L’architecture judiciaire en temps de crise : un regard américain

Une réingénierie de la construction tournée vers la maîtrise du coût

Les Etats-Unis ne connaissent pas encore cette frénésie des Partenariats Publics Privés (PPP) qui envahit l’Europe, y compris dans le domaine judiciaire. Mais ils pourraient bien s’y mettre, comme leur voisin du Nord le Canada, qui y recourt massivement aujourd’hui. Si les Etats-Unis ont un cadre juridique autorisant la collaboration entre le public et le privé, le premier Etat à recourir à un vrai « 3P » (version américaine du PPP) est la Californie, pour la construction (inachevée) d’un nouveau palais de justice, à Long Beach près de Los Angeles.

La règle du PPP c’est tout simplement le transfert du souci du financement et de la réalisation d’un projet d’infrastructure publique à une entreprise privée, propriétaire du bâtiment pour une durée généralement longue et tout au long de laquelle le partenaire public (l’Etat ou l’agence concernée) paye un loyer mensuel au partenaire privé, loyer qui comprend les opérations de maintenance du bâtiment. A l’issue de cette période, le partenaire public devient propriétaire du lieu avec la garantie que celui-ci est livré en parfait état de fonctionnement. Le PPP qui se veut d’abord un remède efficace à la crise de l’emprunt public se montrerait aussi plus efficace pour la gestion des coûts de maintenance des bâtiments. Il relève finalement d’une logique assurantielle de transfert des risques (et de maîtrise réelle du projet selon certains) sur laquelle existent aujourd’hui de vives controverses mais que nous n’avons pas la place de développer ici.

Et s’il n’était besoin de recourir au schéma forcément contraignant du PPP, les discussions du congrès des architectes judiciaires américains ont aussi mis en avant des schémas tous plus intéressants les uns que les autres pour faire vivre cette vieille idée de la gestion participative qui vise à rapprocher l’exercice du gouvernement de la communauté, une gestion aujourd’hui parée de toutes les vertus… y compris économiques. De tous les partenaires des projets discutés lors du congrès, aucun n’a vraiment semblé renoncer à la défense de ses intérêts : le juge la qualité de son espace de travail, l’administration maître de l’ouvrage le respect du budget et du cahier des charges, l’architecte l’identité de son projet, et les entreprises de construction leurs profits. Mais tous ont reconnu le besoin de convier un maximum de monde autour d’une table, y compris les usagers et les riverains élevés au rang d’acteur clé du projet, très en amont et pour toute la durée d’un chantier piloté au dollar près.

Dernières tendances, nouvelles normes : la crise prépare-t-elle l’architecture de demain ?

Ce qui pourrait passer pour anecdotique doit pourtant retenir notre attention : ce sont les nouvelles pratiques qui, au prétexte de faire la chasse au coût, réinventent l’architecture judiciaire américaine. Que faire par exemple, de la volatilité du prix des matériaux qui est un souci de tous les jours, voire de tous les instants, dans un marché globalisé et hautement financiarisé ? On notera avec intérêt dans un nombre croissant de projets une tendance qui se dégage à favoriser les matériaux disponibles sur place, ce qui a  bien sûr l’avantage de la maîtrise du budget (valeur de marché et coût du transport) mais marque aussi le retour d’une architecture aux accents locaux, en inscrivant le bâtiment dans le patrimoine culturel et naturel du lieu d’implantation.

Autre tendance remarquable enfin : l’attention portée à l’environnement, que relaie une règlementation incitative et des labels toujours plus exigeants. Qu’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas (seulement) d’épouser une mode verte, il s’agit également de rendre, ici comme ailleurs, les bâtiments moins coûteux à la construction et pour  leur maintenance, en réduisant fortement leur empreinte écologique. Mais le retour de la lumière naturelle dans les salles d’audience, la création d’espaces paysagers pour drainer ou maintenir la température des surfaces, les schémas de circulation de l’air entre extérieur et intérieur,  par exemple, ne sont pas que des techniques d’ingénieurs pour réaliser des économies. Elles finissent par donner à ces bâtiments d’un style nouveau un caractère plus ouvert et plus serein, souligné par des formes et des couleurs plus engageantes pour l’usager. A redonner un sens à une justice qui n’ayant d’autre choix que d’exercer une violence légitime sur ses contemporains, choisit à bien des égards de ne plus se présenter sous les traits d’une forteresse.

S’il fallait voir la crise du bon côté, ce serait donc indiscutablement dans sa capacité à stimuler l’imagination, en nous mettant devant la nécessité de réinventer un avenir différent des voies jusque là empruntées, parfois de manière mécanique. Tout au moins est-ce ce qui ressort des discussions, tendances et initiatives qui animent l’American Institute of Architects ces temps-ci. Washington célèbrera dans quelques mois le soixantième anniversaire des principes fondateurs de l’architecture institutionnelle américaine qui servent encore de base aujourd’hui aux projets que nous pouvons admirer ici et là à travers le pays. Une bonne occasion de voir si, à la faveur du changement de siècle, les attentes en matière d’espace judiciaire sont toujours les mêmes et les moyens envisagés pour y répondre résolument différents au point d’ouvrir une nouvelle ère de l’architecture judiciaire.

Harold Epineuse
Crédits photo : Patrick Ross/Aecom