Veille d’actualité Janvier – Mars 2017

 CPI : Affaire Katanga, l’ordonnance de réparation des juges

À ce jour, quatre affaires de la Cour pénale internationale sont arrivées dans la phase de détermination des réparations : la plus avancée est l’affaire Lubanga (République démocratique du Congo), alors que l’affaire Bemba (République centrafricaine) et l’affaire Al Mahdi (Mali) en sont encore au regroupement des demandes et des observations des parties. La chambre de première instance II a quant à elle rendu le 24 mars 2017, dans le cadre de l’affaire Germain Katanga (République démocratique du Congo) son ordonnance de réparation (faire le lien).

L’ordonnance de réparation, tout en s’inscrivant en partie dans le sillage de celle délivrée précédemment dans l’affaire Lubanga, développe de nouvelles proposition et tente, pour la première fois à la Cour, de clarifier les définitions des réparations collectives et des réparations individuelles. Elle explicite en détails les critères sur lesquelles elle s’est basée pour retenir ou non les demandes de réparation et établir les modalités des réparations collectives ciblées (aide au logement, soutien à une activité rémunératrice, aide à l’éducation, soutien psychologique) et le montant des réparations individuelles sous forme d’indemnisation par un montant symbolique de 250 $ par victime. 297 victimes ont été reconnues éligibles à ces réparations. Les juges ont évalué la valeur monétaire totale de l’ampleur du préjudice à 3 millions 752 mille et 620 $ (Tableau F, p. 88 de la version française de l’ordonnance). Le montant de la responsabilité de Germain Katanga en matière de réparation a été fixé par la chambre à 1 million de $ mais l’accusé est déclaré indigent. Aussi, tout en reconnaissant que le Fonds n’y est pas obligé par son règlement qui n’est explicitement contraignant que pour les réparations accordées à titre collectif (règle 56), elle enjoint le Fonds au profit des victimes à « examiner avec bienveillance la possibilité d’avoir recours à l’indemnisation, en dehors des réparations collectives, et d’accepter de fournir des ressources pour compléter les réparations individuelles ». Le Fonds a trois mois pour présenter son plan de mise en œuvre des réparations dans le cas où il ne serait pas fait appel.

Pour plus de détails voir l’article sur le site de l’IHEJ

CPI : amendes et sursis dans l’affaire Bemba et al. Pour subordination de témoins

Epilogue du premier procès pour subornation de témoins tenu à la CPI avec des peines qui, elles aussi, marquent une première : le prononcé de peines d’emprisonnement avec sursis.

Dans le sillage de la condamnation rendue en octobre 2016 contre l’ancien vice-président du Congo, Jean-Pierre Bemba et quatre membres de son équipe de la Défense, coupables d’atteintes à l’administration de la justice, sur la base des faux témoignages produits par des témoins de la Défense dans une autre affaire (dite « affaire principale », pour laquelle une condamnation de J.P. Bemba en première instance avait déjà été rendue en mars 2016), la Chambre de première instance VII a prononcé le 22 mars 2017 la décision relative à la peine : elle condamne J.P. Bemba à un an de prison et à une amende de 300 000 €. Son ancien avocat, Aimé Kilolo Musamba, a été condamné à 30 000 € d’amende et à deux ans et demi de prison avec un sursis de trois ans ; l’ancien chargé de dossier de la défense Jean-Jacques Mangenda Kabongo à deux années d’emprisonnement ; le parlementaire Fidèle Babala Wandu à six mois de prison ; l’ancien témoin de la défense Narcisse Arido à 11 mois de prison. L’article 70 prévoit une peine d’emprisonnement ne pouvant excéder cinq années pour des infractions contre l’administration de la justice. Les deux amendes prononcées sont payables dans les trois mois et seront transférées au Fonds au profit des victimes. Pour les peines d’emprisonnement, seul les quatre associés de M. Bemba peuvent voir déduit de leur peine les 11mois passés en détention provisoire, M. Bemba ayant quant à lui déjà bénéficié d’une réduction de la durée de détention sur la peine de 18 ans de prison prononcé dans l’affaire principale (mars 2016).

