dossiers de la CPI et de commentateurs comme Fabrice Bousquet, un jeune doctorant blogueur qui, sur le site de la Clinique de droit international pénal et humanitaire de la Faculté de droit de l’Université Laval, lui consacre une chronique virulente. Pourquoi cette levée de bouclier ?

Si le projet de réforme, du côté de la défense comme du côté des victimes, envisage de fusionner les instances qui fonctionnent actuellement et de  créer, pour les victimes comme pour la défense, un bureau unique, la refonte à première vue similaire n’a pas les mêmes conséquences pour les victimes et pour la défense : dans le premier cas, la restructuration en un bureau unique pour les victimes revient à « internaliser » entièrement la représentation légale des victimes ; dans le second cas, la restructuration en un bureau unique pour la défense revient à externaliser entièrement la défense (la « mettre à la porte de la CPI » selon l’expression de François Roux.

Les problématiques soulevées par la réforme ne sont donc pas du même ordre pour les victimes et pour les accusés, bien que plusieurs de leurs critiques se rejoignent :

  • Sur la rapidité avec laquelle le processus de réforme est conduit et l’insuffisance des consultations menées, notamment vis-à-vis des avocats qui, pour la représentation des victimes ou des accusés, ont eu une expérience concrète de leur travail devant la Cour ;
  • Sur le manque d’expertises et d’études approfondies : absence d’analyse des avantages et inconvénients des diverses pratiques de représentation des victimes, différente dans presque chaque affaire devant la Cour aujourd’hui ; absence d’études de coût prévisionnel du système envisagé ;
  • Sur le flou de nombreux aspects de la réforme : absence de précisions sur la tutelle et le mode d’évaluation des conseils qui seront membres de la Cour ni sur la manière dont seront nommés les conseils ; interrogations sur l’étendue et les limites des prérogatives des conseils locaux pour les victimes ou de celles du soutien juridique du bureau de la défense ;
  • Sur les risques qui pèsent sur l’indépendance des deux nouveaux bureaux uniques, ce qui est patent notamment – mais pas seulement – dans les cas où des victimes ou des accusés seront en opposition avec le Greffier sur des questions d’ordre juridique

Ce point – garantir l’indépendance de la représentation des intérêts des victimes et des accusés au sein de la Cour – constitue l’inquiétude principale. C’est une des préoccupations majeures qui ressort dans une lettre ouverte adressée au greffe par la FIDH, en novembre dernier et dans son rapport publié à l’occasion de la 13ème Assemblée des États Parties. Des conseils salariés de la cour n’apporteraient pas, selon l’organisation de défense des droits de l’Homme, la garantie d’une indépendance totale dans la prise en compte des intérêts des victimes. C’est également le point que soulève Sir Adrian Fulford, juge de la cour d’appel, dans son discours du 29 octobre 2014. Pour lui, les difficultés matérielles peuvent déjà représenter un frein important à l’implication effective des victimes. Leur retirer en plus la possibilité de choisir un avocat extérieur augmentera encore un peu plus ce risque. « Ce ne sont pas les victimes qui sont loin, mais le siège de la Cour. Il est essentiel de procéder à cette inversion de perception. Il faut partir du principe que c’est à la Cour de s’adapter aux victimes et non l’inverse. Pour résumer, la participation des victimes (ainsi que leur représentation légale) doivent être conçues du point de vue de la situation des victimes et non du point de vue de la salle d’audience » résume la FIDH.

Mêmes inquiétudes du côté du Bureau du conseil public pour la défense, qui relève du Greffe pour les questions administratives mais, pour le reste, demeure indépendant. Le BCPD a également fait connaître ses commentaires sur le projet. Pour lui, un bureau indépendant est indispensable pour « maintenir le semblant d’égalité des armes qui s’est développé en droit international pénal». Or dans le projet du Greffe, le nouveau Bureau de la défense verrait sa dépendance au Greffe étendue à des domaines fonctionnels tandis que son mandat serait vraisemblablement plus limité que dans l’état actuel (prévu par la norme 77 du Règlement de la Cour).

IBA renchérit en rappelant le rôle historique et positif du BCPV dans le soutien et l’assistance qu’il a mis en œuvre. Cette organisation émet également des doutes quant aux moyens de parvenir à la création d’une association externe de conseils indépendante et autonome, disposant de suffisamment de fonds. « S’il est souhaitable que la profession d’avocat parvienne un jour à s’organiser pour créer, elle-même, un véritable barreau auprès des juridictions internationales, estime de son côté François Roux, il reste indispensable que la défense, en tant que quatrième pilier de la justice, soit en permanence représentée au sein de la Cour par un organe propre, avec notamment le pouvoir institutionnel, tout comme le procureur, de conclure des accords de coopération avec les États pour tout ce qui concerne l’exercice de la défense, ou encore d’intervenir auprès de l’Assemblée des États Parties ».

En définitive, l’ensemble des acteurs qui se sont manifestés au sujet de ce projet de réforme louent l’objectif à la base du projet : améliorer l’efficience du fonctionnement de la CPI. Néanmoins, les moyens envisagés à ce jour semblent aller à l’encontre même des objectifs affichés. La discussion prévue la semaine prochaine, les 23 et 24 mars, lors d’un séminaire fermé à la CPI s’annonce vive, à la mesure des enjeux cruciaux de cette réforme qui, pour être validée, devra passer par un amendement du Règlement de la Cour c’est-à-dire par l’approbation des juges.

Joël Hubrecht
Responsable du programme Justice pénale internationale
Hélène Calame
Chargée de mission Justice pénale internationale