La médiation judiciaire, la conciliation et la notion d’autorité

Acte d’autorité, la médiation n’est pas une alternative à la justice mais au procès. Mode “horizontal” de règlement des conflits, elle met aussi en jeu la réconciliation et la figuration du lien social. Un sujet abordé par Boris Bernabé, chercheur associé à l’IHEJ, et les participants au séminaire sur l’office du juge.

La vision classique de la médiation est celle d’une procédure volontaire, structurée, par laquelle un médiateur facilite les communications et aide à résoudre des conflits. La médiation se caractérise alors par une justice participative, qui permet de participer à la résolution d’un problème. Elle est liée à des problèmes humains et non à un droit préexistants.

La participation et la médiation sont souvent représentées comme des modes contractuels, où le tiers est un intermédiaire de communication et non de solution. En cela, ils s’opposeraient à un mode vertical tenu par l’autorité de l’Etat : le procès, qui lui n’est pas participatif. Pour bien comprendre le lien et la différence entre la médiation et le procès, il faut distinguer le conflit et le litige. Le litige est la traduction en termes juridiques du conflit.


@ Patrick Tallec

Cela ne signifie pas que l’on est dans le procès. Le conflit est antérieur à cette formulation juridique mais appartient néanmoins à la sphère judiciaire. C’est la raison pour laquelle la conciliation et la médiation ne sont pas des processus de déjudiciarisation. Elles ne sont pas des modes alternatifs à la justice mais au procès. Aussi, à l’encontre d’une certaine idée reçue, nous avançons que médiation et conciliation ne sont pas strictement des modes contractuels dans la mesure où ils découlent d’actes d’autorité : c’est le juge qui va nommer le médiateur.

La médiation et la conciliation sont des actes de justice : elles sont à la recherche de la paix entre deux parties. La paix est la première idée de justice. La médiation et la conciliation sont des actes d’autorité : l’idée de la contractualisation relève d’une lecture thomiste d’Aristote. Inventeur de la « justice commutative », Thomas d’Aquin utilise en effet le terme de commutatio, idée qui relève de l’échange.

C’est le juge qui apporte la correction pour qu’il y ait justice dans l’échange, rétablissant ainsi l’équilibre dans un ordre naturellement déséquilibré. La lecture de Thomas est donc latine et non grecque. L’idée est qu’il existe une pente depuis Thomas vers la contractualisation. Conciliare signifie « assembler, unir, associer à » et non « s’assembler, s’unir, s’associer », autrement dit il y a quelqu’un qui assemble, qui unit : il n’existe pas d’association mutuelle autonome dans la conciliation.

Mediare signifie « partager en deux », s’ « interposer ». Le médiateur, donc, s’interpose et partage en deux. Nous pouvons distinguer deux actes en un dans l’acte du Roi Salomon, lors du célèbre épisode biblique : il y a d’abord une médiation, et ensuite il se fait juge. Salomon découvre la vérité et élève la médiation en acte de juge.

Toute la question en matière judiciaire est liée à la notion d’autorité. Au XVème siècle par exemple, le médecin est une autorité naturelle qui évite le scandale. Ce tiers est consulté parce qu’il a une autorité naturelle qui légitime l’acte de médiation. La médiation n’est donc pas un contrat (même si cela peut être le résultat).

Benveniste, dans son vocabulaire des institutions indoeuropéennes, parle d’autorité souveraine à la fois comme instance de médiation entre des parties et comme autorité qui tranche un litige particulier. Médiation et conciliation sont deux phases d’un même acte : je sépare d’abord et je rassemble ensuite. La médiation fonctionne souvent lorsqu’elle est suscitée par un magistrat qui confère l’autorité au médiateur.

La problématique de la médiation tourne autour des mots « contrat », « autorité » et « judiciaire ». Ce qui est légitime aujourd’hui, ce n’est plus ce qui est « vertical » mais ce qui va permettre de régler les conflits sous une forme « horizontale ». L’autorité ne tranche plus souverainement mais associe les parties à la résolution des litiges.

La forme qui doit être figurée, c’est ce lien : notre nouvelle manière de se représenter le lien social, la figuration du contrat social. Ce qui fait autorité, c’est le mythe de la communauté des individus. Nous sommes en présence d’aspects archaïques (notamment avec le retour de la vengeance, etc…) à cette différence près que nous sommes en présence d’individus et non plus de groupes. Réconciliation, conciliation : nous retrouvons ainsi dans la médiation les mêmes problématiques qu’avec la justice transitionnelle : il s’agit de re-figurer le contrat social.

Edouard Jourdain
Chargé de mission à l’IHEJ