La Chambre, qui jouit d’un large pouvoir discrétionnaire pour fixer les peines, a fait valoir qu’elle s’était basée sur deux considérations montrant que la peine doit être individualisée : la peine doit être proportionnée à la culpabilité et à l’atteinte.  Les juges ont souligné que le Statut de Rome et le règlement de la Cour restaient muets sur les peines de prison avec sursis mais ont considéré qu’une telle mesure était possible car une autre conclusion mènerait à un résultat injuste, une personne condamnée ne pouvant pas purger une peine autrement que par une détention ferme alors que la Chambre aurait envisagé des moyens moins restrictifs plus appropriés.

L’Accusation et la Défense peuvent faire appel de la décision relative à la peine dans un délai de 30 jours.

CPI : procès Laurent Gbagbo/ Abidjan : procès Simone Gbagbo

Appelés par le procureur, plusieurs « insiders » ont été entendus. Ce fut d’abord l’ancien patron de la police, Brédou M’bia, puis le général Edouard Tiapé Kassaraté, ancien chef de la gendarmerie et par la suite le général Georges Guiai Bi Poin, ancien chef de l’Ecole de gendarmerie et ancien commandant du Centre de commandement des opérations de sécurité (CECOS). Bien que considérés comme des témoins-clés, leur déposition n’a pas apporté d’éléments compromettants décisifs sur les réunions à la résidence de Laurent Gbagbo et au palais présidentiel, ni sur la structure parallèle de commandement alléguée par le procureur, ni sur l’authentification de documents présentés par l’accusation qu’ils ont qualifiés pour certains de faux.

Ces dépositions ont donc nourri les analyses dans les médias qui critiquent la faiblesse du dossier du procureur. Ainsi, bien que la 11ème demande de libération présentée par les avocats de Laurent Gbagbo ait été à nouveau rejetée, le fait que l’un des 3 juges ait, dans une opinion dissidente, considéré que le temps de « détention provisoire » (5 ans) excédait désormais une période raisonnable, a relancé les spéculations sur une possible libération prochaine de l’accusé.

Autre motif de réjouissance pour les partisans de l’ancien président ivoirien : le 28 mars 2017, la cour d’assises d’Abidjan, à l’issue de six heures de délibéré des six jurés, a déclaré Simone Gbagbo « non coupable » des charges de crimes contre l’humanité. Le procureur général ivoirien, selon qui Simone Gbagbo représentait « le membre le plus influent » d’une « cellule de crise qui se réunissait dans la résidence présidentielle et constituait l’organe chargé de la planification et de l’organisation de la répression » et qui demandait une condamnation à perpétuité, a soixante jours pour introduire un pourvoi. Simone Gbagbo, qui avait boycotté son second procès, devra tout de même finir de purger la peine de 20 ans pour atteinte à la sûreté de l’Etat à laquelle elle avait été condamnée en mars 2015 à l’issu d’un premier procès. Les autorités ivoiriennes avaient refusé de transférer Mme Gbagbo devant la CPI qui avait également dressé à son encontre un acte d’accusation pour crimes contre l’humanité et demande toujours l’extradition de l’ancienne première dame. Le verdict semble donc apporter un double démenti – contrairement à celui du premier procès où la peine prononcée était plus lourde que celle demandée par le procureur : à ceux qui estimaient que le procès à Abidjan était joué d’avance ; à la thèse du Bureau du procureur de la CPI qui s’en trouve fragilisée. Or, malgré la faiblesse des dossiers de l’accusation, le parallèle entre les procédures à Abidjan et à La Haye a ses limites.  Comme le rappelle un communiqué de la FIDH le procès de Simone Gbagbo était « très éloigné des standards internationaux » (la FIDH avaient d’ailleurs refusé d’y participer), avec « de nombreuses irrégularités [et] avec un dossier et des débats qui n’ont malheureusement pas permis d’établir la responsabilité individuelle de l’ancienne première dame ». « Cet échec, poursuit l’ONGI, doit constituer un électrochoc et conduire la justice ivoirienne à organiser enfin les procès cohérents et solides attendus par les milliers de victimes de la crise post électorale et par la société ivoirienne dans son ensemble ».  Au-delà du verdict, la FIDH, la LIDHO et le MIDH réitèrent leur appel à la tenue de procès visant les 150 auteurs présumés des crimes commis en 2010 et 2011.  Le procès de 10 accusés, principalement des soldats, dont le général Brunot Dogbo Ble, ancien commandant de la garde républicaine (déjà condamné à la perpétuité pour l’assassinat du général Robet Gueï dans un précédent procès), pour le kidnapping et le meurtre de 4 hommes de l’Hôtel Novotel en avril 2011, s’est ouvert, après plusieurs reports, le 21 février 2017.

