Vendredi 17 avril – de la légitimité à l’attractivité : les nouvelles formes d’autorité

Séminaire les cours suprêmes à l’heure de la mondialisation

Séance du vendredi 17 avril de 11h30 à 13h00
De la légitimité à l’attractivité : les nouvelles formes d’autorité

Responsable de séance : Jânia Maria Lopes Saldanha, professeur à l’université fédérale de Santa Maria, chercheur associé en résidence à l’IHEJ

1.Introduction

La relation entre les hautes juridictions nationales avec les tribunaux internationaux, les tribunaux supranationaux et les tribunaux régionaux des droits de l’homme, et la relation de communication entre ces Cours globales, soulèvent aujourd’hui un débat animé.

Notre but est de réfléchir si le phénomène que nous avons choisi d’appeler « dialogue inter-juridictionnel » ajoute des qualités aux décisions judiciaires et ainsi transforme ses normes de légitimité, crée de nouveaux canaux attrayants de l’accès à la justice et de nouvelles formes d’autorité.

Ces changements déterminés par les dialogues peuvent être analysés:

1) comme un problème de structure;
2) à partir de ses différentes raisons;
3) comme un problème de cooperation ;
4) comme un problème éthique;
5) fondé sur des principes ;
6) comme transformateur de légitimité et
7) pour favoriser de nouvelles attractivités.

2.Un problème de structure

Traditionnellement, la légitimité des systèmes de justice et des juges nationaux  se fondait, entre autres, sur la capacité de décider en respectant d’un point de vue matériel, le système juridique interne, le principe de souveraineté, l’auto-référence et, d’un point de vue formel, l’indépendance, l’impartialité et le contradictoire.

Même aujourd’hui, la légitimité de la juridiction découle de cette considération et la formation des juristes, comme nous savons, est encore fortement ancrée dans le domaine du droit interne.

Donc, du point de vue de la «structure», la juridiction répondait aux exigences limitées des sociétés sur le plan spatial – impliquant la culture et les traditions – et sur le plan temporel – ce qui impliquait les rythmes de la vie quotidienne.

Cependant, les raisons qui ont conduit à remettre en cause ce paradigme du « nationalisme méthodologique » auquel fait référence Ulrich Beck sont nombreuses et connues.

Le dé-spatialisation et la dé-temporalisation étaient deux des effets importants produits par les événements du court siècle XXe, comme l’appelle Eric Hobsbawm. D’abord par l’émergence d’une économie mondialisée et la normalisation des droits de l’homme au-delà des espaces nationaux. Deuxièmement, par la sophistication technique et le développement écrasant des technologies de l’information et de la communication qui ont facilité l’émergence de nos sociétés accélérées[1].

Même si la description de ce scénario très complexe et pluriel est relativement simple, il est possible de percevoir d’ores et déjà que les systèmes de justice ont été profondément affectés par un problème de structure, car l’émergence d’un dialogue inter-juridictionnel s’inscrit dans ce contexte de perméabilité profonde entre les différents systèmes qui en modifie sensiblement les raisons juridiques.

Il y a, de fait, une pluralité sémantique pour qualifier ces « échanges communicationnels » entre juges. Cette pluralité pourrait parfois mettre en évidence l’omniprésence d’une esthétique plutôt que d’une éthique résultante de la conscience du caractère historique et analogique du phénomène de la compréhension et de l’interprétation judiciaire.

Qu’il s’agisse de dialogues judiciaires « à bâton rompus » ou de « dialogue de sourds »,[2]  cela constitue une forme d’expression du langage. Pour suivre les traces de Cassirer, en dehors de la médiation de ce langage  on ne peut pas parler de «l’existence culturelle” des dialogues entre juges[3]. Cette pluralité de dialogues inter-juridictionnels est identifiée par des expressions telles que :

 

EXPRESSION                                                          AUTEUR
Cross-judicial influence                                        A.K. Thiruvengadam[4]
Cross-constitutional influence
ou Cross-constitutional fertilization                  S.  Choudhry[5]
Trans-judicial communication
or judicial dialogue; judicial comity                   Anne-Marie Slaughter[6]
Trans-judicial borrowing
or precedente borrowing                                    K. L. Scheppele[7]
Cross-polinisation                                                Claire L’Heureaux-Dube[8]
Dialogue between judges                                   Andrea Lollini[9]
Commerce entre juges                                       Antoine Garapon et Julie  Allard[10]
Conversations constitutionales                         Marcelo Neves[11]
Dialogue de cooperation                                    Guy Canivet[12]
Dialogue entre les juges                                     Benoit Frydman[13]
Dialogue des juges                                              Laurence Burgorgue-Larsen[14]

 

La pratique et la théorie des dialogues entre juges,  expression attribuée à  Bruno Genevois dans le célèbre arrêt Cohn Bendit du 22 décembre 1978[15], ne connaissent pas d’uniformité. Les Cours suprêmes des États et les Cours globales agissant tantôt avec ouverture tantôt avec une fermeture.

Quant aux Cours nationales, un exemple d’ouverture vient des Cours constitutionnelles de l’Afrique du Sud, du Canada et de la Colombie. Un exemple de fermeture  est celui de la Cour suprême des États-Unis. Rappelons-nous les votes dissidents du juge Scalia en défense « du text originel de la Constituition américaine ». La Cour suprême du Brésil est un exemple ultérieur de la pratique d’un relatif « provincialisme constitutionnel »[16] et d’une application timide du droit conventionnel, comme le montre la reconnaissance de la constitutionnalité de la loi d’amnistie, contrairement à la décision de la CIDH – Cour interamericaine des droits de l’homme[17].

