A une époque où les considérations financières l’emportent souvent sur la morale, il devient impossible de s’en remettre à l’ « honneur » de chacun. Une solution consiste à rendre plus douloureux financièrement la malhonnêteté que l’honnêteté. C’est là où les droits explicites envers les tribunaux peuvent être utiles – ainsi que les sanctions financières pour les faire appliquer.
Des deux côtés de la Manche, en cas de faute déontologique, la procédure disciplinaire est engagée par l’Ordre des Barreaux. Cette procédure peut s’ajouter aux sanctions imposées par les juges pour les fautes civiles (par exemple, pour cause de négligence) et pénales (par exemple, pour complicité).
Les deux principaux praticiens du droit (il y en a d’autres) – en Angleterre et au Pays de Galles – sont les solicitors et les barristers. Tous deux ont le droit de plaider, mais les différences pourraient être le sujet d’un autre blog ! Chacune de ces professions n’a qu’un seul barreau : la Law Society pour les solicitors et le Bar Council pour les barristers. Les solicitors peuvent faire l’objet de sanctions disciplinaires de la part de l’organe indépendant de la Law Society, de la Solicitors Regulation Authority (SRA) ainsi que du Solicitors Disciplinary Tribunal (SDT). Pour les barristers, il s’agit de la Bar Standards Board (BSB) et du Disciplinary Tribunal of the Council of the Inns of Court.
La SRA a le pouvoir d’infliger aux solicitors des sanctions financières d’un maximum de 2 000 livres sterling. Les dossiers plus graves sont renvoyés au SDT, qui a le pouvoir d’imposer toute sanction financière qu’il juge appropriée[i].
Les solicitors et barristers ont deux grandes obligations :
1. envers leur client, d’agir dans leur intérêt supérieur;
2. envers le tribunal, de ne pas l’induire en erreur[ii].
À ces règles s’ajoutent celles qui régissent l’outrage au tribunal et le parjure.
Tout manquement à l’obligation envers le tribunal peut être sanctionné par les juges, notamment par une condamnation aux dépens et une humiliation publique.
Dans une affaire de droit de la famille, qui a fait jurisprudence sous le nom de W v W [2004] 1 FLR 494, je représentais l’épouse. Le juge Mostyn était alors également barrister à mi-temps comme cela est permis (tous les juges étant d’abord des praticiens du droit). Il s’agissait de décider si les solicitors n’étaient que des boîtes postales, ou s’ils devaient vérifier la véracité de ce que leurs clients déclarent. Le mari prétendait que c’était de la faute de son solicitor original (dessaisi), et non de la sienne, si sa déclaration financière avait été mal remplie – par l’omission de plusieurs millions de livres sterling !
Le juge Mostyn a ordonné une audience distincte uniquement pour juger ce point, afin de donner à l’ancien avocat l’occasion de se défendre (le litige principal avait été reporté dans l’attente de cette audience). À l’audience, il a statué que : « les solicitors, en tant qu’officiers du tribunal, ont la responsabilité importante de veiller à ce que les chiffres [présentés au tribunal] soient véridiques et réalistes ». Il a conclu que l’ancien avocat avait fait une erreur de jugement, quoique non intentionnelle Vu les circonstances, il n’a nommé ni l’avocat, ni son cabinet. Le juge a aussi décidé de ne pas imposer de sanction financière au cabinet, comme il aurait pu le faire (« wasted costs order »).
La défense invoquée par le mari, elle, n’a pas abouti Le juge Mostyn a statué que le mari avait menti et il a failli publier son nom, alors que la jurisprudence matrimoniale est normalement anonyme. On n’utilise que l’initiale du nom de famille. Toutefois, au cours d’une audience subséquente, uniquement sur ce point, il n’a pas révélé le nom du mari, lequel a dû avoir des sueurs froides jusqu’au jour de la décision !
Le juge a aussi ordonné que le mari verse à sa femme la différence entre ses frais normaux (ses frais et émoluments du litige, s’il n’y avait pas eu mensonge) et ses frais réels (le mari ayant menti, cela a donné lieu à un plus grand volume de documents et à plus d’audiences pour mettre à jour lala vérité).
Dans un autre de mes dossiers, le « conveyancing solicitor » (spécialisé dans l’achat et la vente des biens immobiliers) a nié avoir en sa possession les dossiers dont ma cliente avait connaissance. Avant cela, le solicitor avait passé plusieurs semaines à remettre des dossiers de façon fragmentaire. Des frais supplémentaires ont été engagés pour que je puisse obtenir une ordonnance de production en urgence, afin d’empêcher le solicitor de détruire les dossiers cachés. à l’audience en appel, le juge a statué cette fois que le solicitor avait induit le tribunal en erreur. Il a donc rendu le jugement public et condamné le solicitor à payer 5 000 livres sterling en frais du litige de ma cliente.
Je ne prétends pas que ce système soit idéal. Tous les juges n’auraient pas utilisé leur pouvoir de cette manière. Peut-être que le problème vient de là, des deux côtés de la Manche.
Bien qu’il n’y ait pas d’obligation expresse envers le tribunal en France, les juges pourraient sanctionner les avocats pour les avoir induits en erreur, à propos du droit, par exemple[iii]. Mais le font-ils ?
Il y a peut-être un autre problème. Une ordonnance de paiement d’une somme d’argent en tant que pénalité n’entraine pas de procédure disciplinaire[iv]. Et personne ne cherche à diffuser ce type de décision, la plupart des Barreaux préférant un règlement interne. Il est rare que l’on porte la cause en appel devant une cour régionale. Mais, au moins, il existe des Cours d’appels et des barreaux dans les régions, ce qui permettrait alors de mettre un avocat fautif dans l’embarras devant ses collèges juristes.
Personne n’aime être contrôlé. Toutefois, la concurrence de la part d’avocats non régulés est de plus en plus forte. En outre, sous l’effet de la mondialisation, il est possible de se tourner vers l’international pour obtenir des services, par exemple, d’avocats, de médecins, etc. Les clients examinent attentivement le conseil et la représentation juridique offerte dans les différentes juridictions au moment où il s’agit de décider du droit applicable à leurs affaires. Par conséquent, les avocats qui induisent le tribunal en erreur, risquent de discréditer leur profession et la réputation de leur système, non seulement au niveau national, mais international.
A une époque où la réputation prend de plus en plus d’importance, elle doit être opérationnelle. Mais les règles professionnelles existantes sont-elles suffisantes ? Les Barreaux devraient-ils avoir le pouvoir supplémentaire de condamner des avocats déviants à payer une somme punitive ? Je suggère que le temps est venu de revoir cette question.
La publicité donne du pouvoir. Et l’argent est tout-puissant !
Auteur : Jenny Gracie
Jenny Gracie est Chercheur associé à l’IHEJ et juriste britannique [Solicitor (non-practising) et ancienne membre du Conseil de l’ordre de la Law Society de l’Angleterre et du pays de Galles].
[i] Solicitors (Disciplinary Proceedings) Rules 2007, alinéa 18.[ii] ‘Solicitors Rules of Conduct, Chapter 5 et le Bar Standards Board Handbook, Part 2.
[iii] Par exemple, article 697 du Code de procédure civile.
[iv] Article 184 du décret No. 91-1197 de 27 novembre 1991.