CPI : la nécessité d’un dialogue accru avec les Etats-parties africains

Les représentants d’Afrique du sud et de l’ONU avaient jusqu’au 17 mars 2017 pour déposer leurs observations en prévision d’une audience qui portera sur la coopération de l’Afrique du sud le 7 avril 2017, devant la chambre préliminaire II. Les Etats parties qui le souhaitait pouvaient également avant le 24 février déposer leurs observations. Il s’agit de déterminer dans quel mesure l’Afrique du sud a manqué à ses obligations en n’arrêtant pas l’accusé Omar Al Bashir lors de sa participation au sommet de l’UA à Johannesburg en juin 2015 et si un renvoi doit être fait à ce sujet à l’Assemblée des Etats-parties et/ou au Conseil de sécurité (qui a déféré la situation au Darfour à la CPI en mars 2005). En ouvrant le débat dans un cadre juridique, la chambre a pris, au lendemain d’une retraite organisée début décembre en Ethiopie entre les Etats parties africains et la Cour, une décision qui vise à améliorer les échanges de points de vue entre les Etats-parties et la Cour.

Cette démarche est d’autant plus cruciale que le président du Kenya, Uhuru Kenyatta, qui avait lui-même fait l’objet de poursuites par la Cour, laisse entendre lui aussi un possible retrait et qu’au 28ème sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba (30-31 janvier 2017) les chefs d’Etat de 54 pays membres se sont prononcés en faveur d’un « retrait collectif » de la CPI, même s’il faut relativiser cette menace. Une « position de principe », un « moyen de pression sur la Cour », plutôt qu’une véritable « feuille de route » effective qui est loin de faire consensus entre les pays de l’UA comme le rappel un article du Monde. On soulignera à cet effet plusieurs nouvelles encourageantes :

 la condamnation, le 22 février 2017, par la Haute Cour de Pretoria de la procédure de retrait engagée par le président Jacob Zuma, jugée «inconstitutionnelle et invalide », parce que non précédée « d’une approbation du Parlement ». S’en est suivi l’annulation par le ministre de la justice du retrait de l’Afrique du Sud auprès du SGNU puis le dépôt d’un projet de loi au parlement lui-même retiré ;

– avec le départ de Yahya Jammeh (voir le reportage sur son exil doré dans foreignpolicy du 3 avril 2017) et l’élection d’un nouveau président, la fin annoncée par son successeur Adama Barrow de la procédure de retrait de la Gambie ;

le soutien critique mais non remis en cause que continue de porter à la Cour de nombreux pays africains comme le  Liberia, la Tunisie, le Malawi, la Zambie, la Tanzanie, le Sénégal, le Nigeria, le Cap-Vert, la Côte d’Ivoire, etc.

Nous reviendrons plus en détail sur le résultat de la séance du 7 avril à la Cour dans la Veille du mois prochain.

Centre-Afrique : une forte demande de justice confrontée à la poursuite de violences et au manque de moyens des autorités du pays

Le 11 janvier 2017, Amnesty International a publié un rapport « RCA : le long chemin vers la justice. L’obligation de rendre des comptes »  dans lequel l’organisation s’alarme du fait que « l’impunité reste la règle et [que] les autorités n’ont pas réussi à mener, dans la plupart des cas, des enquêtes efficaces sur les personnes dont on peut raisonnablement penser qu’elles sont responsables de crimes au regard du droit international ». Amnesty plaide pour un investissement urgent, significatif et durable, dans la reconstruction du système judiciaire et pénitentiaire centre-africain .

La MINUSCA, la force de maintien de la paix des Nations Unies en RCA, a contribué à l’arrestation de 384 suspects à la suite de l’émission de mandats par le procureur du pays. Parmi eux, quelques personnalités de haut rang, telles que Rodrigue Ngaïbona, un chef anti-balaka connu aussi sous le nom de Andilo, et Mahmat Abdelkader, un responsable ex-Séléka, appelé également Baba Laddé. Mais la plupart n’occupait pas de poste important au sein de la Séléka ou des anti-balaka. Plusieurs personnes soupçonnées de crimes restent en liberté sans faire apparemment l’objet d’une enquête. Amnesty internationale nomme en particuliers : Patrice-Edouard Ngaissona, coordinateur politique autoproclamé des anti-balaka ; Eugène Barret Ngaïkosset, un chef anti-balaka surnommé le « boucher de Paoua » ; Thierry Lébéné, alias le « Colonel Douze puissances» ; les anciens présidents François Bozizé et Michel Djotodia et les chefs ex-Séléka Abdoulaye Hissene et Haroun Gaye ; le chef anti-balaka Alfred Yekatom, surnommé Rambo, qui est membre de la Commission Défense et sécurité de l’Assemblée nationale, laquelle traite de questions de désarmement, de démobilisation, de réinsertion et de rapatriement (DDRR).