Les juges des tribunaux non nationaux pratiquent également le dialogue dans un « circuit de légitimité »[18], c’est-à-dire que le peuple accorde ses mandats pour reçevoir ensuite leurs décisions. Celles-ci, malgré le risque, ne peuvent résulter d’un « effet de club »[19]  étant donné l’interdiction d’être discrétionnaire et arbitraire.

Il s’agit de la tension entre le maintien de la légitimité et de l’autorité décisoire en adoptant la fermeture du national ou, au contraire, pratiquer l’ouverture vers ses propres « paires ». Dans ce cas, cela constitue la condition même de la possibilité d’étendre la légitimité et l’autorité tirées de la reconnaissance de la communauté internationale. La CIDH a donné de bons exemples de ce dialogue par rapport à la jurisprudence de la CEDH – Cour européenne des droits de l’homme. Mais, comme nous savons, la réciprocité est assymétrique.

De quelle façon alors ces «dialogues inter-juridictionnels » posent un problème de structure[20]?

La recherche de « la volonté de la loi » est devenue une fantaisie naïve et l’accélération vertigineuse de l’histoire a montré la distinction immense entre le texte et la norme, en brisant le rêve des Lumières qui avaient imaginé une norme entièrement contenue dans son texte. Notre époque n’a pas seulement détruit l’espoir que la loi ait un sens permanent et constant comme celui des vérités mathématiques, mais s’est chargée aussi de montrer que le droit national ne peut pas donner toutes les réponses face à l’urgence des dépendances réciproques humaines qui dépassent les frontières de l’État-nation et qui se basent sur les droits de l’homme.

Devant cette réalité indéniable, les juges dans leur ensemble et ceux des Cours suprêmes, vues les spécificités des matières auxquelles ils sont appelés à faire face, sont confrontés aux grandes lignes du système juridique national, avec ses présuppositions politiques – parmi lesquelles, l’idée du processus comme science –, qui aspirent, comme toutes les lois scientifiques, au statut de « vérité éternelle ». Ainsi, les juges des Cours globales, formés dans leurs systèmes juridiques respectifs, se trouvent obligés de transcender leurs cultures et les systèmes normatifs nationaux dont ils sont originaires.

Le dépassement épistémologique du « vrai » et du « faux », qui suppose la séparation radicale entre « fait » et « droit » etla croyance dans la complétude du droit national, constitue l’élément incontournable que le dialogue entre les juges produit.

Former un nouveau type de juriste dans ce vaste  et complexe scénario de  transformation de la théorie juridique, de la théorie des sources et de la théorie de la décision est, en réalité, un autre problème de structure, que nous ne pouvons pas analyser ici.

Le grand défi est de choisir – de manière appropriée – entre rester dans une sorte d’ « autarcie », qui serait une sorte de provincialisme narcissiste, ou s’ouvrir aux échanges et à la loi d’autres juridictions.

Nombreuses sont les raisons présentées par la doctrine qui conduisent aux pratiques de ces dialogues.

[1] VIRILIO, Paul. Le grande accélérateur. Paris: Galilée, 2010.
[2] CARON, Slovia. La cour de cassation et le dialogue des juges. Thèse. Disponible: https://halshs.archives-ouvertes.fr/tel-00769401/document.
[3] MOCKEL, Christian. Arte e linguagem como duas formas simbólicas nas obras póstumas de Ernest Cassirer. Disponible: http://www.uc.pt/fluc/dfci/public_/publicacoes/vol.20_n40/arte_e_linguagem_como_duas_formas_simbolicas_nas_obras…
[4] Legal transplants through judiciaires: Cross-judicial influences on constitutional adjudication in the post world war II Era. A study comparative constitutional law focusing on theorical and empirical issues. New York University, 2001.
[5] Globalisation in Search of justification: Twords a Theory of Comparative Constitutional Interpretation. Indiana, 1999.
[6] A typology of transjudicial communication, 1994. Disponible:https://litigation-essentials.lexisnexis.com/…/app?
[7] Aspirational and aversive constitucionalism: The case for studying cross-constitutional influence through negative models, 2003. Disponible: icon.oxfordjournals.org/content/1/2/296.abstract?ck.
[8] The importance of dialogue: globalization and the international impact of Rehnquist Court, p. 8, 1998. Disponible: digitalcommons.law.utulsa.edu/…/viewcontent.cgi?
[9] Legal argumentation based on foreign law. Disponible: http://www.utrechtlawreview.org/index.php/ulr/article/view/195
[10]ALLARD, Julie. GARAPON, Antoine. Les juges dans la mondialisation. La nouvelle révolution du droit. Paris: La Republique des Idées/Seuil, 2005, p. 7.
[11] Transconstitucionalismo. São Paulo: Martins Fontes, 2009.
[12] CANIVET, Guy. Éloge de la bénévolence des juges, p. 1. Disponible: http://www.ahjucaf.org/Les-influences-croisees-entre,7177.html
[13] FRYDMAN, Benoit. Le dialogue international des juges et la perspective idéale d’une justice universelle. Disponible: http://www.philodroit.be/IMG/pdf/B._FRYDMAN_-_Conclusion_-_Le_dialogue_international_des_juges_-_30_mars_2007.pdf.
[15] BURGOURGUE-LARSEN, LAURENCE. De l’internationalisation du dialogue des juges. Missive doctrinale à l’attention de Bruno Genevois. Disponible: http://www.univ-paris1.fr/fileadmin/IREDIES/Contributions_en_ligne/L._BURGORGUE-LARSEN/M%C3%A9langes/LBL_M%C3%A9langes_Genevois-1.pdf
[16] NEVES, Marcelo. Transconstitucionalismo, op. ci.t, p. 131.
[17] Affaire Gomes Lund e Outros v. Brasil. Disponible: http://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/seriec_219_esp.pdf
[18] ALLARD, Julie. GARAPON, Antoine. Les juges dans la mondialisation. La nouvelle révolution du droit…, op. cit.  76.
[19] Id.
[20]BAPTISTA DA SILVA, Ovídio Araújo. Da função à estrutura. Constituição, Sistemas Sociais e Hermenêutica. Anuário 2008. Programa de Pós-Graduação em Direito UNISINOS. Porto Alegre: Livraria do Advogado, 2008. p. 89-100. LOPES SALDANHA, Jânia Maria. Do funcionalismo processual da aurora das luzes às mudanças estruturais e metodológicas do crepúsculo das luzes: A revolução paradigmática do sistema processual e procedimental de controle concentrado de constitucionalidade no STF. Constituição, Sistemas Sociais e Hermenêutica. Anuário 2008. Programa de Pós-Graduação em Direito UNISINOS. Porto Alegre: Livraria do Advogado, 2008. p. 113-134.

