La justice de cabinet : un nouvel office ?

La plupart des décisions que prend un juge se fait dans l’espace de son “cabinet”, espace dans lequel il peut avoir une relation directe avec le justiciable. Une justice pourtant dénuée de prestige dans nos tribunaux, et sur laquelle se sont penchés Denis Salas et Sylvie Perdriolle dans le cadre du séminaire de philosophie du droit sur l’office du juge.

Le mot intrigue : que vient-il faire dans le champ de la justice ? Il se trouve plus souvent lié aux professions libérales au sens où on parle du cabinet de travail d’un avocat ou d’un médecin (de l’italien gabinetto, cabine, chambre), une petite pièce qui est en pratique son bureau. Il semble qu’historiquement ce soit dans la justice des mineurs qu’est évoquée cette expression par les professionnels. En droit, on parle d’audience en « chambre du conseil » par rapport à l’audience collégiale : il y a une indifférence des droits procéduraux aux travaux en cabinet qui sont informels.

Dans la pratique, surtout en première instance où siège un juge unique, c’est la forme majoritaire : peu formelle, aisément accessible, sans obligation d’avocat et rapide, elle produit une « jurisprudence concrète » selon les termes d’Antoine Garapon : par exemple, placer ou non un enfant, homologuer une décision, décider ou non une mise sous tutelle… La plupart des décisions que prend un juge, soit à juge unique, soit (plus rarement) en collégialité, le plus souvent sans sa robe, se fait dans l’espace de son bureau ou d’un bureau ce qui veut dire sans public, sur la base d’un dossier et avec un débat réduit ce qui ne veut pas dire sans échange direct avec les parties, tandis que l’audience collégiale implique un rituel en rapport avec l’enjeu des décisions notamment pénales.

Un modèle lié à la vision française du juge

Dans cet espace resserré qu’est le cabinet, le juge peut avoir une relation directe avec le justiciable, sur le modèle inquisitoire dont la figure éminente est le juge d’instruction. Il est toujours investi d’une mission d’intérêt général qui le relie à la fiction fondatrice de notre Etat entendu comme service public, et qui repose sur deux éléments principaux : l’administration formée de compétences mues par l’intérêt général (auquel se rattache la justice des mineurs et la phase préparatoire du procès pénal) et les pouvoirs élus né du suffrage universel (parlements puis pouvoir exécutif) auxquels le rattache le jury et un temps bref l’élection des juges. Dans le cas du juge des enfants, cette mission recouvre la protection de l’enfance : dans le cas du juge d’instruction, la manifestation de la vérité. C’est pourquoi, par exemple, on a pu parler du juge d’instruction comme un « fonctionnaire éclairé » qui instruit dans son bureau avec son greffier son dossier.

L’espace restreint du cabinet est le reflet de la « conscience jugeante » du juge qui aimante tout. Mais il n’est pas forcément l’espace de l’arbitraire ou de la toute puissance du juge : c’est l’espace où se manifeste la transcendance de l’Etat par rapport aux conflits privés : c’est à travers lui, un Etat qui dit la vérité ou qui est investi d’une mission de protection.

D’où la figure d’autorité du juge qui naît de cette confrontation directe avec le justiciable (à l’opposé du juge anglais qui est arbitral) : d’où son décisionnisme, son exigence d’aveu et de vérité, sa pression sur les corps et les âmes, bref son rôle d’instance morale.


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Crédit photo : Patrick Tallec