Amnesty rappelle les travaux de la CPI (la condamnation de Jean-Pierre Bemba en mars 2016 et les deux enquêtes en cours) et la mise en place prochaine de la Cour pénale spéciale (CPS) qui reste, selon les entretiens conduits par l’association, encore trop mal connue par les victimes et la population. La CPS, qui sera installée dans l’actuel tribunal de grande instance de Bangui, constituera le premier exemple d’une cour hybride travaillant aux côtés de la CPI dans le même pays. Près de deux ans après la promulgation de la loi établissant la nouvelle entité (loi no. 15-003 du 3 juin 2015), et l’accord signé entre le gouvernement centrafricain et l’ONU en août 2016, le processus de recrutement des magistrats (centrafricains et internationaux) et du procureur spécial est sur le point de s’achever, le budget est bouclé pour les quatorze premiers mois de fonctionnement, ce qui laisse espérer le lancement des premières enquêtes dès cette année. En tirant les leçons de l’expérience d’autres tribunaux hybrides, Pierre Hazan (université de Neuchâtel) dresse la liste des principaux défis auxquels la Cour pénale spéciale centrafricaine sera elle aussi confrontée.

La situation reste fragile : les informations de la veille de l’Observatoire Pharos voient dans les récentes  attaques dans la région de Bambari (Ouaka) et à Bria (Haute Kotto), qui ont fait au moins 50 morts, une évolution des violences, toujours sur fond de rivalités pour le contrôle des ressources (notamment minières). A l’opposition entre Chrétiens et Musulmans, se substituerait le registre ethnique et les divisions intercommunautaires. La plupart des affrontements meurtriers récents seraient en effet le résultat d’un affrontement au sein même de l’ex-séléka, entre l’Union pour la Paix en Centrafrique (UPC), majoritairement composée de Peuls et le le Front Populaire pour la Renaissance en Centrafrique (FPRC) majoritairement composé de Goulas et de Roungas.

Les chambres extraordinaires au sein des Tribunaux cambodgiens poursuivent leurs travaux

Le 11 janvier 2017 a marqué la fin des audiences consacrées à l’examen des éléments de preuve dans le deuxième procès du dossier n° 002 concernant les Accusés NUON Chea et KHIEU Samphan. Depuis l’ouverture du procès en janvier 2015, 114 témoins, 63 parties civiles et 8 experts ont déposés devant la chambre et le public (77 604 personnes sont venues assister aux audiences). Les réquisitions et les plaidoiries finales se tiendront à partir du 5 juin 2017. Elles portent sur les charges de crimes contre l’humanité, de génocide et d’infractions graves aux Conventions de Genève dans les coopératives de Tram Kok (y compris le centre de sécurité de Kraing Ta Chan et le traitement des Bouddhistes), les chantiers du barrage du 1er janvier, de l’aéroport de Kampong Chhnang et du barrage de Trapeang Thma, le traitement des Chams et des Vietnamiens, les centres de sécurité de Au Kanseng, Phnom Kraol, S-21 et les purges internes, la réglementation des mariages, la nature du conflit armé et pour finir le rôle des accusés.

La Chambre, estimant que les faits déjà jugés dans le premier procès ou devant encore l’être dans le deuxième procès étaient suffisamment représentatifs, a considéré que la tenue d’un nouveau procès, toujours dans le cadre du dossier no002, n’aboutirait pas à un résultat significatif et équitable dans un délai raisonnable. Par conséquent, elle a décidé de mettre fin aux poursuites concernant plusieurs autres sites (sites de travail de Srae Ambel et Prey Sar des centre de sécurité de Sang, Koh Kyang, Prey Damrei Srot, etc.) et crimes (mesures spécifiques prises à l’encontre des Bouddhistes, crimes commis par l’armée révolutionnaire du Kampuchéa sur territoire vietnamien…) : voir les communiqués de presse des chambres du 11 janvier  et du 27 février 2017.