3.Les raisons plurielles pour le « dialogue »

Le dialogue inter-juridictionnel peut prendre plusieurs directions et plusieurs motivations. Si dans la pratique, il s’agit d’un phénomène qui a connu sa croissance après la création des Cours globales, les échanges entre les juges existaient depuis le XVIII siècle et l’exercice des comparaisons qu’ils permettaient n’est pas une nouveauté.

La sensible perspicacité chez Nietzsche[1] percevait déjà ce phénomène quand il désignait le siècle XIX comme « l’ère de la comparaison ». Il affirmait que l’interpénétration des hommes et la polyphonie des efforts visant à se mettre en contact entre eux étaient la véritable opposition à l’isolement et à la fermeture de sociétés nationales.

Exercer la méthode comparative et adopter le point de vue de « l’autre » reflète une expérience unique, lorsque le sujet se rend universel dans la mesure où il s’ouvre à l’apprentissage pour trouver des réponses dans le système juridique qui n’est pas le sien.

Une raison philosophique plus profonde contribue à expliquer ce phénomène: ces dialogues peuvent être liés à la recherche d’un sens pour le Droit. C’était la position adoptée par Benoit Frydman[2]. Il a remarqué que le dialogue entre les juges serait centré plus dans la façon de dire (a), de trouver (b) et de fabriquer (c) le droit, que dans sa dimension sociologique. En ce sens, les décisions judiciaires trouveraient un fondement non seulement dans les précédents, mais aussi «excédents » ou «extracédents»[3].

D’autres parts, des exigences fonctionnelles – à savoir du commerce – et éthiques – à savoir de l’ambition humaniste – sont des facteurs réels qui conduisent à ces communications, comme l’a indiqué Antoine Garapon[4].

Ce besoin de « conversation » entre les Tribunaux nationaux entre eux, avec les tribunaux internationaux, et de ceux-ci entre eux, qui vient de la force des relations globalisées est, d’ailleurs, la condition de maintien de leur autorité argumentative et le facteur d’agrandissement de leur légitimité. Et ce en raison de leur capacité à prendre en compte les intérêts en jeu du point de vue du droit constitutionnel et international[5].

Le dialogue inter-juridictionnel peut aussi être compris comme un moyen possible de réduire la dispersion que la pluralité – des acteurs, des facteurs, des normes et des processus –, qui configure les processus d’interaction juridiques peut produire.

En abordant la performance de la Cour suprême du Canada, la juge Claire L’Heureux-Dube[6] souligne quatre raisons à l’existence et l’expansion du dialogue judiciaire: a) des problèmes similaires; b) le caractère international des droits de l’homme; c) les progrès technologiques; d) les contacts personnels entre les juges.

L’idée d’une Ville planétaire – Metropolis – , adoptée par Xifaras[7] contribue à expliquer pourquoi la société nationale, même périphérique, est directement ou non touchée par la mondialisation du droit. Bien que les juristes de cette société soient situés au centre ou au bord de leurs communautés, ils sont exposés à ces phénomènes super- ou transnationaux, ainsi qu’à la nécessité de la pratique de la solidarité transnationale[8].

Or, au fur et à mesure que les droits de l’homme se sont inscrits dans la liste des modes de rationalité de ce monde global, le dialogue entre les juges finit par être un moteur important pour leur efficacité dans cette échelle internationalisée que ces droits ont finalement atteint. C’est le moteur qui vient de la coopération et non pas de la concurrence.
[1]NIETZSCHE, F. Humano demasiado humano. São Paulo: Companhia de Bolso, 2005, p. 31
[2] FRYDMAN, Benoit. Le dialogue international des juges et la perspective idéale d’une justice universelle, op. cit.
[3] Ibid., p. 11.
[4]ALLARD, Julie. GARAPON, Antoine. Les juges dans la mondialisation. La nouvelle révolution du droit., op. cit., p. 29-33.
[5]BENVENISTE, Eyal. Reclaiming Democracy: The Strategic Uses of Foreign and International Law by National Courts,p. 248/249. American Journal of International Law, Vol. 102, 2008. Disponible: http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1007453
[6] L´HEUREUX-DUBE, Claire. The importance of dialogue: Globalization and the International Impact of the rehnquist Court. Tulsa Law review. V. 34, 1998. Disponible: http://digitalcommons. Law.utulsa.edu/tlr
[7] XIFARAS, M. Après les théories générales de l’État: le Droit Global, p. 25. Disponible: http://www.juspoliticum.com/IMG/pdf/JP8-Xifaras.pdf
[8] SUPIOT, Alain. L’esprit de Philadelphie. La justice social face au marché total. Paris: Seuil, 2010, p. 159-173.

4.Un problème plus de coopération et moins de concurrence

La question dont nous traitons ici n’est pas de nature purement académique. Elle remet en question la réalité des relations entre les différents ordres judiciaires. Qu’est-ce qu’il y aurait à la base de ce débat ? Peut-être l’existence de mécanismes de construction d’un droit commun – mais dans quel domaine? – ou encore des dialogues constituant en « soi » des outils de convergence d’un ordre juridique mondialisé[1]?

