Fiction américaine, réalité française : autour de la légitime défense

Au cours de sa séance du 18 octobre, le séminaire du JILC s’est consacré à l’étude comparée de la légitime défense aux Etats-Unis et en France avec, comme point de départ de la réflexion, un épisode de la série américaine Law and Order (épisode 7 intitulé « Self Defense », saison 3, 1992), qui rappelle le drame survenu le 13 septembre 2013 à Nice, lorsqu’un bijoutier a abattu un jeune homme qui venait de le braquer.

Dans cet épisode, un bijoutier grec, qui a tué deux braqueurs alors qu’ils s’enfuyaient de son magasin, est poursuivi devant la Cour Suprême [1] de l’État de New York pour meurtre avec préméditation. Il invoque la légitime défense. La question se pose alors de savoir si son acte relève de la légitime défense, telle que la définit la loi de l’État de New York, ou s’il s’agit de meurtres. L’enquête révèle que le commerçant a abattu l’un des deux hommes dans la rue, alors qu’il prenait la fuite. Le jury admet que le bijoutier a agi en état de légitime défense quand il a abattu le premier malfaiteur qui a sorti son arme en entrant dans la boutique. En revanche, la légitime défense est écartée dans l’autre cas et le bijoutier est déclaré coupable du meurtre du second malfaiteur qui a été abattu dans sa voiture, alors qu’il cherchait à s’enfuir.

Fred Davis, avocat aux barreaux de New York et Paris, explique que les conditions de la légitime défense (self defense) varient, aux États-Unis, d’un État à l’autre et que, dans l’État de New York, la légitime défense est entendue de manière stricte. En revanche, dans d’autres États, comme en Floride par exemple, la définition législative de la légitime défense (ou loi Stand Your Ground) est extrêmement large, puisqu’elle autorise une personne à utiliser une arme dès lors qu’elle se sent menacée de mort ou craint d’être grièvement blessée. Le simple fait de se croire menacé permet donc de justifier l’utilisation d’une arme à feu. C’est justement ce qui s’est passé dans l’affaire Trayvon Martin, qui a abouti, en juillet 2013, à l’acquittement de George Zimmerman, qui avait abattu dans la rue Trayvon Martin, un adolescent noir qui rentrait chez lui et n’était pas armé. Zimmerman a pu échapper à une condamnation pour meurtre en invoquant le fait qu’il s’était cru menacé par le jeune homme et qu’il avait donc agi en état de légitime défense. Cette affaire, qui a provoqué une vague d’indignations dans tout le pays, n’a pourtant pas encore permis de redéfinir la légitime défense de manière plus étroite dans les États qui ont adopté des lois Stand Your Ground.


© David Shankbone/Flickr

Selon Fred Davis, compte tenu de la définition beaucoup plus restrictive de la légitime défense dans l’État de New York, celle-ci n’aurait certainement pas été retenue dans un cas tel que celui de l’affaire Trayvon Martin. Il a été évoqué le fait que le débat sur les conditions de la légitime défense est lié à celui sur les armes à feu et il a été rappelé que la Cour Suprême [2] a jugé, sur la base des 2ème et 4ème amendements, que la constitution protège le droit de s’armer pour se défendre et défendre sa propriété. Pour la Cour Suprême, le droit de posséder une arme à feu est un élément essentiel de la légitime défense.

Mary McGowan Davis, ancienne juge à la Cour Suprême de New York, a rappelé la définition de la légitime défense selon la loi new-yorkaise. La légitime défense, qui inclut dans certains cas limités – et même en cas de vol avec effraction (burglary) – l’usage de la force pouvant entraîner la mort (deadly physical force), doit être raisonnablement (reasonableness test) nécessaire (necessary). C’est seulement si elle est raisonnablement nécessaire pour se défendre, défendre un tiers, faire cesser certaines infractions limitativement énumérées ou permettre l’arrestation ou éviter la fuite d’une personne ayant commis une infraction, que l’usage de la violence peut être admis au titre de la légitime défense. C’est ensuite bien sûr au cas par cas qu’est appréciée cette condition de nécessité et si, en particulier, l’usage d’une arme à feu (deadly physical force) peut être jugé comme nécessaire.

En matière de preuve, Fred Davis précise que, dans l’État de New York, il appartient au procureur de prouver que les conditions de la légitime défense ne sont pas réunies, au-delà du doute raisonnable (beyond reasonable doubt). Il s’agit d’une exception, puisque dans la plupart des autres Etats américains, la charge de la preuve de la légitime défense pèse sur le prévenu.

Enfin, Nathalie Malet, magistrate française, est revenue sur l’affaire du bijoutier de Nice. Elle a, tout d’abord, rappelé les conditions de la légitime défense en droit français (articles 122-5 et 122-6 du code pénal). La légitime défense n’est admise qu’en cas d’attaque injustifiée (i.e. illégale, sans base juridique) ; elle doit intervenir dans le même temps que l’agression (concomitance de l’attaque et de la riposte) et doit être proportionnée à l’attaque. C’est à celui qui invoque la légitime défense de la prouver. En droit français, la légitime défense s’étend à la protection des personnes et des biens mais, dans ce dernier cas, l’homicide volontaire n’est jamais justifié. C’est une différence avec le droit américain qui admet, dans certains cas d’attaque aux biens ou à la propriété, que la légitime défense puisse aller jusqu’à l’homicide (deadly physical force). De plus, en droit français, contrairement au droit américain, puisque l’acte de défense doit intervenir dans le même temps que l’attaque, la légitime défense est exclue pour permettre l’arrestation d’une personne concernant une infraction passée.

Pour Nathalie Malet, dans l’affaire de la bijouterie de Nice, les conditions de la légitime défense ne semblent pas réunies, le commerçant ayant vraisemblablement tiré sur le malfaiteur dans la rue, alors qu’il prenait la fuite.

Alors qu’aux États-Unis, suite à l’affaire Trayvon Martin, il a été réclamé par une large partie de la population de restreindre les conditions de la légitime défense, en France, c’est l’inverse qui s’est produit, puisque l’affaire du bijoutier de Nice a déclenché un débat au niveau national sur l’élargissement de la définition de la légitime défense. Pour finir, la question s’est donc posée d’une redéfinition législative de la légitime défense en droit français. Selon Nathalie Malet, le droit de faire justice soi-même ne pouvant être reconnu dans une société démocratique, la légitime défense ne doit être admise que dans des cas très limités et tous les abus doivent être strictement sanctionnés.

Cécile Debost
Doctorante à l’université Paris 8, membre du JILC 


 

(1)Qui correspond à la Cour d’assise de New York et n’est pas une cour d’appel.

(2)Des États-Unis