Le premier procès du dossier n°002 contre les mêmes accusés portait sur des accusations de crimes contre l’humanité relatives à l’évacuation forcée de Phnom Penh, et à d’autres déplacements de population et aux exécutions à Tuol Po Chrey. Il s’est conclu le 23 novembre 2016  avec le prononcé par la chambre de la Cour suprême d’un arrêt confirmant la condamnation à perpétuité des deux accusés et la charge de persécution pour la première phase des déplacements (Phase I) mais pas pour la seconde (Phase II), annulant les charges liées au site Tuol Po Chrey et requalifiant en meurtres les faits d’extermination. Sur cet arrêt voir l’analyse de Natacha Fauveau Ivanovic pour La revue des droits de l’homme : « La Chambre de la Cour suprême infirme certaines condamnations de Nuon Chea et Khieu Samphân mais confirme la peine à perpétuité »

Dans une autre affaire, la n° 004/01, les investigations ont été closes après 8 années contre l’accusé AO An. Une nouvelle affaire, la n°004/02, a été ouverte, réduisant le champ des investigations. Les co-juges d’instruction étant en désaccord, le co-juge international a rendu une décision séparée. Les investigations restent ouvertes dans l’affaire 004 sur les responsabilités de Yim Tith. Le juge d’instruction international a également notifié la fin des investigations dans l’affaire 003 contre Meas Muth. Les investigations contre son co-accusé Sou Met sont déjà closes depuis le 2 juin 2015.

En Colombie, création de la juridiction spéciale de paix (JEP), d’une commission vérité et d’une unité pour les disparus

Le 13 mars 2017, le Sénat a voté par 61 voix contre 2 la réforme constitutionnelle, déjà approuvé auparavant par les députés colombiens, instaurant un « Système intégral de justice, de vérité, de réparation et de non-répétition ». Il comporte trois volets : une Commission pour la vérité ; une Unité pour la recherche des personnes considérées comme disparues pendant le conflit entre les Farc et les forces gouvernementales ; une Juridiction spéciale pour la paix (JEP).

Le président Juan Manuel Santos a qualifié cette réforme comme « la plus importante » de l’accord de paix signé en novembre 2016.  Le conflit, qui s’est prolongé sur un demi-siècle (voir les articles du dossier de décembre sur IHEJ) aura fait au moins 260 000 morts, plus de 60 000 disparus et 6,9 millions de déplacés. L’accord de paix comportait une loi d’amnistie voté en décembre 2016 dont les suspects de crimes contre l’humanité étaient exclus. Ceux-ci verront leur cas traité par la JEP. Cette juridiction spéciale, qui disposera de 51 magistrats colombiens, assistés de 18 experts internationaux, couvrira de manière « transitoire et autonome » les crimes contre l’humanité commis avant le 1er décembre 2016 dans le cadre du conflit armé. Elle sera compétente pour juger les guérilleros qui se sont conformés à l’accord de paix et ont déposé les armes (ce processus supervisé par les Nations unies doit être achevé fin mai), les agents de l’Etat colombien et les civils (un traitement spécial et différencié est par contre prévu pour les membres de la Force Publique). Les sentences pourront aller de deux ans jusqu’à 20 ans de prison pour ceux qui refuseraient de reconnaître leurs actes. La JEP pourra prononcer des peines alternatives à la prison. La loi permet aux guérilleros de participer à la politique malgré les sanctions imposées par cette juridiction.

Sur ce sujet, voir dans la Revue des Droits de l’Homme : « Notre unique arme sera la parole : réflexions sur l’accord de paix colombien du 30 novembre 2016 »

Syrie : création par l’Assemblée générale de l’ONU d’un mécanisme international d’enquête

Contournant les blocages au Conseil de sécurité par le veto russe de toutes résolution pour saisir la CPI, l’Assemblée générale des Nations unies à New York, a adopté, par 116 votes pour, 16 contre et 52 abstentions une résolution créant un mécanisme international, impartial et indépendant chargé de faciliter les enquêtes sur les violations les plus graves du droit international commises en Syrie depuis 2011.