C’est sur ces réflexions que plutôt de penser une « concurrence amicale » entre les juges, il s’agirait de penser une «coopération amicale».

Bien qu’on ne puisse pas nier que dans la mondialisation les différences entre les juridictions établissent une « concurrence » entre elles, qui peuvent se traduire dans des avantages et désavantages comparatifs pour les consommateurs(par la possibilité de recourir au forum shopping) nous pouvons envisager le thème des dialogues inter-juridictionnels du point de vue de la réalisation des droits de l’homme et non pas du point de vue de l’économie.

C’est que la concurrence, si elle possède  «une éthique», serait celle du modèle néolibéral – cette forme de gouvernementalité dénoncée par Foucault – dont la concurrence est l’élément central qui guide la construction des institutions lesquelles, par l’origine et par la fonction, diffèrent du pouvoir judiciaire et de ses institutions.

Bien sûr, nous connaissons l’ampleur des grands mouvements de réforme de la justice qui ont eu lieu dans de nombreux pays pour adopter un modèle d’entreprise. Foucault a déjà fait cet avertissement : “Si l’économie est un jeu, les institutions juridiques qui encadrent l’économie devraient être considérées et traitées comme des “règles de ce  jeu”[2].

Ainsi, le fait de penser en termes de coopération et non pas de compétition consiste à réagir à l’affirmation selon laquelle la fonction principale attribuée à la juridiction serait celle de  « gouverner l’ordre de la vie économique », ce qu’a également dénoncé Foucault[3].

Ce «dialogue» découle, en effet, d’une sorte de partage de principes communs présents à un moment donné dans l’histoire qui vont au-delà des frontières des États-nationaux. Antoine Garapon a raison lorsqu’il affirme que les dialogues prétendent à « une fonction d’institution »[4] qui trouve leur légitimité dans la confiance et dans une sorte d’évaluation réciproque permanente entre les juges.

C’est pourquoi ce qui importe est moins la logique de l’esthétique géométrique des dialogues (verticale ou horizontale) que la force de cette esthétique (spontanée ou non spontanée).

S’il est possible de reconnaître l’importance de ces démarcations à géométrie variable visant à construire une théorie adéquate des dialogues inter-juridictionnels[5], la mondialisation de la justice, comme le dit  Antoine Garapon[6], implique qu’aucun tribunal ne peut être indifférent à ce que font leurs homologues.

Ainsi, nous nous éloignons des préoccupations esthétiques, parce que les interactions entre les juges n’ont pas comme raison centrale la production d’un système. Quelle est la direction à prendre pour justifier non seulement l’existence mais l’importance et la nécessité du dialogue inter-juridictionnel pour  élargir sa légitimité, approfondir  son autorité et créer des nouvelles formes d’attractivité?

Il faut penser les dialogues sur des fondements éthiques qui sont absents lorsque nous parlons de la liberté d’expression, de l’euthanasie, du suicide assisté, du port du voile, des droits des immigrés, etc … Or, les dialogues juridictionnels n’impliquent pas l’exercice d’une technique, d’ailleurs encore en construction. La médiation culturelle qu’ils réalisent dérive d’une éthique qui devrait être reconnue par les destinataires des services de la justice.

[1] CANIVET, Guy. Éloge de la bénévolence des juges, op. cit., p. 1.
[2] FOUCAULT, Michel. Naissance de la biopolitique. Paris: Gallimard/Seuil, 2004, p. 178
[3] FOUCAULT, Michel. Naissance de la biopolitique, op. cit. p. 178-179.
[4] ALLARD, J. GARAPON, A. Les juges dans la mondialisation…, op. cit.,  p. 31.
[5]PIOVESAN, Flávia. SALDANHA, Jânia. Diálogos judiciais e direitos humanos. Brasília: Gazeta Jurídica, 2015, apparaître.
[6] ALLARD, J. GARAPON, A. Les juges dans la mondialisation…, op. cit.,  p. 27.

5.Un problème éthique lié à l’argumentation et à la qualité des décisions

En fait, la réponse est liée au problème éthique de la fonction de juger et à la nécessité de construction d’une théorie de la décision appropriée à la réalisation des droits de l’homme.

L’utilisation des décisions d’autres juges ajoute une nouvelle rationalité aux décisions judiciaires en ayant tendance à améliorer sa qualité. Dans une perspective générale, le dialogue inter-juridictionnel sur des questions essentielles sur les droits de l’homme peut alors impliquer :

a) le droit international et le droit de l’Etat (par exemple, le rapport de la CEDH avec les ordres constitutionnels des États: a)  Affaire Caroline de Monaco contre l’Allemagne; b) Décision 2004-505 du Conseil constitutionnel français qui a appliqué l’argumentation de l’affaire Leyla Sahin  contre la Turquie, sur le port du voile;c)  l’affaire Brésil  RE 466343/2008 qui a suivi la jurisprudence de la CIDH interdisant la prison pour dette)[1];

b) le droit  supranational et le droit de l’Etat – connexion entre le TJCE et les Cours constitutionnelles et Cour de cassation (par exemple: l’ Affaire Solange I et II)[2];

c) des droits nationaux entre eux –  les décisions des Cours constitutionnelles ou de cassation d’autres pays sont utilisés non seulement comme obter dicta mais aussi comme ratio decidendi (par exemple : a) Harvard Collège contre le  Canada – Le Tribunal fédéral d’apelation la apliqué la décision de l’affaire Diamond  contre Chakrabarty de la Cour suprême des Etats-Unis; b) l’ affaire State contre Makwanyane – contre la peine de mort. La Cour constitutionnelle de l’Afrique a invoqué la décision de la Suprême cour américaine  et du Tribunal  constitutionnel germanique)[3] ;

d) les droits nationaux et les « droits locaux  extra-étatiques » – expérience latino-américaine sur les questions autochtones. Il y a l’ intrication entre les ordres constitutionnels et ordres normatifs “natifs” ;

e) le droit supranational et international (par exemple, les dialogues entre la CEDH et le TJUE) ;

Cet ensemble varié montre que l’internationalisation des droits de l’homme est plutôt  une réalité féconde qu’une unanimité.  Le caractère international de ces droits crée des liens entre les différentes dimensions juridiques et juridictionnelles pour augmenter les taux  d’effectivité.

