Le juge des enfants : une légitimité discutée

La quatrième séance du séminaire Thérond s’est penchée sur les forces et les faiblesses de ce magistrat à la fois très individualiste dans sa fonction et garant de la cohérence et du bon fonctionnement des politiques publiques en matière de justice des mineurs.

La clé de voûte d’un système fragilisé : c’est ainsi que le sociologue Christian Mouhanna décrit le juge des enfants. Venu présenter les résultats d’une recherche conduite en 2008 avec Bruno Bastard, lors de la dernière séance du séminaire Thérond le 4 juin dernier, il a fait part de ses observations et de ses réflexions sur ce juge à la personnalité « fonctionnelle » très forte, à la place constamment questionnée, au centre de toutes les tensions qui s’exercent dans le champ de l’enfance en danger et conduisent à des pressions souvent contradictoires.

Il en est ainsi de la tension entre demande de protection et d’éducation des enfants, et demande de sanction, souci de garder la cohésion des familles et nécessité d’éloigner un enfant pour le protéger : autant de dilemmes moraux auxquels le juge des enfants est chaque jour confronté et qu’il intègre pourtant comme faisant nécessairement partie de sa fonction.

Très dépendant de partenaires qui sont tout aussi dépendants de lui – services éducatifs, sociaux, parquets, conseils généraux, direction de la protection judiciaire de la jeunesse –, il est aussi au centre des tensions qui traversent les politiques publiques. Les relations complexes entre ces services et leur propre hiérarchie, les désaccords internes concernant certaines directives, mais aussi le manque d’assurance de ceux-ci quand une décision difficile relative à un enfant en danger doit être prise : tous ces éléments maintiennent le juge des enfants au centre du système bien que les lois successives relatives à la protection de l’enfance tendent à le placer en toute dernière instance.

Les parquets par exemple, qui ont pris une place centrale en raison de l’importance donnée au traitement de la délinquance juvénile, jouent un rôle d’interface entre la société et les juges des enfants : ils relaient auprès des juges les demandes légitimes des citoyens, exprimées souvent par les élus locaux, de protection ou de sanction des mineurs, tout en expliquant à ces derniers la place particulière de ce magistrat qui ne connait que des situations singulières.

S’il n’est plus le grand initiateur et référent du système de protection de l’enfance des années 60/70, le juge des enfants demeure toujours la clé de voûte de l’organisation en raison du caractère particulier de celle-ci, lié aux difficultés des décisions à prendre quand un enfant est en danger ou lorsqu’il s’agit de prévoir l’avenir d’un adolescent délinquant. Sa force et sa fragilité tiennent au fait qu’il apparaît à la fois comme le garant de la cohérence et du bon fonctionnement des politiques publiques, mais qu’il est aussi celui qui prend une décision sur une situation singulière, ce qui explique le fort individualisme qui le caractérise.

Cette tension a de fait créé des confrontations très dures ces dernières années : soit avec les conseils généraux soucieux de rationaliser les dépenses publiques et de maintenir la cohérence des politiques familiales ; soit avec les élus locaux, notamment dans le cadre de la politique de la ville s’agissant de la délinquance juvénile.

Une forte identité collective

On relèvera également la place centrale laissée à l’audience. Si le juge connait son dossier par les écrits qui lui sont adressés par les différents services sociaux, une grande part est accordée à la discussion avec les parties (les familles concernées), leurs avocats, l’avocat de l’enfant, s’il y a lieu. Un juge des enfants ne connait pas nécessairement avant l’audience la décision qu’il va prendre, et la discussion peut à tout moment faire évoluer la prise de décision, qui peut être revue et corrigée : il s’agit d’une justice du tâtonnement, de la recherche car, dans ce domaine, il n’existe pas de « bonne » solution définitive. Un juge peut admettre sans difficulté s’être trompé et reconsidérer une mesure de détention pour tel mineur ou de protection pour tel enfant.

A cet égard, la question de la légitimité de ce magistrat est une donnée cruciale. La recherche de l’adhésion, principe de droit qui conduit la justice des mineurs, est un mouvement tendant à démontrer cette légitimité, et si cette recherche est faite dans la discussion avec les familles, ceci peut expliquer que la place de l’avocat soit d’ailleurs moins centrale.

La particularité du corps des juges des enfants est en outre qu’il s’appuie sur une identité collective constituée par plusieurs générations, comme en témoignaient les participants au séminaire : un ancien président du tribunal pour enfants de Paris qui a commencé sa carrière de juge des enfants dans les années 60, plusieurs magistrats ayant débuté comme juge des enfants dans les années 70, l’actuel président du tribunal pour enfants de Paris,  un jeune juge ayant 7 mois de fonction. Le juge des enfants, quand il prend une décision, peut ainsi s’adosser aux générations précédentes.

« Pour être juge, rappelle ainsi Antoine Garapon, il est nécessaire qu’il y ait une fonction de légitimation, d’autorisation, de réassurance. Contrairement aux juges des libertés et de la détention, cette identité collective des juges des enfants qui s’appuie sur les anciens exerce cette fonction de réassurance. C’est un peu le rôle que Tocqueville accorde au corps judiciaire, une identité collective qui donne l’autorisation implicite de juger ».

Sylvie Perdriolle
Magistrate, chargée de mission à l’IHEJ sur l’office du juge