En conclusion du séminaire sur l’office du juge, Julie Allard, chercheur associé à l’IHEJ, aborde des questions refoulées dans les traditions juridiques continentales, disparues à travers la notion de fonction judiciaire : la dimension religieuse et politique de l’office du juge, ainsi que la source de son autorité et de sa légitimité.
En choisissant le terme « office », l’IHEJ a sans doute voulu désigner à la fois la charge, le statut et l’action du juge, mais il a surtout voulu aborder cette charge, ce statut et cette action sans les réduire à une simple « fonction ». Aujourd’hui, pourtant, le terme de « fonction judiciaire », ou même de « fonction de juger », est souvent préféré à celui d’ « office du juge ». Pourquoi ? Ce déplacement sémantique (de l’office à la fonction) est loin d’être neutre et figure une sorte de négation ou de refoulement de notre société à l’égard des juges et de leur office.
Revenons d’abord sur le sens de l’office. Étymologiquement, l’office a en effet une double origine : c’est à la fois une cérémonie, et un rôle, souvent public, dont on doit s’acquitter. L’explication qu’en donnent les dictionnaires le confirme : l’office, c’est une charge, une obligation, mais aussi une série de prières et d’incantations que l’on récite. L’office du juge dans notre culture est donc porteur de deux dimensions, qui le constituent et que le séminaire de l’IHEJ sur l’office du juge a permis de mettre en lumière :
– la dimension religieuse de l’office, voire la dimension sacrée, qui vient initialement fonder l’autorité du juge ;
– la dimension publique de la charge, voire la dimension politique, qui vient fonder sa légitimité.
En d’autres termes, consacrer un séminaire à l’office du juge, c’est vouloir reprendre ces deux questions refoulées dans notre tradition à propos du juge : d’où tient-il son autorité et qu’est-ce qui lui confère sa légitimité ?
Ces questions sont refoulées dans les traditions juridiques continentales. Il ne s’agit pas de dire qu’elles n’existent plus, qu’elles ne doivent plus être posées ou qu’elles ne sont plus inhérentes à la fonction judiciaire, mais seulement que nos systèmes et cultures politiques les ont fait disparaître en tant que questions, à travers la notion de fonction judiciaire notamment (par opposition à l’office du juge).
Le mécanisme du refoulement, bien connu depuis Freud, consiste en effet à retenir dans l’inconscient des pulsions dont la réalisation menace le sujet. Le refoulement est donc un mécanisme de défense qui permet au sujet d’atténuer ou de supprimer les effets psychiques induits par des représentations ou des événements. Mais les éléments refoulés demeurent toujours présents dans l’inconscient et essaient de réapparaître au grand jour. Pour cela, ils sont obligés de se présenter déformés, pour ne pas être reconnus.C’est le « retour du refoulé » qui, selon Freud, suppose une série de déplacements, de condensations, de conversions, et peut alors s’observer aussi bien à travers le rêve, les actes manqués, les lapsus, qu’à travers des symptômes psychopathologiques.
La modernité continentale semble avoir résolu les questions d’autorité et de légitimité en les refoulant. Quelles ont été les modalités de ce refoulement et ses conséquences ?
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Crédit photo : JaHoVil/Flickr