Ces «liens» avec le droit international des droits  de l’homme aident a former une sorte de dénominateur commun pour les juges qui interprètent les documents locaux, nationaux, régionaux, supranationaux et internationaux.

Dans une perspective l’éthique, les dialogues sur les droits de l’homme peuvent alors trouver un premier fondement dans la notion de prégnance développée par Cassirer[4], qui se base sur l’idée de « relations ». Son application permet d’expliquer pourquoi l’exercice de ces dialogues par des juges suppose que ceux-ci devraient considérer les mondes et les réalités historiques pour  conformer des cultures hybrides.

L’audace de cette proposition consiste à construire un cadre d’adaptation qui dépendrait de l’exercice de l’« hybridation », caractérisé par la réciprocité et l’exercice d’une « grammaire commune »[5] entre différents systèmes.

La critique raffinée de François Geny[6] a dénoncé le fait que le postulat de la plénitude du Droit, ainsi que l’ont compris les civilistes traditionnels, était ouvertement équivoque dans la mesure où les exigences de plénitude et de préexistence de la règle claire pour toute situation dans la vie était impossible, puisque « les besoins de la société sont variés… »

Ces difficultés sont encore extrêmement actuelles et obscurcissent la compréhension du fait que la capacité de comprendre le phénomène historique dépend de la capacité du juriste/interprète de posséder lui-même le savoir pour comparer des situations similaires et y trouver ce qui dans « son caractère unique, les rend différentes »[7]. D’autre part ; il ne faut jamais oublier la nécessité d’une « retraite éthique » par rapport à sa propre tradition, qui est, d’ailleurs, l’une des vertus du juge.[8]. Ce serait le deuxième fondement éthique.

Il ne s’agit pas de produire une décision solipsiste et aléatoire dans laquelle le juge est seul avec lui-même et sa conscience. Au contraire, il y a une anticipation de sens et une communication anticipée avec les autres, avec qui « nous arrivons à un accord »[9].  « La vertu de la dignité » du juge est orientée par la distinction entre sa personne et la fonction publique qu’il détient, qui n’existe que dans l’intérêt du bien commun et des intérêts généraux[10].

La renonciation à des positions personnelles et privées – qui devraient avoir place seulement dans la vie privée – est ce qui identifie le chemin puissant de la pensée ouverte que Hannah Arendt a récupéré de Kant et qui justifie l’éthique du dialogue inter-juridictionnel fondée sur l’exercice d’un effort d’imagination, d’autonomie et d’indépendance, une autre expression de la vertu de la dignité et le troisième fondement éthique[11].

C’est que les juges dans la condition d’interprètes ne sont pas dissociés du travail herméneutique dont le but, comme a dit Gadamer[12], serait toujours celui de restituer l’accord, de remplir les lacunes. Ainsi, le jugement acquiert une validité spécifique dans cet « accord potentiel »[13] dont les décisions des paires présentent une « autorité de persuasion ».

L’accord potentiel, la capacité de se mettre dans la perspective de l’autre – avec une mentalité élargie[14] – au sens de la réalisation d’une « unité de compréhension » sur la diversité culturelle et des opinions grâce à l’autorité persuasive des décisions – contribue à réhabiliter le caractère moral plus que politique de la pluralité sociale et de la communauté humaine. Puisque seulement le caractère moral nous permettra de penser la pratique du dialogue en vue du « bien commun »[15].

Toutefois, si l’idée de la mentalité élargie est importante pour expliquer le fondement éthique qui est à la base des communications entre les juges, Paul Ricœur a  remarqué que c’est dans l’œuvre de Kant de 1784 – L’idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique –, dans le concept de « constitution civile parfaite » que l’on peut retrouver le fil conducteur du passage des actions de l’homme dépourvues de projet à des actions concrètes ayant une finalité. Autrement dit, il s’agit du passage d’une « téléologie naturelle à la citoyenneté mondiale, c’est-à-dire, du cosmos à la polis »[16].

En effet, les juges en dialogue non seulement agissent sur la base de cette idée régulatrice d’une situation cosmopolite universelle mais ils assument plutôt la condition de spectateur/ acteur du jugement téléologique, de celui qui a « un problème à résoudre ». Rien de plus, rien de moins. C’est le jugement pratique qui fait la médiation entre la politique et l’éthique, et qui lie les juges à travers une chaîne de principes.

