source : Le Monde
Il y a 25 ans, le siège impitoyable de trois mois puis la prise sanglante de la ville de Vukovar ont été le symbole le plus marquant de la guerre de 1991 en Croatie. L’épilogue de cette tragédie, l’exécution, la nuit du 20 novembre 1991, de 250 prisonniers qui se trouvaient dans l’hôpital du centre en a constitué le crime le plus emblématique. Des reporters, dont la journaliste française Florence Hartmann (voir son témoignage au TPIY), ont révélé l’existence du charnier près du village d’Ovacara dès octobre 1992. Les premières fouilles n’ont été rendues possibles qu’après la reconquête de la zone par les autorités croates, à partir de septembre 1996. Pour juger des crimes commis par les forces serbes en Croatie, outre quelques autres dossiers (comme celui très particulier de Dubrovnik, tournant autour du bombardement d’un site classé Patrimoine de l’humanité), le bureau du procureur du TPIY a concentré l’essentiel de ses efforts sur cette affaire. Ce choix s’avère décevant et contre-productif. Les déconvenues rencontrées dans les procédures contre les deux principaux responsables politiques locaux (suicide du premier accusé, détérioration de l’état de santé puis décès du dernier d’entre eux), l’indulgence des jugements rendus en 2007 contre les militaires puis en 2016 l’acquittement en première instance du leader du Parti radical serbe, Vojislav Seselj, figure tutélaire des paramilitaires tchetniks envoyés dans la région, laissent le sentiment d’un immense gâchis. Le « massacre de Vukovar » avait été l’un des dossiers fondateurs du tribunal et il reste, au bout du compte, largement impuni. Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que propose de retracer la note analytique de Joël Hubrecht, responsable du programme Justice pénale internationale et transitionnelle de l’IHEJ : Vokovar : crime fondateur du tribunal pour l’ex-Yougoslavie… crime impuni.
En complément de cet article, nous proposons à nos lecteurs de revoir ou de découvrir le film de Florence Lazar et Raphaël Grisey, Prvi-Deo [c’est-à-dire « Première fois »], réalisé il y a dix ans, en 2006, et accessible en ligne jusqu’à la fin de cette année. L’artiste française d’origine serbe et son co-réalisateur ont accompagné les familles de victimes au procès tenu à Belgrade contre des membres de la Défense territoriale et des miliciens du groupe Leva Suposdevica présents à Ovcara. Comme l’expliquent Lazar et Grisey « l’objet du film n’est pas de rendre compte directement du déroulement du procès mais de le donner à voir comme un instrument de remémoration et comme un processus lent d’établissement des faits. Vukovar et Belgrade sont deux lieux où la réalité et la représentation de la guerre ont été différentes, incompatibles et restent non réconciliées. Le montage du film articule plusieurs registres de parole, et particulièrement celles des familles des victimes présentes au procès. À la parole des familles, s’ajoute d’autres voix comme celle tout d’abord d’un avocat à décharge et celle d’une avocate à charge. Par ce biais les enjeux du procès et la corrélation complexe entre le système judiciaire national et le tribunal international pour l’ex-Yougoslavie de La Haye sont évoqués ». La condamnation d’un certain nombre de paramilitaires par la chambre spéciale des crimes de guerre de Belgrade en 2009 ne constitue qu’une faible consolation pour les survivants et les proches des hommes tués à Ovcara en novembre 1991 car, en l’absence de poursuites concluantes du TPIY et de mise en cause des responsables hiérarchiques, elle se limite à la sanction de quelques exécutants. L’enjeu du film Prvi-Deo, qui s’achève avant le rendu du verdict, dépasse le cadre strictement judiciaire. Il « propose un parcours mental, où les représentations de la guerre sont évoquées à partir de ceux qui ont perdu leurs proches. Les apparitions sommaires du tribunal, les discussions dans ses couloirs confèrent à l’événement une actualité. L’absence d’archives permet de redonner aux différents registres de parole toute leur puissance d’évocation et d’inscrire la permanence de l’événement dans l’inconscient collectif ».
Pour accéder au film cliquer sur le lien et entrer le mot de passe : prvideo
La troisième pièce de ce dossier est un article de Clara Bruhman présentant l’action du Humanitarian Law Center, une ONG serbe, dont la contribution à la découverte de la vérité, à la poursuite des criminels et au suivi des procès, en particulier ceux qui se tiennent en Serbie, est inestimable [accès à la page web de l’article].