Les attentats récents commis à Paris soulignent l’importance de protéger l’État de droit. Comme l’avait bien dit John Locke en 1690 « Là où il n’y a plus de droit commence la tyrannie ».
L’indépendance des avocats protège l’État de droit. Il ne s’agit pas du droit des avocats, mais le droit qu’a chaque citoyen de bénéficier des conseils juridiques d’un corps professionnel indépendant de l’État ou d’intérêts mercantiles ou autres.
La régulation protège le public dès lors qu’elle prévoit le recours à des professionnels. Elle vise à assurer la qualité en sanctionnant tout comportement contraire aux normes de la profession.
Les profanes ne peuvent qu’évaluer le résultat, c’est-à-dire, le service fourni par les professionnels.
En revanche, les professionnels sont eux, à même de comprendre et donc d’évaluer si les moyens mis en œuvre sont propres à atteindre un certain résultat. C’est pourquoi, les membres de la profession s’auto-règlementent.
Outre-manche, on assiste à la disparition de cette autorégulation des professions juridiques.
La commission chargée de la régulation des services juridiques (fournis par les « solicitors », « barristers », comptables, etc.) en Angleterre et au Pays de Galles est nommée le Legal Services Board (LSB). Établie par la loi intitulée « Legal Services Act 2007 », elle est censée être indépendante, mais ne l’est pas en réalité :
- La LSB fait partie du secteur public ;
- La LSB est actuellement présidée par un haut fonctionnaire, Sir Michael Pitt, qui n’est pas un juriste, mais un diplômé en génie civil ;
- La LSB a été présidée de 2008 à 2014 par David Edmonds CBE, un homme d’affaires, qui à l’époque dirigeait des sociétés anonymes cotées en bourse :
- Wincanton PLC, de 2005 à 2011 (dont il était président de 2008 à 2011). Cette société offre des prestations logistiques, notamment à des supermarchés comme Tesco ;
- William Hill PLC (Bookmaker), de 2005 à 2014.
N’y a-t-il pas de conflit d’intérêts ? Les intérêts commerciaux ou ceux de l’État ne vont-t-ils pas supplanter l’intérêt public, en général ?
Selon le Plan d’Affaires 2009/12 de la LSB, alinéa 13 :
« Nous nous attendons à voir un changement dans l’équilibre des pouvoirs par le passage d’une relation entre prestataire de services professionnels et client à une relation entre agent commercial et consommateur ».
Pour résumer, d’après cet organe suprême de régulation des services juridiques en Angleterre et au Pays de Galles, les avocats (« solicitors », « barristers »)) ne sont pas des professionnels qui fournissent un service, mais des vendeurs qui fournissent des produits. Comment la LSB peut-elle réguler les avocats (entre autres) avec efficacité si elle ne comprend pas bien leur rôle ?
L’avocat a l’obligation de conseiller au client de ne pas agir si cela n’est pas dans son intérêt. En revanche, le vendeur de produits a, lui, intérêt à encourager un consommateur à acheter le plus possible, même si le consommateur n’a pas besoin du produit!
Cette approche consumériste appliquée aux avocats présente un danger réel pour l’État de droit—et donc pour la société. En Angleterre et au Pays de Galles, des entreprises ont commencé à offrir des services juridiques, notamment pour les testaments, les divorces et transactions immobilières. Ce phénomène a été encouragé par la loi intitulée « Legal Services Act 2007 », aussi appelée « Tesco Law ».
Il est à craindre que la LSB protège plus les intérêts des hommes d’affaires et des entreprises que ceux des avocats et du grand public. Comment en est-on arrivé là ? La régulation des services juridiques s’est allégée, ce qui a ouvert la voie à des services juridiques fournis par des non-avocats.
La Legal Services Board a été créée à la suite d’un rapport de Sir David Clementi, sous l’égide des pouvoirs publics. On répondait ainsi au mécontentement du public face à l’autorégulation des avocats britanniques. La réforme souhaitée par le gouvernement en la matière a alors soulevé d’autres problèmes que la LSB comme telle.
Le Barreau national de l’Angleterre et du Pays de Galles (la Law Society) représente 150 000 avocats (solicitors). Sur le papier, la Law Society reste le régulateur officiel des solicitors habilité par la Legal Services Board. Cependant, la tentative par la Law Society de maintenir l’autorégulation n’est qu’un compromis négocié avec la LSB, savoir la création d’un appendice indépendant pour règlementer les solicitors.
Comment ce nouvel appendice peut-il être indépendant ?
Il s’agit de la Solicitors Regulation Authority (SRA), à laquelle la Law Society a délégué la régulation.
La majorité des membres du conseil d’administration de la SRA ne sont pas des avocats (8/15) et son président ne l’est pas non plus. C’est pourquoi la SRA a imposé aux solicitors la régulation fondée sur les résultats (outcomes–focused), autrement dit, une forme allégée de celle-ci
Je dis bien « imposé », car, de peur de déplaire à la LSB et de perdre son homologation, la Law Society n’ose pas exercer son contrôle sur la SRA. Elle se contente donc de se plaindre de temps en temps de ce que fait la SRA !
Résultat : la SRA, gérée en majorité par des non-avocats est devenue un organe indépendant, sans être un appendice. Et la Law Society a perdu l’autorégulation.
Cette solution est complexe, et même les solicitors n’ont pas très bien compris la situation…l’écran de fumée a été efficace.
Bien sûr, la SRA, ainsi que la Legal Services Board, sont enthousiastes à propos de la régulation allégée, les deux n’étant pas gérées par des avocats. Elles ne peuvent pas faire autrement. Mais ce type de régulation garantit-il la qualité des services juridiques fournis au public par des avocats et autres experts ?
J’encourage donc les avocats français à trouver une solution pour trouver une autorégulation qui satisfasse le public. Sinon, ils vont finir par avoir des appendices indépendants gérés par des non-avocats (comme en Angleterre) !
Auteur : Jenny Gracie
Jenny Gracie est Chercheur associé à l’IHEJ, juriste britannique (Solicitor et ancienne membre du conseil de l’ordre de la Law Society de l’Angleterre et du Pays de Galles) et Expert de justice près la Cour d’appel d’Amiens (traduction et interprétariat).