[1] NEVES, Marcelo. Transconstitucionalismo, op. cit., p. 142.
[2] Id., p. 156.
[3] Id., p. 170.
[4] MAIGNÉ, Carole. Ernest Cassirer. Paris: Belin, 2013, p. 117-119.
[5] DELMAS-MARTY, Mireille. Les forces imaginantes du droit (II). Le pluralisme ordonné. Paris : Seuil, 2007,  p. 122 e 215.
[6] GÉNY, François. Método de interpretatión y fuentes em derecho privado positivo. Madrid: Editorial Reus, 1925, p. 97.  LÓPEZ MEDINA, Diego Eduardo. El derecho de los jueces. 2. ed.  Bogotá: Legis, 2006, p. 276-277. RICOUER, Paul. O justo. V. I. São Paulo: Martins Fontes, 2008, p. 159.
[7] BAPTISTA DA SILVA, Ovídio A. Processo e ideologia. São Paulo: Forence, 2004,  p. 265.
[8] GARAPON, A. ALLARD, Julie. GROS, Fréderic. Les vertus du juge. Paris: Dalloz, 2008, p. 32-44.
[9] Id., ibid.
[10] GARAPON, A. ALLARD, Julie. GROS, Fréderic. Les vertus du juge, op. cit., p. 33.
[11] Id., p. 32-44.
[12] GADAMER, Hans-Georg. O problema da consciência histórica. Rio de Janeiro: Editora FGV, 2003. p. 59.
[13] Id.
[14] ARENDT, Hannah.  Entre o passado e o futuro. São Paulo: Perspectiva, 2001, p. 248-281.
[15] FLAHAUT, François. Oú est passé le bien commun? Paris: Mille et une nuits, 2011, p. 18.
[16] RICOUER, Paul. Le juste. Paris: Esprit, 1995, 153-161.

6.Dialogues et « communauté de principes »: une intégrité globale

Le dialogue entre les juges peut être un vecteur de diffusion des principes quand il est guidé par un cadre. Lorsque la substance du dialogue est constitué par les droits de l’homme, nous pouvons observer que les juges reconstruisent toujours, á partir du matériel disponible, un ensemble de précédents qui leur permet de justifier la décision.

Ils démontrent que le droit – national ou non – repose sur une base cohérente de principes qui font partie du « roman à la chaine », écrit à plusieurs mains, universellement partagé et polyphonique, décrit par Dworkin[1].

Quand l’interprète fait valoir des principes, il va au-delà de l’objectivité pure, puisque il marche déjà vers un « ensemble contextuel cohérent (re)construit »[2], ce qui constitue l’essence même de la tâche de l’interprète.

Selon Dworkin, les principes se situent dans le cadre de croyances et de décisions prises dans le passé afin de permettre l’ouverture à l’avenir. Cela ne signifie pas devenir l’otage de la culture et de la tradition, mais de les considérer pour les maintenir ou les réinterpréter.

Dans « Comment vivre ensemble », Roland Barthes[3] a laissé quelques pistes de réflexion importantes pour notre travail de juristes. Le rêve d’une vie solitaire et en même temps collective que Barthes décrit métaphoriquement par le mot idiorrythmie – idiorritmia – permet de bien illustrer le défi des systèmes de justice contemporaines: tantôt retourner à la tradition et à la culture, tantôt s’ouvrir au monde extérieur plus large de la communauté globale.

La thèse philosophique « d’unité de valeur »[4] présentée par Dworkin nous aide à approfondir cette réflexion sur l’idéal humaniste qui constitue la base du dialogue inter-juridictionnel, où il explique le rôle des principes dans la construction de la grammaire commune des droits de l’homme, dont le cœur est la dignité humaine et la lutte contre l’inhumain[5].

Son souci est démontrer que le droit ne doit pas être compris ou pensé comme une question de faits bruts, séparés de leur morale substantielle. Par conséquent, il place l’intégrité à un niveau élevé de généralité. La dignité humaine est la véritable valeur qui doit faire autorité dans l’argumentation morale.

Cet « holisme dworkinien »[6] conduit le lecteur à identifier dans sa théorie la défense qu’il y a des vérités et des responsabilités éthiques et objectives, de sorte que les interprétations des situations réelles construisent des « intégrités globales » formant un réseau de valeurs.

Ainsi, c’est au juge d’exercer une sorte de « fidélité imaginative »[7] à travers laquelle il applique les principes tout en se maintenant critique par rapport au système, autre attitude propre à la vertu de la dignité[8].

Le caractère de transcendance indissociable des principes, comme celui du processus équitable, par exemple, permet la rencontre avec le monde pratique et l’expérience du cas réel, réfractaires à l’idée qu’il existe des principes de justice « analogues à des principes mathématiques » par lesquels la bonne réponse serait toujours trouvée.

Perelman[9], dont la pensée ne quitte jamais la perception que la réalité doit être apprise de manière valorisante, a déclaré qu’une évaluation raisonnable devrait être effectuée par les inter-locuteurs qui font partie de l’auditoire universel, qui est la communauté des interprètes.

Ainsi, lorsqu’une Cour régionale comme la CIDH dialogue avec la CEDH et décide en utilisant un argument de principe – comme c’est le cas du processus équitable, par exemple – elle ne fait qu’emprunter l’autorité persuasive de la décision de son homologue.

L’argument de principe guidera les jugements futurs dans des cas similaires parce que la notion de droit comme intégrité ouvre la possibilité que l’histoire juridique d’une communauté est constamment construite et reconstruite.

Cette compréhension exprime la position centrale que l’homme, en tant que sujet de droit, est venu à (re)occuper dans la plan national et international. De plus en plus, la revitalisation des fondements du droit international et l’enterrement des principes du traité de Whetsphalie sont désormais incontournables dans la perspective du développement des droits de l’homme.

L’intégrité n’est pas pensée en termes de précision, ni de conformité à la loi, mais comme cohérence qui est l’une des expressions de la vertu de l’interprétation[10].

La quadrature du cercle consiste finalement à reconnaître que les mythes politiques ont tendance à perdre leur place, bien que l’histoire montre le besoin humain de créer et de croire à chaque époque.

C’est le cas du mythe de l’isolement de l’Etat, un mythe qui s’est effondré dans la transformation de ses propres valeurs et de son « langage »[11]. Une des réponses à cette demande de changement est précisément cette lente construction interprétative de la communauté internationale[12].

