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Dans le cadre du séminaire ‘le roman judiciaire de l’Ile de la cité‘, retrouvez l’entretien de Valérie Hayaert, historienne, chercheur associé à la fondation Bodmer (Genève) et intervenante de la première séance.
Reproduction d’un article paru sur l’intranet de la Direction des Services Judiciaires, le 23 octobre 2015
Au premier regard, le palais de justice de l’Ile de la cité affiche une monumentalité qui, très vite, laisse entrevoir un ensemble devenu illisible d’édifices marqués du poids de l’histoire de France. A quelle époque est né ce palais ? De quand date sa physionomie actuelle et, au-delà des soubresauts et vicissitudes de l’histoire, est-il possible à l’historienne que vous êtes d’y déceler une cohérence d’ensemble ?
VH : Le Palais de la Cité avant de devenir palais de justice, est à l’origine, une forteresse défensive, établie dans un îlot coincé entre les deux bras de la Seine au IVe siècle après JC. Dès le VIe siècle, les rois mérovingiens s’y installent lors de leur séjour à Paris. La justice y fait son entrée au début du XIe siècle lorsque la Curia regis se réunit dans la salle du roi. Des travaux importants sont entrepris au XIIe siècle lorsque Philippe Auguste en fait sa résidence. Saint-Louis y édifie la Sainte-Chapelle et un nouveau bâtiment adjacent, le Trésor des Chartes. Le Palais royal est considérablement agrandi par Philippe le Bel qui fait exécuter par Enguerrand de Marigny, à partir de la fin du XIIIe siècle, la chambre des Enquêtes, la Grand’Chambre puis les tours de César et d’Argent. C’est la révolte parisienne de 1358, liée pour toujours au nom d’Étienne Marcel, qui signe la fin du Palais comme résidence royale principale. Le Parlement prend alors peu à peu possession des lieux.
La physionomie actuelle du Palais date principalement du XIXe siècle, âge des grands travaux du Palais. Du vieux Palais, subsistent aujourd’hui les deux chefs-d’œuvre gothiques gérés par les services des Monuments historiques : la Sainte-Chapelle et les salles de la Conciergerie. Néanmoins, la Sainte-Chapelle a été largement modifiée au XIXe siècle par les architectes Duban et Lassus, entre 1837 et 1857.
Au delà des vicissitudes historiques, la cohérence de l’ensemble du Palais s’enracine dans le génie du lieu : ville dans la ville, l’enclos du Palais se définit selon le périmètre d’un quadrilatère compact, qui a évolué de reconstructions en nouvelles constructions, de modernisations en agrandissements ou isolements. L’idée même de l’aménagement urbain de l’île de la Cité remonte au siècle des Lumières. Au XIXe siècle, les architectes du Palais ont redessiné, en s’inspirant des édifices existants, un Moyen-Âge totalement réimaginé, pour produire un ensemble dont la conception originale date du XIXe siècle.
Vous comparez le palais de l’Ile de la cité à un véritable phénix. Au-delà du mythe, est-ce à dire que ce palais entretient une relation particulière avec le temps ?
VH : Le cas du Palais historique de la Cité évolue au gré d’un temps créateur et destructeur. Trois incendies majeurs (1618, 1776, 1871) font du palais un véritable phénix, qui contrôle de mieux en mieux le feu de chaque destruction-résurrection. Raconter l’histoire de l’occupation des espaces du Palais de la Cité, c’est donc intégrer ces moments de drame, des destruction et de vide, qui sont parties intégrantes de cette narration heurtée.
Est-il exact de soutenir que l’Etat est né entre ses murs ? A partir de quand les lieux ont-il été investis par des fonctions juridictionnelles ? Faut-il y voir la destination première du palais ?
VH : Siège du pouvoir depuis 2000 ans, le Palais de justice a façonné l’État sous la Monarchie et la République. Dès le début du XIe siècle est construite la salle du roi, où siège la curia regis, qui assiste le souverain dans se décisions administratives et judiciaires. C’est Philippe le Bel qui le premier, attribue des espaces spécifiques à son administration judiciaire (Chambre des enquêtes, Grand’ Chambre) et installe ainsi son Parlement au cœur de la Cité. C’est lorsque Jean le Bon rentre de captivité, en 1360, et suite à l’insurrection conduite par le prévôt des marchands, Étienne Marcel, que le dauphin (futur Charles VI) décide de quitter le Palais pour s’installer à Saint-Pol, sur la rive droite. Ces événement scellent la fin du Palais comme principale demeure royale, même si les souverains y conservent un logis jusqu’à la Révolution et continue d’y accueillir les souverains étrangers lors de cérémonies fastueuses ou d’y tenir des lits de justice. Dès lors, le palais royal, cœur spirituel de la Monarchie, devient le sanctuaire des lois. Confié au Parlement, cour capitale et souveraine, il partage les lieux avec la Chambre des Comptes.
Durant plusieurs siècles, le palais fut ouvert aux marchands et ses galeries comptèrent jusqu’à près de 250 boutiques. Comment expliquer une telle vocation puis son déclin ?
VH : La fonction marchande du Palais, née sans doute dès le XIVe siècle, s’amplifie au XVIIe et XVIIIe siècle à tel point que le temple de la justice est surnommé alors le « palais marchand ». Les amas confus de degrés et d’échoppes sont légion : ils revêtent tous les piliers de la Grand’Salle : c’est l’incendie de 1776 qui sera à l’origine de leur disparition progressive. Les architectes du Palais au XIXe intiment les propriétaires d’échoppes de faire place nette. En tout, à son apogée, on comptait plus de 250 boutiques à l’intérieur du Palais. Ces galeries se sont développées grâce à la présence de riches avocats, du personnel des cours de justice et du public qui venait assister aux procès. Grand espace mondain ouvert, ce foyer, réservé à une clientèle aisée, était un lieu de sociabilité apprécié. Le déclin de ces espaces s’amorce au moment où les lieux marchands sont déplacés du Palais de la Cité au Palais royal, sous l’effet de l’éloignement des élites sociales. L’incendie de 1776 porta également un coup terrible aux marchands du Palais.