 

Le mécanisme, placé sous la direction d’un juge ou d’un procureur, sera chargé de recueillir, regrouper et analyser les éléments de preuves pour constituer des dossiers respectant les normes du droit international afin de pouvoir être utilisés devant des cours ou tribunaux nationaux, régionaux ou internationaux. Il facilitera les enquêtes et aidera à juger. En ce sens, bien que leurs mandats soient liés, il se distinguera de la Commission d’enquête du Conseil des droits de l’homme Pinheiro/Del Ponte dont l’orientation n’est pas de nature juridique et qui constituera pour le mécanisme une source tiers parmi d’autres. Le mécanisme sera basé à Genève. Sa mise en place opérationnelle est prévue pour le second semestre 2017.

Voir le Rapport du secrétaire général du 19 janvier 2017

Les chambres spécialisées du Kosovo se mettent en place dans un contexte tendu

Les 19 juges, nommés en janvier 2017, ont adopté leur code de déontologie et le Règlement de preuves et de procédure, qui doit être encore approuvé par la Cour constitutionnelle du Kosovo pour que les chambres deviennent opérationnelles.

Les chambres, dans lesquelles siègent des magistrats internationaux non originaires du Kosovo, établissent leurs règles procédurales mais se réfèrent à la législation kosovare et s’intègrent au sein du système judiciaire kosovar. Elles ont pour mandat la poursuite des crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par des citoyens kosovars et yougoslaves entre janvier 1998 et décembre 2000 sur le territoire du Kosovo. Un mandat qui vise en fait en priorité les responsables et membres de l’armée de libération du Kosovo pour des crimes à l’encontre des citoyens kosovars serbes, roms et albanais considérés comme collaborateurs avec le régime de Belgrade et les allégations (meurtres, détentions illégales, torture, violences sexuelles, traffic d’organes…) rapportées dans le rapport de 2011 de la Commission juridique de l’Union européenne dit rapport Dick Marty (du nom de son rapporteur) puis de la Task force d’enquête spécialisée (2014), notamment celles visant l’actuel président kosovar  Hashim Taçi.

L’antenne du Humaniterian Law center, une association dont le siège est à Belgrade et qui est reconnue pour son rôle actif et son impartialité dans le suivi des procès pour crimes de guerre tenus en Serbie et au Kosovo, a publié son rapport annuel faisant le bilan de l’année 2016, une année qui a vu chuter à 12 seulement le nombre de procès contre des suspects d’envergure. La chambre d’appel de Prishtina a, en février, ordonné la tenue d’un nouveau procès du leader serbe du Kosovo, Oliver Ivanovic, condamné en janvier 2016 pour des crimes de guerre commis en 1999.

La situation judiciaire au Kosovo cette année s’est cependant déjà tendue sur d’autres fronts. Le responsable de la commission gouvernementale pour les personnes disparues a accusé, en mars, le gouvernement serbe de cacher les informations dont il dispose sur les charniers de la guerre et la question des disparus (1 660 personnes). Mais c’est surtout, le 4 janvier 2017, l’interpellation du principal représentant de l’opposition kosovare, Ramush Haradinaj, à l’aéroport international de Bâle-Fribourg-Mulhouse sur la base d’une demande d’extradition par la Serbie qui a secoué la scène politique kosovare. Placé sous contrôle judiciaire,  Ramush Haradinaj est depuis bloqué en France dans l’attente de la décision par la Cour d’appel de Colmar qui examine le bien-fondé de la demande d’extradition. Le député kosovar et ex-commandant de l’UCK, acquitté en 2008 et 2012 par le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), avait déjà été interpellé à plusieurs reprises lors de déplacements à l’étranger sur la base de la mêle demande d’extradition mais jusqu’alors il avait toujours fini par être libéré. Belgrade, comme en témoigne d’autres demandes d’extradition par le passé, elle aussi sans débouchée, utilise volontiers l’arme judiciaire à des fins politiques. La Cour de Colmar qui devait se prononcer le 2 mars a demandé à la Serbie de lui communiquer davantage d’éléments sur le fond du dossier. Si la Cour d’appel décidait d’approuver la demande d’extradition, le dossier serait ensuite transmis au gouvernement français pour la décision finale.

Ce nouvel épisode judiciaire ouvre ainsi une année qui sera largement placé au Kosovo sous le prisme des questions de justice, témoigne du contexte sensible dans lequel les chambres spécialisées vont devoir travailler mais aussi de l’inquiétante dégradation en cours des relations entre le Kosovo et la Serbie et des menaces qui pèsent sur le processus de dialogue impulsé sous l’égide de l’Union européenne entre les deux pays.