[1] DWORKIN, Ronald. O Império do Direito. São Paulo: Martins Fontes, 2007. p. 275-278.
[2] Id., p. 201.
[3] BARTHES, Roland. Comment vivre ensemble. Lectures at the Collège de France, 1977. Disponible://www.ubu.com/sound/barthes.html.
[4] DWORKIN, Ronald. Justice for hedgehogs. Cambridge/Massachusetts/London: Belknap, 2011, p. 100-101.
[5] DELMAS-MARTY, Mireille. Les forces imaginantes du droit (IV). Vers une communauté de valeurs? Paris : Seuil, 2011, p. 237 280.
[6] MACHADO, Igor Suzano. As raposas e o porco-espinho. Boletin CEDES, out-dez/2011, p. 4. Disponível em http://www.soc.puc-rio.br/cedes/PDF/out_2011/raposas.pdf.
[7] GARAPON, A. ALLARD, Julie. GROS, Fréderic. Les vertus du juge, op. cit., p. 118.
[8] Id., p. 42-44.
[9] PERELMAN, Chaim. Ética e Direito. São Paulo: Martins Fontes, 2002, p. 253.
[10] GARAPON, A. ALLARD, Julie. GROS, Fréderic. Les vertus du juge, op. cit. p. 117.
[11] CASSIRER, Ernest. El mito del Estado. Mexico: Fondo de Cultura Economica, 1997, 334.
[12] CANÇADO TRINDADE. Antônio. Il a dit: “…El reconocimiento de ciertos valores fundamentales, sobre la base de un sentido de justicia objetiva, en mucho ha contribuído a la formación de la opinio juris communis en las últimas décadas del siglo XX, que cabe seguir desarrollando en nuestros días para hacer frente a las nuevas necesidades de protección del ser humano”. Avis consultatif 18. Disponible: http://www.corteidh.or.cr/index.php/es/opiniones-consultivas

7.Les transformations de la légitimité et de l’autorité

Si, à ce point de notre analyse la reconnaissance des dialogues est indéniable, ce qui vient à l’esprit c’est de savoir si la référence aux décisions d’autres Cours, notamment les Institutions non-nationales, affaiblit ou renforce la légitimité et l’autorité des juges.

Si l’on comprend  que la légitimité est associée à l’ordre du pouvoir alors on voit que le dialogue entre les juges  suscite des transformations.

Toutefois, dans la mesure où la légitimité est associée à  l’idée de  délégation et de  compétence, il faut reconnaître  que le dialogue l’amplifie, non seulement parce que les règles ratione locirationi personne et ratione materiae des juges nationaux sont étendues, mais aussi parce qu‘elles  sont  atribuées aux juges des tribunaux non-nationaux. Donc, la legitimité est liée  à l’existence d’un cadre institutionnel provenant des Constitutions, des lois internes  et  des conventions.

Mais la légitimité seule ne parfait pas complétement le jugement[1].Elle doit être liée à l’autorité. Sa force vient de la capacité des juges à prononcer des décisions justes, et par conséquent seront reconnues.

Ainsi, l’autorité dépend de la reconnaissance sociale. Il s’agit d’une sorte d’adéquation  et de  cohérence  avec des expériences de la société, le véritable destinataire des décisions que les juges émettent.

Or, le dialogue inter-juridictionnel met en place la question du  prolongement  de cette  reconnaissance à un public plus large que le premier, dans le contexte où  la décision paradigme a été émise.

En fait,  il s’agit d’ un double défi dans l’application de l’autorité judiciaire. D’abord parce qu’il découle de la vie  démocratique des États, traversés  par des tensions qui se posent naturellement au vu des exigences contradictoires de la vie dans la société actuelle.

Ensuite, parce que ce défi  est amplifié dans la mesure où les principes démocratiques et la nécessité de la protection des droits couvrent  plus largement un public que des États-nations. C’est la raison principale qui guide  les juges à chercher des raisons persuasives  dans les décisions de leurs homologues. Prenons le cas de la CIDH dont la particularité en matière de dialogues a stimulé, d’une part, la constitutionnalisation de nombreux droits de l’homme et, d’autre part, l’humanisation du droit latino-américain[2].

Certains peuvent craindre un déficit démocratique[3]. Mais indépendamment de l’origine des juges, étant donnés les dialogues fondés sur l’éthique de la coopération et des décisions bien fondées du point de vue constitutionnel et conventionnel, une violation du pacte démocratique serait-il réellement possible?

En effet, si les décisions des juges ne sont pas seulement liées aux textes législatifs nationaux, il semble à première vue qu’il y a une rupture avec le pacte fondateur. Après tout, dans la perspective classique de la volonté générale, l’utilisation de jugements étrangers n’en découle pas.

Néanmoins, quand le juge s’appuie sur une décision étrangère, même s’il ne fait pas partie ou n’a pas de connaissance approfondie des circonstances dans lesquelles elle a été prononcée, il prend en compte son pouvoir de persuasion derrière lequelle, en général, il y a un texte normatif ou un accord régional ou international auquel son système juridique est également lié, comme dans le domaine des droits de l’homme.

Dans ce cas, il n’y a pas de rupture démocratique, ni d’affaiblissement de l’autorité du juge. Au contraire, s’appuyer sur des accords globaux, reconnaître l’existence d’un jus commune en matière des droits de l’homme revient à exercer une forme de souveraineté. La volonté générale demeure préservée.

Sans vouloir être naïf, nonobstant les difficultés connues que le thème présente, comme celles du « cherry picking »[4] qui revient à une espèce de shopping par exemple, les dialogues apportent un regain d’autorité, au fur et à mesure que les juges contribuent favorablement à l’internationalisation des droits et, par conséquent, à l’émergence d’une « jurisprudence globale en matière des droits de l’homme »[5]

Peut-être, plus que tendre vers une unification, le dialogue va contribuer petit à petit à l’harmonisation des droits de l’homme au niveau mondial. Un travail herméneutique difficile, mais qui est possible et qui résulte de la coopération. En effet, dans la mondialisation les qualités juridiques doivent être reconnues par l’un auditoire plus vaste qui partage un ensemble de principes.

