Au cours de cette séance du séminaire sur l’office du juge, Robert Jacob, historien du droit, s’est intéressé, dans une perspective comparatiste, au thème de la fiction en droit, étudiée par le prisme des deux grandes traditions juridiques occidentales que sont la common law et le droit romano-canonique.
Pourquoi la fiction ? Mon centre d’intérêt est le juge et la vérité, or la fiction est le contraire de la vérité. Il est à peu près impossible de ne pas prendre la vérité à revers par son déni. Ensuite, ce sujet, « le juge et la fiction », se trouve maintenant immergé dans le courant « droit et littérature » qui nous envahit de partout, très répandu dans les milieux anglo-saxons et qui commence à se développer aussi en France. Je crois que toute la réflexion sur la fiction comme lieu intermédiaire entre l’activité judiciaire et le droit d’une part, et l’élaboration artistique d’autre part, est absolument indispensable, et pour laquelle il importe de rester dans le champ de l’histoire.
Commençons par la lecture que l’on peut faire de deux textes écrits par des historiens du droit :
– L’article « Fictio legis » de Yan Thomas sur la tradition romano-canonique publié en 1995 dans la revue Droit, réédité dans Les opérations du droit, recueil d’articles publié aux éditions du Seuil en 2011.
– Le chapitre « Legal fictions », dans l’ouvrage de John Baker intitulé The law’s two bodies, publié en 2001 aux éditions Oxford University Press.
Leurs écrits sont contemporains mais les auteurs ne se sont pas connus, ni cités. L’un reste dans le champ romaniste, l’autre dans le champ de la common law. Si l’on fait une lecture croisée, ce qui saute d’emblée aux yeux, c’est qu’ils ne parlent pas de la fiction de la même manière. D’entrée de jeu, le continental voit la fiction à travers le droit matériel. La fiction est une règle de droit matériel posée sur les faits et la fiction n’est jamais pensée en termes de procédure. Je ne sais pas si c’est envisageable ou si cela fait partie de l’impensé, mais c’est à peine si l’on peut évoquer le fait qu’une fiction interviendrait dans le droit de la procédure. Inversement, le common lawyer pense en premier lieu à cela. Pour un common lawyer, la fiction, c’est le procès fictice – et non pas fictif, à rapprocher de l’anglais ficticious et du latin ficticius qui ont exactement le même sens : un vrai procès dans lequel on a introduit à un moment ou à un autre un élément de fiction, et non un procès imaginaire.
En réalité, dans la tradition romano-canonique, ce procès fictice n’est pas totalement inconnu, mais il faut remonter très haut, à la source des sources c’est-à-dire à la formation du droit romain. Le droit romain au départ est un droit civil qui est assez étroit. Le préteur romain va donc progressivement étendre son champ d’application grâce à l’actio ficticia (l’action fictice) ou la formule ficticia qui introduit un élément de fiction. […]
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