Cour internationale de justice : la requête de la Bosnie rejetée pour vice de forme sur sa saisie

La cour a rejeté la demande de revision de sa decision de 2007 dans l’affaire Bosnie contre Serbie. Dans cette décision la Serbie se voyait reprochée d’avoir violé les obligations qui lui incombent en vertu de la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide mais était exonérée des accusations d’avoir  commis le génocide à Srebrenica, de l’avoir incité ou d’avoir participé à une entente en vue de le commettre. Ceux sont ces points sur lesquels la présidence bosniaque, à l’initiative de Bakir Izetbegovic, a tenté de revenir.

La demande avait été initiée très tardivement, en février 2017, à quelques jours de l’expiration du délais de recours de 10 ans, en faisant valoir des « éléments nouveaux » tiré du procès du général bosno-serbe Radko Mladic à la Haye dont les réquisitoires se sont tenus fin décembre 2016. La Cour a fait valoir dans un communiqué de presse qu’elle n’avait pas été valablement saisie de la question et qu’au vue des communications reçues, il ressortait « qu’aucune décision n’a été prise par les autorités compétentes de demander, au nom de la Bosnie-Herzégovine en tant qu’Etat, la révision de l’arrêt du 26 février 2007 ».

A signaler les évènements et publications suivantes :

  • The international Crimes Database (ICD)
  • Le 4 janvier 2017, la Chambre de première instance VI a rendu une décision dans l’affaire Ntaganda rejetant l’exception d’incompétence soulevée par la Défense de Bosco Ntaganda au travers d’une interprétation selon laquelle la protection contre les violences sexuelles comme crimes de guerre se limiterait aux membres des forces ennemies et des civiles mais ne couvrirait pas les membres d’une même force armée.
  • Alain-Guy Tachou Sipowo, La Cour pénale internationale entre protection des secrets et impératif d’effectivité, ed. A. Pedone, juin 2016 (Prix René Cassin 2015)
  • Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, « La compétence universelle à l’épreuve des crises diplomatiques », la Revue de science criminelle et de droit pénal comparé (RSC, Dalloz, 4/2016, p. 701-724)
  • Le Dossier « Sortir de l’impunité » dans Les Cahiers de la justice, n°1/2017, éditions Dalloz-ENM.

A signaler les soutenances des thèses suivantes (année 2016, liste non exhaustive) :

  •      Daisy Schmitt, sur « Les fonds internationaux en faveur des victimes de violations des droits de l’homme et du droit international humanitaire », sous la direction de Hervé Ascensio, soutenue le 03-02-2016 à Paris 1.
  • Isabelle Lassée, sur « Les missions d’établissement des faits des Nations Unies sur les violations graves et massives du droit international des droits de l’homme et du droit international humanitaire : entre uniformité et diversité », sous la direction de Pascale Martin-Bidou, soutenue le 8 avril 2016 à Paris 2.
  •     Thierno Abdoulaye Diallo, sur « Regard sur l’Etat justiciable en droit International », sous la direction de Virginie Saint-James, soutenue le 19 septembre 2016 à Limoges.
  • Desislava Gosteva sur « Le droit de la diplomatie préventive : étude de la règle de prévention en droit international public contemporain », sous la direction de Christian Mestre et de Nicolas Michel, soutenue le 26-09-2016 à Strasbourg en cotutelle avec l’Université de Genève.
  • Eynard Manuel, sur « La métamorphose de la justice pénale internationale. Etude des fonctions judiciaires de la Cour pénale internationale», sous la direction de Jean-Christophe Martin et de Laurence Boisson de Chazourn, soutenue le 21 novembre 2016 à Côte d’Azur en cotutelle avec l’Université de Genève.
  • Me Ghislain Mabanga sur « Le témoin assisté devant la CPI. Contribution à l’évolution du droit international pénal», sous la direction de Mme Marina Eudes, soutenue à Nanterre le 9 décembre 2016.
  • Mme Aurélie Aumaitre sur « Le dossier devant la CPI», sous la direction de Xavier Pin, soutenue à Lyon III le 12 décembre 2016.

L’académie des sciences morales et politiques a primé la thèse de Mme Marie Nicolas sur « L’égalité des armes devant les juridictions pénales internationales » soutenue à Paris I Panthéon-Sorbonne le 9 décembre 2015.