[1] GARAPON, A. PERDRIOLLE, S. BERNABÉ, B. La prudence et l’autorité. Juges et procureurs du XXI siècle. Paris: Odile Jacob2014, p. 266-267.
[2] HENNEBEL, Ludovic. La Cour interamericaine desd roits de l’homme’: entre particularisme e universalisme. In: HENNEBEL, Ludovic. TRIGROUDJA, Hélène. Le particularisme interaméricain. Paris: Pedone, 2009, p. 91-104.
[3] ALLARD, Julie. GARAPON, A. Les juges dans la mondialisation…, op. cit., p. 72
[4] ALLARD, Julie. GARAPON, Antoine. Les juges dans la mondialisation…, op. cit., p. 77.
[5] HENNEBEL, Ludovic. Les références croissés entre les juridictions interna’tionales des droits de l’homme. Disponible: http://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=1819764.’

8.Nouvelles formes d’attractivité: Le problème de l’accès à la justice

Les dialogues stimulent une possibilité plus large à la participation politique.

Au niveau national, parce que les gens commencent à demander plus de justice en utilisant les voies procédurales individuelles et collectives pour la protection des droits fondamentaux violés. Et au niveau non-national, soit par le biais d’actions individuelles, tels que celles du système de protection des droits de l’homme européen, soit par le biais de la représentation, comme dans le système inter-américain, lorsque la justice nationale ne fournit pas les réponses compatibles avec la responsabilité internationale assumée par l’Etat.

Il y a une augmentation visible de la demande de justice face aux systèmes régionaux. En 2014, le nombre de cas soumis à la CIDH a augmenté de 50% par rapport aux deux années précédentes.[1] À la CEDH, en 2014, même si il y a eu une réduction du nombre d’affaires par rapport à 2013, face aux exigences de l’art. 47 du règlement de la Cour, 56.250 requêtes ont été attribuées à une formation judiciaire[2].

Il s’agit de contourner les déficits démocratiques en matière d’accès à la justice, ce genre de contre-pouvoir pouvant être exercés par des individus et des groupes, ce qui représente un défi à la fois juridique et politique.

Dans ce dernier cas, nous pouvons voir un déplacement de la judiciarisation de la politique qui est présent dans les ordres internes, comme c’est le cas des jeunes démocraties en Amérique latine. Il faut aussi souligner que lentement la question de la violation des droits sociaux arrive à la CIDH.

Les demandes qui arrivent à la CIDH indiquent qu’il existe une confiance dans la jurisprudence de cette Cour et dans sa capacité à tenir les États responsables par des violations relatives aux pactes concernant les droits de l’homme.

Les limites de l’accès pour les individus au système américain sont d’une certaine façon compensées par l’ouverture de la CIDH à une plus grande participation dans la vie des victimes et des tiers, tel que l’amicus curiae et les experts qui participent aux audiences publiques, comme il est arrivé dans le cas Bámaca Velásquez c. La Guatemala[3] et la Comunidad Moiwana c. Le Suriname[4].

Les dialogues renforcent ainsi le pacte fondateur parce que non seulement ils stimulent la recherche des compétences internes, chargées d’assurer le respect des droits fondamentaux, mais ils renforcent aussi la légitimité et le crédit de l’action des tribunaux non-nationaux dont la compétence est reconnue par les Etats qui, à leur tour, se voient assuré en contrepartie, une marge nationale d’appréciation.

Si le risque de déficit démocratique représenté par l’exercice du dialogue est une réalité, il est sûrement plus petit que la possibilité de permettre la compatibilité entre la particularité des cultures et les valeurs universalisables, ce que la France a su stimuler par la participation de ses juges au réseau des juges, par l’existence de « magistrats de liaison », par la formation continue offerte par l’Ecole nationale de la Magistrature par la sophistication des communications virtuelles, par les communications intranet et par le site Legifrance, etc.

[1] Corte Interamericana de Direitos Humanos. Relatório de 2014, p. 22. Disponible: http://www.corteidh.or.cr/tablas/ia2014/portugues.pdf
[2] Cour Européenne de droits de l’Homme. Analyse statistique 2014, p. 4. Disponible: http://www.echr.coe.int/Documents/Stats_analysis_2014_FRA.pdf
[3] Disponible: http://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/Seriec_91_esp.pdf
[4] Disponible: http://www.corteidh.or.cr/docs/casos/articulos/seriec_145_esp.pdf

  1. Terminer ….pour continuer

Ainsi, l’ouverture aux échanges inter-juridictionnels au nom des droits universalisables et de la garantie d’accès à la justice serait la représentation de l’hospitalité à ce qui est étranger. Ici apparaît la nécessité de reconstruire[1] aussi la plupart des catégories de droit procédural précisément pour que les gardiens des Constitutions et des conventions soient en mesure de pouvoir répondre à la complexité du temps actuel..

Les institutions et les pratiques de ses acteurs seront cosmopolites dans la mesure où elles remettent en cause, sans les abolir, les frontières entre  « l’intérieur » et l’ « extérieur », et en construisant inexorablement un monde qui n’est jamais donné définitivement.

[1] ASTUDILLO, César. Doce tesis em torno al Derecho Procesal Constitucional, p. 55. Disponible: http://biblio.juridicas.unam.mx/libros/6/2555/82.pdf.

Réactions d’Antoine Garapon

Réactions de Fausto

Réactions d’Antoine Garapon et séance de questions / réponses avec la salle